Jovenel Moïse peine à trouver une destination… par Léo Joseph
- TOUJOURS DANS LE DERNIER CARRÉ, TANDIS QU’IL EST BOUSCULÉ PAR PLUS DE 4 MILLIONS DE MANIFESTANTS
- La communauté internationale ne se hâte pas de voler au secours comme d’habitude… Trois factions s’agglutinent sur leurs candidats….
L’opposition mobilisée contre Jovenel Moïse depuis déjà plus d’un an, pour exiger que lumière soit faite sur la manière dont le Fonds PetroCaribe a été dépensé, s’est ragaillardie. Elle semble trouver de nouvelles vigueurs avec la publication du dernier rapport d’audit de la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif (CSC/CA). Le dernier mot d’ordre est bel et bien le «départ sans condition» de Nèg bannann nan du pouvoir. Plus de 4 millions de citoyens ont gagné les rues de la capitale et des villes de province pour dire «plus de place au Palais national pour Jovenel».
En effet, la manifestation promise par les petrochallengers, l’opposition démocratique et d’autres secteurs engagés dans la lutte contre Jovenel Moïse et ses alliés du PHTK a drainé dans les rues des villes d’Haïti quasiment tout le peuple. À Port-au-Prince (Ouest), Gonaïves, Saint-Marc (Artibonite), Cap-Haïtien, Limbé, Pilate (Nord), Port-de-Paix (Nord-Ouest) Les Cayes (Sud), Jacmel (Sud-Est), Jérémie (Sud-Ouest), Miragoâne, Baradères (Nippes), Ouanaminthe (Nord-Est), pour ne citer que celles-là, c’était la grande foule dans les rues. Telles qu’on n’en avait jamais vu auparavant. Tout le monde est d’accord pour constater que les manifestations monstres qui ont été organisées l’année dernière ne peuvent se comparer à celle du dimanche 9 juin. Promesse tenue ! Désormais, l’arrêt de mort de la présidence de Jovenel Moïse est bel et bien signé. Les tractations vont bon train autour de la formation d’une équipe appelée à prendre temporairement les rênes du pouvoir, en attendant la formation d’un gouvernement de consensus pour gérer les affaires de la nation pendant deux ans, le temps nécessaire pour stabiliser les institutions totalement disloquées et de construire un Conseil électoral permanent qui aura pour mission d’organiser des élections générales.
La communauté internationale se montre discrète à l’égard de Moïse
Les diplomates étrangers généralement impliqués à fond, dans les négociations en vue de trouver un lieu d’asile pour le chef d’État déchu, évoquant toujours une «initiative humanitaire», qui se solde par la prise en location d’un réacteur pour transporter le président mis à la porte à une destination étrangère (le cas d’Aristide, en février 2004, et Jean-Claude Duvalier avant lui, en février 1986), semblent hésiter à prendre position.
Dans les milieux diplomatiques, à Port-au-Prince, on laisse croire que le cas de Moïse est différent de ceux de ses prédécesseurs. Les nombreux crimes qui ont été commis sous son administration ayant affiché une indifférence totale à l’égard des victimes, et dont le silence est perçu comme un «signe d’approbation» de tels actes attribués à des criminels liés au pouvoir Tèt Kale. Et pour comble de mal gouvernance, de vol des ressources de l’État et de corruption, le deuxième rapport d’audit de la Cour supérieure des comptes et du Contentieux administratif (CSA/CA, mettant le président au centre d’une vaste conspiration de dé tournement de fonds publics en dit long, pour les diplomates en poste en Haïti. La communauté internationale ne saurait se laisser entraîner dans aucune démarche visant à faciliter la «fuite» du président, autrement dit à faciliter son évasion pour qu’il ne rende pas compte de ses actes.
De toute évidence, Jovenel Moïse se retrouve entre l’enclume et le marteau. Le peuple en colère entend qu’il démissionne avant d’atterrir «en prison». Pas question qu’il s’envole vers un exil doré, comme c’était le cas pour ceux-là qui ont pillé l’État avant lui.
D’autre part, face à la fureur des citoyens, victimes de ses détournements de fonds réalisés avec ses alliés au Parlement et ailleurs dans l’administration publique, un lieu d’exil reste de plus en plus introuvable. Selon des sources crédibles, tous les pays sollicités auraient refusé d’ «héberger ce colis encombrant». Rester à confirmer que les Dominicains auraient décliné de lui accorder doit d’atterrissage avant de continuer vers une destination inconnue. Il est fort probable que le Venezuela lui ferme la porte dans le nez. Même scénario avec Cuba, qui aurait boudé une pareille requête en solidarité avec Nicolas Maduro, victime de l’ingratitude flagrante de Moïse.
D’aucuns pensent qu’il pourrait solliciter «hébergement» auprès de Paul Kagamé, au
Rwanda, en Afrique. Une telle prétention ― ou affirmation ― se base, dit-on, sur le fait que Jovenel Moïse aurait de bonnes relations avec le président rwandais, surtout qu’aurait été établie une sorte de coopération entre Moïse et Kagamé.
Des demandes jugées inacceptables
Dans les milieux proches des négociations autour de la démission de Jovenel Moïse, on laisse croire que les demandes faites par ce dernier sont jugées inacceptables par l’opposition qui n’entend concéder une once de faveur au président.
En effet, a révélé une source autorisée, Jovenel Moïse aurait déclaré qu’il n’est pas du tout opposé à sa démission. Mais il préfère rester dans son pays et bénéficier d’«amnistie», en sus de ne pas vouloir que ses biens soient confisqués par l’État.
Ces demandes de M. Moïse sont confrontées à un «non retentissant» de ses tombeurs qui disent l’attendre au Pénitencier national. Pour l’instant, Jovenel Moïse agit comme un animal traqué. Et il ne dispose d’aucun moyen pour apaiser l’opposition intransigeante et un peuple désormais intraitable.
Trois factions en compétition pour le pouvoir
Présentement, l’impatience est au rendez-vous, car les forces qui veulent se débarrasser de Jovenel Moïse agissent comme si elles sont à bout de patience. Et pour cause ! Après avoir lutté pendant plus d’une année pour chasser Nèg Bannann nan du Palais, elles estiment le moment venu de faire le geste ultime. Voilà pourquoi des cartels sont formés et les stratèges s’agglutinent sur leurs candidats respectifs.
Il semble aussi que l’idée soit acquise, que le président intérimaire soit issu de la Cour de cassation. Les différentes tendances en compétition, à cette fin, jettent leurs dévolus sur Pressoir Jean-Pierre, Joseph Jules Mécène et Wendelle Coq Thellot.
Selon des sources dignes de foi, le juge Mécène est le candidat du groupe dirigé par le sénateur Youri Latortue ; Jean-Pierre est le candidat de PHTK. Dans le passé, on laissait entendre que, cousin d’Yvon Feuillé, il aurait des affinités avec Lavalas. Mais on a révélé récemment que Michel Martelly et les PHTKistes ont misé gros sur lui au point d’en faire leur candidat.
Quant à Mme Coq, elle passe pour être la candidate du secteur démocratique dont certains membres croient découvrir en elle «une autre Ertha Pascal Trouillot», première femme présidente intérimaire, après la chute de Prosper Avril. Elle s’est distinguée à la présidence intérimaire pour avoir organisé la première élection présidentielle dite «démocratique» qui a porté Jean-Bertrand Aristide au pouvoir.
La ANHT entre en scène
En attendant, une organisation politique nouvellement créée a déclaré sa volonté d’assumer provisoirement l’autorité de l’État immédiatement après la mise à l’écart de Jovenel Moïse.
En effet, l’Autorité nationale haïtienne de transition (ANHT) a diffusé la note de presse suivante dans laquelle elle expose son projet à court terme.
«Considérant que le Président de la République, monsieur Jovenel Moïse, a failli à sa mission de Chef de l’État, Il n’a pas su respecter ni faire respecter la Constitution, selon les prescrits de l’article 136.
«Considérant l’implication du Président Jovenel Moïse dans les rapports de la CSCCA et de l’UCREF sur la dilapidation des fonds de Petro Caribe. Et, considérant la situation ulcéro-nécrotique de la vie politique, économique, sociale, environnementale, et structurelle du pays.
«Considérant la manifestation citoyenne nationale du dimanche 9 juin 2019, où le Peuple haïtien a dit ‘NON’ à l’inacceptable, et la foule en liesse en sortant en masse afin d’exprimer son rejet, a d’un revers de main rejeté Jovenel Moise en tant que Président de la République.
«Considérant que cela représente un plébiscite clair qui définit les voies à suivre, soit une autorité nationale haïtienne de transition afin de garantir la continuité de l’État ;
«Considérant que Jean-Jacques Dessalines, notre grand libérateur, a pris l’initiative pour sortir du fort sans demander la permission à l’ennemi de la nation naissante ;
«Considérant la reprise de ce courage par le colonel Himmler Rebu, en entrevue avec Marie-Lucie Bonhomme, correspond à la bonne expression du même courage qui nous habite ;
«Considérant la confirmation de la déchéance du président Jovenel Moïse, par l’ancien ministre de la Justice, le magistrat Heidi Fortuné, l‘invitant à démissionner ; «Considérant qu’il est de notre devoir en tant que citoyen organisé de prendre les choses en main et de faire connaître notre position sur la crise sociétale que traverse le Pays, de contribuer à la création ou à la restauration d’un climat de stabilité qui doivent conduire à une refondation de L’ÉTAT NATION, et à un développement durable du Pays.
«En foi de quoi, nous de l’Autorité Nationale Haïtienne de Transition, déclarons la présence de Jovenel Moïse au Palais national, illégal, provocateur et inconséquent, à la suite de mort du 9 juin en cours.
«Nous demandons donc aux acteurs et partenaires étrangers représentés par la diplomatie et par les liens consulaires de prendre acte de notre autorité sur les affaires transitoires intérimaires de la République d’Haïti. Et, nous demandons aux directeurs généraux des différents organes de l’État de prendre note. Le document de consultation est disponible à : http://change.org «Fait à Port-au-Prince, le 11 juin 2019-06-11.
«Pour information : Jean-Pierre Bailly pour l’Autorité nationale haïtienne de transition jpbailly@gmail.com».
Par cette note de presse, la ANHT pose un acte hautement politique et offre une alternative à ceux qui persistent à soutenir le statu quo, donc le maintien de Jovenel Moïse au Palais national, à tout prix, sous prétexte qu’on ne sait pas qui va le remplacer. Maintenant, il ne reste qu’à souhaiter que le leadership de cette organisation soit en mesure de se donner les moyens de sa politique. L.J.
cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur, édition du 12 juin 2019 No.24, et se trouve en P.1, 2 à : http://haiti-observateur.info/wp-content/uploads/2019/06/H-O-12-juin-2019.pdf