LES GANGS ARMÉS CONTRÔLENT LITTÉRALEMENT LA CAPITALE
- Barbecue fait chanter Jovenel Moïse et consorts par Léo Joseph
- Tractations autour de 200 millions de gourdes chaque 2 semaines aux gangs…
C’était la terreur sur la route de l’Aéroport, avant-hier (lundi 14 juin). Les gangs armés du G-9 en famille et Alliés avaient déployé leurs troupes contre les entreprises qui bordent cette artère principale de la capitale, sans qu’on sache, au juste, les motifs de cette descente insolite. Pour quoi les hommes du « général Barbecue » (Jimmy Chérizier) s’étaient ainsi mobilisés. Mais le lendemain (mardi 15 juin) tout est rentré dans l’ordre, la sérénité était de retour au rendez-vous, les employés, qui avaient vidé les lieux, suite à l’ordre intimé par les hommes armés aux entreprises de fermer leurs portes (elles avaient jusqu’à midi, lundi, pour obtempérer à cette injonction), ont regagné allègrement leurs lieux de travail respectifs. Les hommes armés, qui avaient investi les lieux, la veille, ne sont visibles nulle part.
Après coup, il a été donné d’apprendre que cette scène infernale, suscitée par les bandits proches du pouvoir, avait pour motif un « désagrément » que le « chef suprême » des gangs armés avait avec le Palais national autour d’une rémunération mal distribuée, en tout cas pas dans le sens qu’attendait Barbecue. Des sources proches de la présidence et de Chérizier ont fait savoir qu’après s’être entendu avec ce dernier par rapport au mode de décaissement des 200 millions de gourdes négociées comme « redevances » aux bandits armés, Moïse avait décidé, sans préavis, de changer le protocole des échéances, que l’homme fort des gangs armés ne jugeait pas à son avantage.
Attaques contre les commissariats et autres actions déclenchées
D’aucuns ne cessent de s’interroger de la raison du silence du pouvoir, par rapport aux attaques féroces orchestrées par les gangs armés, à Martissant et ailleurs, en sus de l’offensive lancée sur les commissariats de Police de Cité Soleil en même temps. Jovenel Moïse, ses ministres et autres poids lourds du pouvoir savaient bien qu’ils avaient affaire avec Barbecue. Le petit peuple, victime des atrocités des bandits armés, n’avait aucune idée de ce qui se déroulait entre le régime en place et ses alliés du monde interlope. Voilà des pions sur l’échiquier, que Jovenel et ses hommes, face à Jimmy Chérizier, manipulaient à leur guise.
En effet, la descente des hommes de troupe de Barbecue sur le quartier des entreprises (Route de l’Aéroport), dès la matinée du lundi, entrait précisément dans le cadre de ce conflit. Arrivés dans ce quartier, les hommes armés se sont présentés chez le concessionnaire d’automobiles Berhman Motors où ils ont fait déguerpir tous les employés, que des policiers accourus sur les lieux, suite à l’appel de détresse qu’ils avaient reçu, ont facilité la sortie en catastrophe du personnel, par un couloir débouchant à l’arrière. Entretemps, d’autres envahisseurs se présentaient aux autres entreprises, du même genre ou non, leur intimant de cesser leurs activités et d’envoyer tous les employés chez eux.
Rappelons que cette action menée contre les entreprises du boulevard de l’Aéroport survenait après l’envahissement simultané de tous les sous-commissariats de Cité Soleil, y compris le quartier général de l’UDMO (Unité de Maintien de l’Ordre) situé dans la même juridiction. Pour mémoire, cette action avait entraîné la mort de huit policiers et la mise à sac de tous ces établissements qui ont été vidés de leurs contenus, armes, munitions et appareils de communications.
La genèse du conflit qui a rendu Barbecue fou de colère
Quand Barbecue entre en colère, gare à ceux qui l’ont provoquée, surtout ses alliés. C’est ce que Jovenel Moïse a découvert, bien que ce soit le petit peuple à en payer le pot cassé, en termes de vies fauchées, de maisons détruites, de familles sans abri et affamées.
Le tout a commencé, début mai, à la faveur des négociations entre les gangs et le Palais national, en vue de provoquer un répit dans le kidnapping. Ce cessez-le-feu a été trouvé à condition que le pouvoir verse 200 millions de gourdes chaque quinze jours à Jimmy Chérizier, qui se chargerait d’en faire la répartition entre les autres chefs de gang dont il se croyait être le supérieur. Mais il semble que ces derniers l’entendaient bien différemment. Car, Jovenel Moïse a décidé de faire la répartition du magot différemment.
En effet, tous les 200 millions de gourdes ne seront pas remises à Barbecue. Elles seront décaissées de la manière suivante : 50 millions à ce dernier tous les quinze jours, pour être partagées avec les hommes directement sous son autorité. Le reste à TiLapli, à Izo et à Lamò San Jou, chef de 400 Mawozo, à raison de 14 millions de gourdes chacun.
On affirme que Ardouin Zéphyrin a été chargé d’informer Chérizier de cette décision. Mais celui-là n’avait pu trouver les mots justes pour ramener son interlocuteur à la raison. On ne peut plus furieux, dit-on, Barbecue avait immédiatement ouvert la vanne des menaces verbales. Il semble que Jovenel Moïse et son entourage ne s’étaient pas laissé impressionner par les invectives de Barbecue.
Sur ces entre-faits, Jimmy Chérizier, après discussion avec ses lieutenants, avait décidé de « frapper fort », histoire de frapper l’imagination de Jovenel Moïse et de son entourage. D’où l’attaque simultanée dirigée contre tous les commissariats de Police et le quartier général de l’UDMO.
Malgré les dégâts causés par ces frappes et la gravité de la situation, le président ne voulait toujours pas « entendre raison ». Une attitude qui avait rendu Barbecue furieux. Voilà ce qui l’avait porté à terroriser les entreprises du boulevard de l’aéroport qui se trouvent dans l’orbite des territoires sous le contrôle des gangs armés.
Les policiers mécontents à leur tour
Si Jovenel Moïse a su faire le nécessaire, afin d’apaiser, de manière permanente, la colère de Barbecue, il n’a même pas levé le petit doigt pour satisfaire les revendications des policiers sous rémunérés ou « victimes d’arriérés de salaire ». Pourtant lors de la livraison des millions en liquidité aux chefs des gangs armés, ce sont des policiers qui assurent la sécurité des transporteurs, afin que les colis soient livrés sans encombre à destination.
Cette attaque des gangs armés de Barbecue a eu un impact immédiat sur le fonctionnement des entreprises. Au lendemain de cette perturbation spectaculaire des activités commerciales, au boulevard de l’Aéroport, le président directeur générale (PDG) de Behrman Motors a déclaré la fermeture de cette entreprise qu’il assimile à l’insécurité ambiante. Carl-Frédéric Behrman a déclaré, lors d’une intervention (mardi) que l’attaque de bandits est la principale cause de la décision de fermer son concessionnaire d’automobiles.
Behrman a profité de l’occasion pour expliquer que les employés de l’entreprise ont vécu de mauvaises heures de terreur et sont l’objet d’un traumatisme dont ils ne se remettront pas de sitôt. Celui-ci a également cru le moment opportun pour clarifier l’événement qui s’était produit. Car, selon lui, les bandits n’avaient pas eu le temps de pénétrer à l’intérieur de l’entreprise, à perturber la salle d’exposition des véhicules, tel que cela a été rapporté dans certains média. Il a informé, de surcroît, que les agents de sécurité préposés à la surveillance de ses installations, avaient réussi à tenir en respect les envahisseurs.
Suite à ces dernières attaques directes contre des entreprises nationales, des hommes d’affaires étrangers, qui se trouvaient, à la capitale haïtienne, au moment où les chefs d’entreprise vivaient ces moments d’extrême anxiété, n’ont pas caché stupéfaction, à observer cette spectaculaire impudence de la part des bandits perpétrant leur attaque en plein jour sans manifester « aucune crainte » de la Police. Sans savoir que dans l’Haïti de Jovenel Moïse, les forces de l’ordre (la Police) n’existent pas.
Un autre, compagnon de voyage du premier, a émis l’opinion selon laquelle « les investisseurs fuiront ce pays comme la peste ».
De toute évidence, les gangs armés ont les moyens de leur politique, car disposant d’armes de loin supérieures à celles que détiennent les policiers. Ils savent comment s’y prendre pour porter le pouvoir à faire droit à leurs demandes. De l’avis de plus d’un, ils sont capables de faire chanter le régime « avec impunité ». Jovenel Moïse et son équipe feignent ne pas comprendre la gravité de cette situation, s’imaginant, sans doute, que Barbecue et ses « soldats » seront toujours ses « amis », ne se souciant guère d’un revirement qui pourrait surgir dans la vie de ces criminels, au moment où il s’y attendrait le moins. L.J
cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur VOL. LI, No. 24 New York, édition du 16 juin 2021, et se trouve en P.1, 2 à : H-O 16 juin 2021