ENTRE LES GANGS ARMÉS ET LES TRAFIQUANTS DE DROGUE
- Jovenel Moïse fait éclater ses contradictions par Léo Joseph
Le président haïtien a attendu toute une semaine, après le déclenchement des plus récentes manifestations lancées pour exiger sa démission, afin de signifier à la nation qu’il résidait toujours au Palais national. Dans sa dernière adresse au peuple haïtien qui, tout le monde espérait, allait annoncer une politique visant l’apaisement de l’opposition et initiatrice de mesures concrètes pour démontrer qu’il était vraiment aux écoutes des revendications véhiculées dans la rue, il s’en est plutôt pris à ses détracteurs de manière la plus grotesque. De l’avis de presque tous, il a fait éclater au grand jour les contradictions qui l’ont pour- suivies, dont certaines même avant sa prestation de serment, le 7 février 2017.
Dans son discours transmis en différé par la Télévision nationale, le 14 février, jour des amoureux, les propositions qu’il a avancées ne visent qu’à préserver son quinquennat, contre vents et marré. Aussi, s’en est-il pris à partie aux citoyennes et citoyens manifestants pacifiquement dans les rues pour exiger, non seulement sa démission, dans l’immédiat, mais aussi celle du premier ministre Jean Henry Céant, accusé aussi de participer au pillage du Fonds PetroCaribe. Aussi bien que les deux Chambres législatives, dont une majorité a facilité de telles opérations, car ayant, à leur tour, bénéficié du partage du butin.
Après une semaine de silence, face à des manifestations plurielles assorties de barricades enflammées, dans les rues de la capitale et des villes de province fermant le pays tout entier au trafic urbain, interurbain et interdépartemental, et dont certaines gens se sont livrés à des actes de destruction et de pillage, pour exiger le départ du président Moïse, ce dernier a fini par rompre le silence. Mais loin d’adopter une attitude conciliante, vu la radicalisation justifiée de la position de la quasi-totalité de la nation, le discours de Jovenel Moïse prend l’allure d’une déclaration de guerre, voire de menaces, à peine voilées, contre les manifestants. D’ordinaire, des membres de la PNH déployés pour réprimer les manifestants font usage de gaz lacrymogènes à profusion, de la bastonnade ou encore de balles réelles. Dans la mesure où la PNH obéit à la lettre aux consignes du pouvoir à l’égard des manifestations, il faut croire que les policiers sévissent sans modération contre les protestataires.
De tout ce qu’a dit le chef de l’État dans son discours, tout le monde semble retenir la partie dans laquelle il dit clairement qu’il n’entend pas « démissionner », car, dit-il, il n’a aucune intention de laisser le pouvoir entre les mains « des bandits et des dealers de drogue ». En cela, il se trompe de cibles puisqu’il entretient des relations privilégiées avec ces mêmes catégories sociales.
Allié des bandits régnant en maîtres dans les bidonvilles
Il est de notoriété publique que le gouvernement Tèt Kale et ses alliés au Parlement passent pour être les protecteurs des bandits qui font la loi dans les bidonvilles, notamment ceux des quartiers défavorisés de la capitale. Car ces criminels dépendent d’eux pour avoir accès à des armes de gros calibres et à s’approvisionner en munitions, en sus de bénéficier de fonds qu’ils pourvoient en vue de financer leurs activités et de mener régulièrement leurs vies.
En effet, les autorités au pouvoir dressent un chef de gang contre son rival, dans le cadre des vengeances menées contre ceux qu’ils assimilent à des ennemis politiques. Le cas le plus flagrant est celui de La Saline, désormais connu sous le vocable «massacre d’État », au cours duquel plus de 70 personnes ont été tuées, dont des hommes, des femmes et même des enfants à bas âge.
Cet événement macabre, dont le bidonville La Saline de la capitale fut le théâtre, a fait l’objet de deux rapports dressés tour à tour par les organisations de défense des droits humains, « Fondasyon je klere» (FJK) et « Réseau national de défense des droits des Haïtiens » (RNDDH), et a été largement rapporté et commenté par des organes de presse haïtiens, tant en Haïti qu’en diaspora, en sus d’attirer l’attention de la presse internationale. L’incident n’a pas laissé les Nations Unies indifférentes, car l’organisme international croit que l’affaire mérite une enquête internationale. Toutefois, après tout le tollé déclenché par cette tuerie, en Haïti et à l’étranger, les autorités haïtiennes l’ont ignorée souverainement. À ce jour, aucune enquête n’a été diligentée par aucune instance gouvernementale, en vue d’établir les responsabilités. Selon toute vraisemblance, connaissant déjà l’identité des auteurs de ces crimes, l’administration Moïse-Céant ne se sent pas obligée de faire le jour sur la situation.
La tuerie de La Saline s’inscrit dans le même contexte que le massacre exécuté par des policiers aux prises avec des gangs de la région de Gran Ravine. Au cours de cet affrontement, survenu en 2017, plusieurs innocents avaient perdu la vie. Ce qui a porté Suzan Page, l’ex-représentante personnelle du secrétaire général des Nations Unies en Haïti, à exhorter les autorités à confier ce dossier à un juge d’instruction pour les suites que de droit. Mais, non seulement le régime Moïse-Lafontant a passé outre à la recommandation de Mme Page, il a gardé ce grave incident sous silence total. À l’instar de la disparition du journaliste photographe Vladimir Legagneur, survenue en avril 2018, également à Gran Ravine. L’enquête, que la Police nationale dit avoir ouverte sur le cas de ce journaliste, n’a jamais abouti nulle part. On eut dit une formalité annoncée pour apaiser les critiques. Après bientôt un an que M. Legagneur est porté disparu, le pouvoir ne se sent pas obligé d’émettre un communiqué pour démontrer qu’un tel cas lui tient à cœur. L’attitude de la Police à l’égard de cette affaire – et de mille autres du même genre – est symptomatique de la nonchalance, voire de l’indifférence, qui caractérise la politique de l’équipe au pouvoir à l’égard des victimes de crimes et leurs familles.
Des contradictions partout
C’est un constat général : dans le domaine de la sécurité des populations, surtout en ce qui concerne celles des quartiers défavorisés de la capitale, Jovenel Moïse et ses alliés du pouvoir se liguent avec les bandits armés pour assassiner ses ennemis politiques, des journalistes indépendants ou encore leurs critiques. Tout en tenant un discours prodémocratie pour la consommation étrangère, dressant un profil de chef d’État responsable, pour tenter d’épater les diplomates basés en Haïti, il ne peut, en même temps, s’empêcher d’exposer les contradictions de sa politique. Car celles-ci sont partout où M. Moïse exerce son pouvoir.
En effet, dans la mesure où, d’une manière générale, la contradiction représente la relation existant entre deux propositions qui affirment et nient la même situation, le même fait, toutes les politiques de Nèg Bannann nan entraînent des effets contraires, scellant inéluctablement l’échec des deux premières années de son quinquennat. Aussi les initiatives qu’il a lancées ont-elles, l’une après l’autre, fait naufrage piteusement, car conçues par des amateurs sans boussole et pilotées par des pseudo-techniciens incompétents et sans inspiration. Sans oublier qu’avant de tout mettre en œuvre, la garantie des voies et moyens est une étape incontournable.
Par exemple, la « Caravane de développement », gros projet lancé par Jovenel Moïse, a tourné court sans susciter aucun espoir de la relancer, faisant évanouir l’espoir de créer les emplois annoncés et les travaux planifiés. L’inconvénient de cette initiative, au départ sans lendemain, s’ex- plique par le fait que, privée de fonds pour financer la Caravane, l’administration Moïse-Lafontant a rogné illégalement sur le budget national, créant ainsi un manque à gagner dont la répercussion est universellement ressentie sur les institutions publiques, une autre cause de la dégringolade de la gourde et des augmentations des prix des produits de première nécessité.
Le Fonds PetroCaribe n’étant plus disponible pour servir de tirelire de l’équipe au pouvoir, sous la dictée de Jovenel Moïse, celle-ci s’est rabattue sur la caisse de l’Office national d’assurance vieillesse (ONA). Le directeur de cette institution, Phanord Pierre, a déclaré avoir été instruit par le chef de l’État d’octroyer des prêts à des taux d’intérêt extrêmement bas à des membres de l’Exécutif et à des parlementaires, ainsi qu’à la première dame, Martine Moïse et à d’autres, proches de la présidence. À ce rythme, le fonds de réserve de l’ONA s’est vu séparer de plusieurs milliards de gourdes, mettant en péril la prestation des retraités qui ont travaillé durement pour assurer leurs vieux jours. De fait, on apprend que l’institution doit plusieurs mois de paiements aux retraités, ces derniers temps. Une autre contradiction de la politique de Jovenel Moïse.
Les promesses non tenues à répétition
C’est le propre des gouvernements, à quelque pays où ils appartiennent, de faire des promesses. Mais l’homme d’État qui se respecte ne fait pas de promesses en l’air, sans savoir comment les réaliser. Mais Jovenel Moïse ne s’embarrasse point de tels scrupules. Il prend des engagements au rythme de son humeur et les oublie dans la pratique comme sa dernière casaque. Il semble croire qu’il peut tout réaliser, rien qu’à y penser ou à les énoncer.
En effet, voici bientôt deux ans depuis qu’il a fait la promesse de fournir l’électricité 24 heures sur 24 à toute la République, les abonnés voient leur rationnement du courant électrique augmenter d’une manière drastique. Ces derniers mois, l’obscurité s’est installée quasiment en permanence même à la capitale.
De toute évidence, la promesse du courant électrique partout et sans arrêt tarde à se concrétiser. Après l’ouverture des chantiers aux Irois, dans le département de la Grande-Anse, les travaux se sont arrêtés, plus de financement pour faire aboutir le projet jusqu’à sa conclusion logique. C’était alors qu’il est venu à M. Moïse l’idée d’approcher Taïwan pour trouver les fonds nécessaires pour concrétiser le projet.
Liés à la République de Taïwan par un contrat de finance- ment de l’électricité 24 heures sur 24, dont les termes ne sont pas connus des citoyens, Jovenel Moïse et son équipe ne peuvent dire à quel moment l’électricité promise sera disponible à la clientèle. Les techniciens taïwanais déployés sur le terrain ont arrêté les travaux. Un communiqué du ministère des Affaires étrangères de Taïwan a indiqué que la décision a été prise en raison des agitations socio-économiques qui sévissent dans le pays depuis quelques semaines. Il faut reconnaître que le président haïtien ne contrôle pas la réalisation de ce projet. Cela veut dire qu’il ne peut prévoir, lui-même et ses hommes, quand le slogan vide « électricité 24 heures sur 24 à travers la république » deviendra réalité. Autre contradiction de Nèg Bannann nan.
On se souvient aussi, d’heureuses mémoires, quand Jovenel Moïse faisait une visite dans le nord du pays, et qu’il a fait des promesses de bourses d’études aux bacheliers finissants. On n’entend plus parler de cette initiative, qui avait été lancée à brûle-pourpoint. Si les parents et les élèves avaient ajouté foi à de telles promesses, il y a de fortes chances « y ap tounen pwa tann ».
Étroitement lié au monde interlope
Peu connu dans les milieux politiques et des affaires, à Port-au-Prince, Jovenel Moïse, pressenti pour succéder à Michel Martelly, à la présidence, a été introduit par ce dernier comme un homme d’affaires et un industriel remarquable. Alors qu’il allait utiliser les fonds de l’État tiré du compte PetroCaribe et par le biais du Fonds d’assistance économique et sociale (FAES) pour faire de lui ce qu’il n’était vraiment pas. Ayant trouvé en Jovenel Moïse son alter ego, pour plusieurs raisons, mais surtout à cause de son implication dans les activités illicites, Martelly avait jeté son dévolu sur lui.
En effet, créateur d’un dépanneur dans son patelin, il devait s’approvisionner auprès d’autres entreprises ayant eu pignon sur rue, comme, par exemple, la distillerie d’eau « Couligan ». En guise du premier paiement pour le stock d’eau reçu, le futur président d’Haïti expédia un chèque sans provision à Couligan.
D’autre part, d’aucuns se demandent pourquoi le couple présidentiel est si attaché à Magalie Habitant, qui lui voue, en retour, une solidarité à nulle autre pareille. Une enquête menée par H-O a permis de savoir que Jovenel Moïse entretenait des relations privilégiées avec Magalie Habitant, la trafiquante de drogue de Port-de-Paix. Le nom de Mme Habitant était cité à la perquisition qu’avait menée le commissaire du gouvernement de Port-de-Paix, dans une maison où se trouvaient entreposés des caisses et des tonneaux remplis de billets verts. À Port-de-Paix, M. Moïse et Mme Habitant ont la réputation d’avoir appartenu au « club » des trafiquants. Il semble que, grâce aux millions retirés de telles activités, Magalie Habitant figure parmi les personnes les plus riches d’Haïti qui ne possèdent pas d’usine ni une grosse entreprise ou qui n’appartient au monde des industriels.
On ne doit pas oublier non plus que Jovenel Moïse était un associé du trafiquant de drogue bien connu Evinx Daniel, avant d’être découvert par Michel Martelly. Il faut poser carrément la question : pourquoi l’actuel président haïtien croyait-il nécessaire de faire de ces deux dealers de drogue ses amis ? Qui dit « Qui se ressemble s’assemble ? ». Ces derniers conflits chez Moïse semblent éclipser tous les autres.
De toute évidence, Jovenel Moïse est rempli de contradictions. Tout ce qu’il énonce et annonce, pour donner espoir au peuple haïtien, recèle exactement ses contraires, qui priment toujours. Mais son plus grand atout en politique est celui de pouvoir mentir sans afficher aucune émotion. Les contradictions négatives l’emportent toujours, en tout temps, en toutes circonstances, et dans tous les domaines. L.J
cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur, édition, du 27 février 2019 et se trouve en P. 1, 15 à : http://haiti-observateur.info/wp-content/uploads/2019/02/H-O-27-fev-2019.pdf