Activités illicites de Jovenel Moïse, la pointe de l’iceberg…

ASSASSINAT DE JOVENEL MOÏSE : UN CRIMINEL AUX COMMANDES DE LA RÉPUBLIQUE ?

  • Activités illicites de Jovenel Moïse, la pointe de l’iceberg…
  • L’article du New York Times aide à relier les points… Par Léo Joseph

Si l’assassinat du président de facto haïtien Jovenel Moïse a dominé l’actualité, au cours des six dernières semaines, l’article du quotidien The New York Times sur sa brutale exécution exposant les liaisons mafieuses qu’il a entretenues permet de lever le voile sur un monde de criminels dont il faisait ses alliés, dans la politique comme dans les affaires. Dans ce cas, l’enquête, côté haïtien, dans la mesure où elle s’oriente vers des motifs politiques, pour trouver les commanditaires de ce crime, fait fausse route et risque de tourner court. En attendant, je dis merci au quotidien new-yorkais d’éclairer les zones d’ombre qui existaient dans l’affaire du « Bateau sucré » dont une partie de la cargaison de la marchandise illicite avait été importée par le groupe Acra via sa firme Anabatco.

Avant d’entrer en plein dans le sujet, un rappel que je ne cesse de faire, à propos du président de facto défunt : Jovenel Moïse a prêté serment sous le coup d’une inculpation pour blanchiment d’argent. Alors devons-nous crier, honte à vous, personnes et institutions ayant contribué à rendre possible l’événement du 7 février 2017 (cérémonie de prestation de cet homme), en dépit des avertissements qui fusaient de toutes parts, dans la presse aussi bien que dans les interventions publiques. Vous êtes responsables de ce coup fourré dont Haïti est victime et de tous les malheurs que la présidence de cet homme a attirés sur notre pays. On doit se rappeler qu’ayant vassalisé totalement la Justice durant sa présidence, Jovenel Moïse n’a jamais eu à répondre de cette inculpation devant une cour de justice. À rien à faire, l’histoire retiendra de lui qu’il est le président d’Haïti ayant dirigé la nation sous le coup d’un dossier criminel !

Dimitry Hérard dans les lunettes de la Justice américaine

L’article du New York Times, dû à la plume de Marie Abi-Habib, braque le doigt accusateur sur Dimitri Hérard, chef de sécurité de Jovenel Moïse, pour son im – plication dans le trafic de stupéfiants, précisant qu’il était déjà sous enquête fédérale, dans le cadre de l’investigation sur la cargaison mixte de sucre, de cocaïne et d’héroïne que le bateau MV Manzanares, battant pavillon panaméen, avait débarqué au Terminal Varreux, en avril 2015, à Chancerelles. Hérard est signalé, le journal citant des sources officielles américaines, comme étant un des policiers identifiés dans l’enlèvement d’une partie de la cocaïne, plus d’une heure avant l’arrivée des agents de la Drug Enforcement Administration (DEA). Ces derniers, accompagnés de leurs collègues haïtiens de la Brigade de lutte contre le trafic de stupéfiants (BLTS), arrivèrent sur la scène environ deux heures plus tard. Tout a été emporté. Après des recherches et des fouilles ici et là, durant 28 jours, ils avaient fini par récupérer 120 kilogrammes de la marchandise. Mais, il était question de 800 kilogrammes de cocaïne et 300 kilogrammes d’héroïne, dont le coût sur le marché est évalué à USD 100 millions $.

L’auteure de l’article du New York Times, qui a interviewé des membres de la famille Mevs, a omis de faire un important distinguo dans l’affaire du MV Manzanares en indiquant que le navire avait accosté le quai de la famille Mevs. Pourtant, la décision d’accueillir ce chargement, en partie composé de marchandises illicites, était prise exclusivement par des hommes liés au gouvernement qui ont purement et simplement accaparé cette installation des entreprises de cette famille, dont Gregory Mevs a la charge. Mais c’est Bernard Mevs qui est mentionné par le New York Times. Des sources proches de la primature, à l’époque de l’arrivée de ce bateau, en Haïti, faisaient croire que l’entrée de ce navire au Terminal Varreux avait pu se faire, suite à un appel téléphonique de Laurent Lamothe à Bernard Mevs.

À l’époque où Haïti-Observateur, le premier journal à faire la chronique de l’événement, en avril 2015, suivi du Miami Herald, l’identité de Dimitri Hérard n’était pas révélée par nos sources, qui se contentaient uniquement de dire que des policiers s’étaient agglutinés sur la cargaison interdite. Après coup, je conclus que mes informateurs étaient des proches d’Hérard et ne voulaient pas lui causer des ennuis.

L’article du New York Times met l’affaire du « Bateau sucré » sous un nouvel éclairage nous permettant d’instruire plus objectivement l’incident, surtout d’identifier les acteurs et le rôle qu’ils ont joué individuellement. Avant d’entrer dans les détails, il faut comprendre qu’une opération qui avait fait tant de vague, dans la presse et au niveau de la Justice, aussi bien que dans l’opinion publique, ne pouvait être menée individuellement par le chef de sécurité, d’abord de Michel Martelly, qui était alors président du pays, avant de passer l’écharpe présidentielle à son dauphin, Jovenel Moïse, qui avait la responsabilité de défendre, bec et ongles, les intérêts de son prédécesseur. Cela veut dire que plusieurs acteurs étaient impliqués dans l’importation du cargo transporté par le MV Manzanares.

Mis aux arrêts, par la Justice haïtienne, pour ses responsabilités dans l’assassinat de son patron, tout semble indiquer qu’il est gardé en prison à la requête des autorités américaines, car étant sous enquête non seulement dans l’affaire du Bateau sucré, mais aussi dans un incident séparé, importation illégale d’armes.

L’équipe dont Jovenel Moïse a fait partie

Ceux qui persistent à demander justice pour le président de facto Jovenel Moïse feignant d’oublier que, de son vivant, il a tout fait pour que les assassins de Me Monferrier Dorval, bâtonnier de l’Ordre des avocats de Port-au-Prince et tant d’autres citoyens, dont l’élimination physique avait l’allure de crimes d’État courent indéfiniment. À la lumière des faits rapportés par The New York Times ajouté aux informations originellement disponibles sur les activités autour du MV Manzanares, la plus grande cargaison de stupéfiants importée en Haïti a impliqué de hautes autorités politiques du pays allié à des membres de la communauté détentrice de grosses fortunes du mon des affaires. C’est donc grâce à ces grosses légumes que même des agents de la DEA s’étaient vu faire des offres d’argent qu’ils ne pouvaient pas refuser, pour regarder ailleurs, tandis que les membres de cette vaste conspiration menaient leurs activités.

Comme dit le vieil adage, «qui se ressemble s’assemble». Avant que Michel Martelly n’eût jeté son dévolu sur Jovenel Moïse pour le remplacer, au Palais national, ce dernier s’acoquinait avec Magalie Habitant, grosse trafiquante de drogue devant l’Éternel. Des rumeurs persistantes faisaient état de ses activités occultes qui rapportaient des millions. Une enquête de l’Unité centrale de vérification fiscale (UCREF), organisme dont la responsabilité consiste à examiner l’origine des fonds déposés dans les comptes en banque, avait établi que le président élu Moïse et sa femme Martine Joseph Ētienne avaient plus d’USD un million $ sur un compte conjoint, à la Banque Nationale de crédit, dont aucune transaction ne pouvait justifier l’origine. Dans n’importe quel pays qui se respecte ou, évoluant sous l’égide de la démocratie, cela aurait suffi pour déclencher une enquête exhaustive sérieuse parallèlement au retardement de la prestation de serment de l’intéressé.

Le président de facto défunt, qui venait de lier connaissance avec le président Martelly dont l’implication dans le commerce de stupéfiants n’était un secret que pour la DEA, était déjà ami et associé en affaires d’Evinx Daniel, qui a présenté ce dernier au président. Celui-ci était un des premiers investisseurs dans l’entreprise de culture de banane Agritrans du président élu. Aussi, le propriétaire de l’hôtel « Dans’s Creek », à Port-Salut, dans le département du Sud, à quelque 35 kilomètres de la ville des Cayes, était aussi un trafiquant de drogue, doublé d’informateur de la DEA. Devenu. Il était, lui aussi, proche ami de Michel Martelly, venu à son secours, après avoir été arrêté et emprisonné aux Cayes par le commissaire du gouvernement d’alors, Jean-Marie Salomon. Me Salomon, accompagné d’une équipe de policiers, avait effectué une descente à Dan’s Creek, afin de mener une perquisition, suite au débarquement d’une cargaison de stupéfiants, dans la baie des Cayes. Les limiers du Parquet des Cayes avaient établi qu’un bateau appartenant à Evinx Daniel avait récupéré les paquets de cocaïne et de marijuana qu’un aéronef inconnu avait largués.

De sa cellule, Evinx Daniel a téléphoné au président Martelly qui passa immédiatement des instructions au ministre de la Justice d’alors, Jean Renel Sanon. Sans délai, celui-ci ordonna au commissaire Salomon de libérer Daniel. Suite à cet incident, le commissaire du gouvernement démissionna, avant de se porter candidat au Sénat.

Le trio Martelly, Moïse et Daniel

Quand des trafiquants de drogue ont le président de la République pour partenaire, ils ne doivent plus se faire de souci, quant à l’interférence des agents antidrogue de la Police dans leurs activités commerciales. Quand bien même de menus fretins évoluent dans l’orbite de ce trio, ils entretiennent individuellement leurs propres équipes, se protégeant l’un l’autre et prêtant main forte toutes les fois que l’occasion s’avère nécessaire.

Martelly, Daniel et Moïse avaient des activités occultes dont on ignore la nature, excepté qu’elles sont liées au commerce de stupéfiants. Des sources policières haïtiennes font croire qu’Évinx Daniel était devenu un « colis encombrant » pour le président, alors objet d’une enquête fédérale pour trafic de drogue. Selon ces sources, Evinx Daniel avait lié amitié avec Martelly, dans le but de révéler ses secrets aux hommes de la DEA. La décision a donc été prise d’éliminer physiquement le mouchard présumé. Cette tâche, apprend-on de source autorisée, a été confiée au beau-frère de Sweet Mickey, Charles Saint-Rémy, dit Kiko, une autre personne citée par l’article du New York Times comme étant un autre escamoteur de la drogue du MV Manzanares. Voilà un autre membre de l’équipe.

Le débarquement clandestin des sachets de drogue, qui se trouvaient dissimilés parmi les sacs de sucre importés par l’entreprise Nabatco, du groupe Acra, a été opéré par plusieurs secteurs. Dans son article, encore, Marie Abi-Habib, signale la présence de Dimitri Hérard et son équipe de policiers, ainsi que Kiko Saint-Rémy qui, lui aussi, avait ses gorilles. Il faut maintenant identifier les principaux acteurs à l’origine des différentes transactions ayant facilité l’arrivée en Haïti de la plus importante importation de stupéfiants jamais enregistrée au pays.

Michel Martelly, Jovenel Moïse, Kiko Saint-Rémy et consorts

Aucun doute, pour importer cette grande quantité de drogue, il fallait toute une mise en place, en termes de responsabilités relatives au financement et au paiement de la marchandise, après la vente. Mais il faut savoir que, contrairement à ce qui a été initialement allégué, le déchargement était sélectif. Dimitri Hérard et ses policiers, Kiko Saint-Rémy et les débardeurs affectés au Terminal Varreux, qui donnaient l’impression de détourner les balles de cocaïne et d’héroïne, les transportaient en lieux sûrs pour leurs propriétaires.

Tout d’abord, il faut se demander si les importateurs du sucre ignoraient la présence de la drogue parmi les sacs de la marchandise importée. Qu’est-ce qui avait porté la justice à inculper Sébastien Acra, le PDG de la Nabatco, qui avait été l’objet d’une interdiction de départ. Cela ne l’a pas empêché de se sauver pour aller séjourner en République dominicaine.

Jovenel Moïse, « élu » président de la République, Michel Martelly, son prédécesseur et mentor, a, selon toute vraisemblance, conclu deux marchés avec lui : placer Dimitri Hérard comme chef de la Sécurité présidentielle; et la prise en charge d’Acra comme « partenaire en affaires », à l’instar de Daniel Evinx et lui-même Jovenel Moïse.

À noter que le président élu devait effectuer une « visite privée », à Santo Domingo, moins d’un mois avant sa prestation de serment. Arrivé dans la capitale dominicaine, il avait vite aménagé une rencontre avec Sébastien Acra, un fugitif. Inculpé pour blanchiment des avoirs, il trouvait naturel de se réunir avec un prévenu recherché par la justice. Moïse avait profité de l’occasion pour rendre visite aussi au défunt général Henry Namphy.

On ignorait la teneur de la discussion que le président élu a eue avec l’homme d’affaires Acra. On sait, par contre, que ce dernier était de retour à Port-au-Prince, à la cloche de bois, peu après l’entrée officielle de Moïse, au Palais national. On sait aussi que le juge instructeur Berge O. Surpris avait été chargé du dossier. Il semble que le PDG de la Nabatco ait été également renvoyé hors de cause, on ne sait par quel juge. Assurément, Jovenel Moïse, manipulé par son prédécesseur, qui dictait leurs décisions aux juges, avait ordonné que soit accordée une main levée à M. Acra.

La manière dont ont évolué les événements, autour de l’affaire du « Bateau sucré » laisse croire que toute enquête en cours contre Dimitri Hérard doit également concerner Michel Martelly, Kiko Saint-Rémy, de même que les responsables du port où le MV Manzanares avait jeté l’ancre, ainsi que et Sébastien Acra. À cette liste devrait s’ajouter Laurent Lamothe, qui avait de mandé et obtenu autorisation pour que ce navire vienne accoster au Terminal Varreux.

Avant de conclure, il faut s’interroger sur l’origine des millions de dollars U.S. trouvés en la résidence privée de Jovenel Moïse, à Pèlerin 5, là où ses assassins présumés, d’anciens militaires colombiens, l’ont exécuté.

Personne ne peut faire croire qu’il s’agit d’argent propre. Mais une autre question à se poser, quel rôle jouait Dimitri Hérard auprès des exportateurs colombiens du cargo illicite ? Dans la mesure où le prix d’achat de la drogue n’a pas été versé à son propriétaire en tout et qu’il en restait une partie, qui avait la responsabilité de la payer ? Y a-t-il eu malentendu entre les différents acteurs impliqués dans l’achat de la cargaison illicite du MV Manzanares qui aurait dégénéré en accusations mutuelles? Qui, parmi tout ce monde, avait la responsabilité de défendre les intérêts des exportateurs colombiens ?

On ne peut pas oublier que Dimitri Hérard effectuait souvent des voyages en Amérique centrale, porteur de carte d’identité équatorienne ? Haut gradé de la Police nationale d’Haïti pourquoi, à l’occasion de ces déplacements, il ne présentait, de préférence, une pièce d’identité reflétant son grade dans la hiérarchie de la PNH ?

De toute évidence, Jovenel Moïse et son prédécesseur faisaient partie d’une clique de malfaiteurs dont tous les membres ne sont pas encore identifiés ou dont les noms sont tus, jusqu’à nouvel ordre. Cela semble inviter une enquête qui dépasse la compétence des autorités haïtiennes, mais qui concerne au plus haut point les Américains. En tout cas, dans cet ordre d’idées, se profile à l’horizon, ou bien est déjà en cours, une enquête multiforme. L.J.


Cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur VOL. LI, No. 32 New York, édition du 25 août 2021, et se trouve en P. 1, 2, 15 à : h-o 25 aout 2021