MIS AU PETIT SOIN PAR LES AMÉRICAINS par Léo Joseph
- Arnel Joseph : Soins médicaux et sécurité 24/24
Ceux qui se mettaient en tête de liquider le chef de gang de Village de Dieu/Marchand-Dessalines, avant la fin de cette année, sembler devoir repenser leur stratégie. Loin de favoriser leur plan macabre consistant à l’envoyer ad patres, à la faveur de sa capture, à l’Hôtel Bonne Fin, non loin de Cavaillon (et proche de la ville des Cayes), dans le sud du pays, cet événement donne à Arnel Joseph l’occasion « de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité » sur les méfaits de Jovenel Moïse et ceux de la famille Tèt Kale. Mr Moïse se trouve dans une situation où il sait qu’il a davantage à gagner en trahissant ses anciens alliés et commanditaires.
On ne peut encore déterminer la genèse des opérations ayant conduit à l’arrestation du plus puissant et soi-disant le plus recherché chef de gang par la Police haïtienne. D’aucuns soutiennent que les Américains sont à l’origine de l’opération et que la Police haïtienne a été plutôt mise au parfum par rapport aux négociations qui devaient déboucher sur le déplacement d’Arnel Joseph de Marchand-Dessalines à l’Hôpital Bonne Fin. Au fait, certains observateurs pensent que l’action entreprise avait l’allure d’une descente de justice que mènent souvent les agents de la Drug Enforcement Administration (DEA) conjointement avec ceux de la Brigade de lutte contre les stupéfiants (BLTS). Car des Blancs étaient également sur place avec les policiers haïtiens, immédiatement après que s’est effectuée l’arrestation.
La question effleure bien des esprits, en Haïti : comment expliquer que des étrangers se soient retrouvés à l’Hôpital au moment de l’opération ? Surtout que ces derniers n’ont pas lâché d’une semelle les policiers haïtiens après que ceux-ci eurent maîtrisé le chef de gang. Haute surveillance, soins de qualité. Si Arnel Joseph a connu de mauvais moments, durant les premières heures de son arrestation ayant été ligotés les deux mains derrière le dos et forcé de s’allonger nu au sol, la condition de sa détention avait changé même avant son arrivée à Port-au-Prince, à bord d’un hélico des Nations Unies. Selon toute vraisemblance, n’était-ce l’intervention des représentants de l’ambassade américaine, son traitement n’allait pas changer, car certains pensent que les mauvais traitements qu’il subissait lui étaient délibérément infligés parce qu’on voulait le liquider physiquement, et vite.
Mais les choses ont vite changé. Non seulement il est interné dans une chambre d’hôpital moderne bien pourvue, il bénéficie de sécurité 24/24, ayant un policier en uniforme dans la chambre avec lui, en sus d’autres agents, en uniforme et en civil, sur le même palier et d’autres placés de manière stratégique dans la cour. De telle sorte que soient disponibles plusieurs couches de protection capables de décourager ceux qui se mettraient en tête de déjouer le système de protection mis en place pour lui.
La sécurité d’Arnel Joseph est organisée dans les moindres détails, jusqu’à garder sous surveillance ceux qui préparent et lui servent à manger. Une persistante rumeur circulant dans les milieux proches de ceux qui lui prodiguent des soins médicaux laisse croire qu’un spécialiste étranger serait attendu à tout instant au chevet du patient, indiquant que ce chef de gang qui, il y a à peine une semaine, quémandait des soins qu’il ne pouvait obtenir dans les recoins de Marchand-Des salines; ou auxquels il ne pouvait accéder, pour ne pas éveiller les soupçons de la Police, qui était en théorie à ses trousses, obtient maintenant toutes les attentions dignes d’un prince.
Jovenel Moïse et consorts dans l’angoisse
L’histoire prend souvent des tours bizarres, voire même agréablement inespérés. C’est le cas des Américains trouvant un allié en un chef de gang, qui était, hier encore, l’animal à abattre. On peut dire, dans cette condition spécifique, que ce qui fait le bonheur de quelqu’un donne la frousse à l’autre. Aussi peut-on dire que Jovenel Moïse et consorts sont dans l’angoisse.
En effet, les agents américains, toutes disciplines confondues, soient Drug Enforcement Administration (DEA), le Federal Bureau of Investigation (FBI) et Bureau of Firearms, Alcohol, Tobacco and Explosives ont encore des choses à régler en Haïti.
En effet, si les agents américains ont réussi, au fil des ans, à mener avec succès des enquêtes qui ont entraîné l’arrestation de nombreux trafiquants, majoritairement de drogue en Haïti, il y a des douzaines qui courent encore les rues avec impunité, car n’ayant pas trouvé des témoins qui soient capable d’aider à monter des dossiers inattaquables. Ces cas sont des plus intéressants, car s’agissant d’individus assimilés à la « bourgeoisie » ou d’hommes d’affaires « ayant pignon sur rue».
Les agents de la DEA pensent qu’Haïti ne constitue pas un terrain favorable à la lutte contre les stupéfiants. Parce que, disent-ils, « Les Haïtiens sont trop avares d’informations ». En tout cas, c’est le cas de ceux qui évoluent dans les milieux aisés. C’est pourquoi ces agents sont toujours à l’affut, guettant, ici et là, des témoins disposés à « vendre la mèche ». Même chose pour la contrebande, le détournement de fonds, transferts illégaux des avoirs, et trafic d’armes. Aussi bien le métier d’armurier dont les pratiquants facilitent le trafic d’armes anonymes. Celles-ci ont été introduites, surtout des États-Unis, en Haïti, sans l’identité qui les rend illégales. Reléguées à la pile d’armes dites « rejets » par les manufacturers, elles sont exportées sans marques d’identité. Arrivées en Haïti, les armuriers les modifient et les rendent utilisables, mais sans aucune possibilité d’établir leurs identités. Ces armes se trouvent en grande quantité en Haïti. Point n’est besoin de dire que les agents américains aimeraient remonter la filière de cette distribution illicite clandestine. Comme les agents de la DEA aimeraient pouvoir identifier positivement les «trafiquants gros calibres », ceux-là qui ont les poches profondes et qui ont les possibilités de financer de fortes cargaisons de stupéfiants, du genre « Bateau sucré », ils font flèche de tout bois en Haïti, à la recherche de «témoins crédibles ».
Au nom de l’aide humanitaire ?
On ne peut nier aux Américains leur prédisposition à l’aide humanitaire. D’aucuns diraient même que c’est une culture qui leur est chère et qui semble prendre racine dans toutes les institutions, publiques ou privées. Mais, dans le cas d’Arnel Joseph, il semble qu’il y ait mieux que le souci d’apporter l’aide humanitaire. En tout cas, on ne s’éloignerait pas trop loin de la vérité en disant qu’il s’agit d’un cas de «concessions mutuelles ».
Certes, mal pris du point vue santé, le chef des gangs a besoin de soins médicaux et la protection contre ceux qui voudraient le voir mort. De son côté Joseph possède des tas d’informations que les Américains estiment « précieuses ». À bien considérer, il pense qu’il aura une meilleure partie de se montrer « généreux » dans ses révélations aux Américains. Surtout qu’il pense plutôt faire confiance à ceux qui lui donnent accès à des soins médicaux de qualité, tout en assurant sa sécurité. On ne devrait pas s’étonner d’entendre l’intéressé prendre la décision de se faire extrader (ou expulser), sous forme d’une «inculpation » concoctée par ses « bienfaiteurs », s’il ne croit pas avoir trouvé l’ambiance idéale pour faire ses aveux en présence de gens dont il se méfie.
Trafiquant de drogue, Arnel Joseph connaît bien les parlementaires impliqués dans les trafics illicites. Détenteur de grandes quantités d’armes et de munitions, les distributeurs de ces produits ne lui sont pas étrangers. Les armuriers aussi. Dans la mesure où ceux qui se livrent à toutes sortes de commerces illicites disposent de grandes quantités de liquidités, il doit pouvoir identifier tous ceux qui pratiquent le blanchiment des avoirs; ou qui font des transferts d’argent illégaux.
Avant d’être interrogé en exclusivité par les Américains, Arnel Joseph a fait des révélations aux inspecteurs de la DCPJ. Il a avoué qu’il « travaillait pour le compte du Palais national », qu’il avait l’habitude de parler au président Jovenel Moïse en utilisant le téléphone du sénateur Gracia Delva. Il a affirmé avoir été engagé pour assassiner le sénateur Nènèl Cassy. Mais il a indiqué qu’un autre sénateur, qu’il estime beaucoup, l’en avait dissuadé.
Les réseaux sociaux sont remplis de révélations, attribuées à Arnel Joseph, qu’il a faites aux agents de la DCPJ. Ceux qui les colportent ont déclaré qu’ « Arnel a chanté » comme un rossignol. Dans ses déclarations, il a cité le nom de Jean Fritz Jean-Louis, un des lieutenants proches de Jovenel Moïse, qui l’avait initié aux activités louches, en 2011, le même qui était impliqué dans l’affaire de la Banque centrale avec la participation de six étrangers, dont trois Américains, deux Serbs et un Haïtien qui leur servait de guide. M. Jean-Louis était alors secrétaire d’État aux Collectivités territoriales, au ministère de l’Intérieur, quand Thierry Mayard Paul était le titulaire de ce département.
Arnel Joseph dit avoir été arrêté par les hommes de l’actuel directeur général de la Police national, Michael Gédéon, alors qu’il était directeur département de l’Ouest (DDO). Il a affirmé que même quand il était en prison, il continuait de recevoir l’argent mis à sa disposition par Jean-Louis.
Dans ses révélations à la DCPJ, il a confessé aussi que sa montée fulgurante s’est produite dans l’année 2017 et 2018, quand un autre puissant chef de gang, qu’il n’a pas identifié, perdait du terrain et mourut peu de temps après. Il a été libéré de prison, dit-il encore, grâce à l’intervention d’un de ses amis, alors dans la sécurité rapprochée du ministre de l’Intérieur, Ardouin Zéphirin, et Vladimir Paraison, commandant de BOID, à l’époque.
À l’avènement de Jovenel Moïse, dit-il, Zephirin et Paraison sont revenus à lui, cette fois, avec une tache bien définie : les aider à mettre fin au contrat du chef de la Police, Michael Gédéon, avant la fin de son mandat, pour que lui, Paraison, puisse accéder à son poste
Bien ancré dans le régime Tèt Kale, Arnel Joseph était sollicité pour de nombreuses taches. Voilà ce qui le rend si séduisant aux Américains. Ce qui fait de lui aussi la bête noire pour Jovenel Moïse, les parlementaires dévoyés, ainsi que d’autres personnes louches qui craignent qu’il ne se réhabilite auprès des Américains à leurs dépens.
l.J.
cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur, édition du 31 juillet 2019, Vol. XXXXIX no. 30, et se trouve en P.1, 13 à : http://haiti-observateur.info/wp-content/uploads/2019/07/H-O-31-juillet-2019.pdf