AFD-Ron Barceló et le Développement Économico-Social des Communautés des Bateyes (Suite et fin)
- ÉDUCATION DES JEUNES ET ENCADREMENT DES AÎNÉS par Léo Joseph
Tel qu’il a été démontré, dans l’édition précédente (7-14 août 2019), la Fondation AFD-Barceló, dont les installations se trouvent à Consuelito, dans la municipalité de Consuelo, à Sant Pedro de Macoris, République dominicaine, a mobilisé d’importantes ressources, afin de changer le lot des résidents des bateyes. Majoritairement d’origine haïtienne, ces familles, qui vivent dans des conditions précaires, d’aucuns diraient même infra-humaines, sont confrontées à un sombre avenir. D’ores et déjà, les personnes visées par ces initiatives humanitaires lancées par cette organisation commencent à en bénéficier les effets, les enfants qui ont excellé en classe, ainsi que les aînés des bateyes parvenus à l’âge de la retraite.
Grâce aux cérémonies de remise de prix aux enfants des bateyes, dont le succès académique les a signalés à l’attention des dirigeants de la Fondation AFD-Barceló, l’œuvre de celle-ci a été portée à l’attention du directeur d’Haiti-Observateur. Cette découverte a permis à ce dernier de prendre également connaissance
des activités que mène cette organisation auprès des résidents âgés des bateyes, qui ont consacré toute leur vie à couper la canne à sucre destinée, auparavant, à la fabrication du sucre, et depuis quelques années à celle de l’alcool, avant d’être transformée en rhum. D’où l’interview accordée à H-O par la directrice exécutive de la Fondation AFDBarceló, Bianca Iraida Velazco de Galindez.
Interventions en faveur des aînés dans les bateyes
Comme annoncé, dans le premier volet de cet article, les aînés dans les bateyes, notamment les retraités et ceux rendus inactifs par la maladie, sont des bénéficiaires directs de l’œuvre humanitaire de la Fondation AFD-Barceló. Mme Velazco de Galindez a parlé de long en large des activités menées en faveur des résidents les plus vulnérables de ces communautés.
Précisons, d’entrée de jeu, que de la Fondation AFD-Barceló est née de la fusion de la société « Yazoo Investments », elle-même fondée en 2003, avec Alcoholes Finos Dominicanos (AFD) et Ron Barceló. Répondant aux questions de Léo Joseph, Mme Velazco de Galindez a expliqué que « le programme humanitaire développé par l’institution a pris naissance a la suite d’une enquête menée auprès des communautés des bateyes, particulièrement celle voisine du siège de la Fondation, Consuelito ».
L’étude menée a permis, dit-elle, d’élaborer « un programme visant, d’une part, à changer les conditions de vie de la nouvelle génération et, d’autre part, à prodiguer des soins en matière de santé et d’alimentation aux aînés rendus vulnérables par l’âge et la retraite ».
En effet, a précisé Bianca Iraida Velazco de Galindez, «l’enquête qu’avait diligentée la Fondation, dans les bateyes, notamment dans celui de Consuelito, a permis d’établir la vulnérabilité des personnes âgées, une condition affectant les retraites et leurs épouses. Celles-ci manquent de ressources nécessaires pour avoir accès aux soins médicaux dont elles ont pourtant grand besoin, en plus d’être privées de moyens pour se nourrir convenablement ». Aussi sont-elles doublement victimes de manque d’attention en matière de santé et de nourriture adéquate et suffisante. Quand bien même les voisins se montreraient solidaires à l’égard des aînés, l’attention qu’ils leur portent ne saurait suffire pour leur garantir une vie normale, en raison du fait que, d’une manière générale, le salaire des coupeurs de canne ne suffit guère à suppléer aux carences que subit cette catégorie de la population des bateyes.
Selon Mme Velazco de Galindes, 27 personnes en situation précaire ont été recensées à Consuelito, l’année dernière, dont six femmes, tandis que 17 ont été dénombrées, cette année, parmi elles deux femmes.
Une fois identifiés, les vieux sont quasiment pris à charge par la Fondation dont les représentants les suivent de près afin de s’assurer que leurs besoins sont satisfaits. Cela veut dire, précise la directrice exécutive de la Fondation, « intervenir de manière ponctuelle pour qu’ils ne soient pas privés de nourriture; pour qu’ils aient aussi accès aux soins réguliers et gériatriques que réclame leur condition ».
Conscients des conditions dans lesquelles vivent ces familles, particulièrement les retraités, qui sont âgés et totalement démunis, les responsables de AFD-Barceló interviennent aussi « dans les cas de décès », assumant les dépenses liées aux funérailles. C’était, d’ailleurs le cas, à l’occasion de la mort récente du président de l’association des résidents de ce batey plongeant dans la peine sa jeune femme et ses enfants. Pire encore, ces derniers sont désormais confrontés à l’incertitude de la vie, car privés de moyens de gagner leur vie.
Une intervention providentielle
Indéniablement, l’initiative de la Fondation AFD-Barceló, dans le domaine de l’éducation, en faveur de la nouvelle génération des enfants nés dans les bateyes, entre dans le cadre d’une décision historique, dans la mesure où les immigrants d’origine haïtienne sont généralement considérés comme des « intrus » indignes de bénéficier des avantages offerts par la société et l’État dominicains. Aussi la prise en charge, même de manière limitée, des personnes âgées des bateyes constitue-t-elle une intervention providentielle. Surtout que l’indisponibilité de soins médicaux aux coupeurs de canne, en général, constitue la première préoccupation de ces familles. C’est, d’ailleurs, ce constat qui avait incité Jean-Claude Valbrun, le président de la fondation « Hispaniola Debout », à prendre l’engagement de construire la Clinique Jacques Viaud, dans l’orbite du batey Consuelito, et qui ambitionne de desservir également les familles de cou peurs de canne des autres bateyes environnants.
En effet, lors de sa première visite à Consuelito, entre juin et juillet 2011, en compagnie de son épouse et de son fils, M. Valbrun avait observé, la mort dans l’âme, un ancien coupeur de canne cloué au lit par la maladie, et qui était à l’article de la mort, sans recevoir de soins médicaux. Avant de prendre congé de lui, Valbrun lui fit la promesse qu’il fera construire une clinique où il pourrait recevoir des soins gratuitement. Mais ce serment n’allait pas se concrétiser à temps pour être utile à cet homme, qui avait rendu l’âme une semaine après le passage des Valbrun à Consuelito.
Il semble que la visite de ce dernier à ce batey ait coïncidé avec l’enquête que menait la Fondation AFD-Barceló sur les conditions de vie de ces résidents ayant culminé à la mise en œuvre du programme humanitaire de cette institution.
De toute évidence, eu égard aux soins de santé dont bénéficient désormais les familles des bateyes, la Clinique Jacques Viaud (Fondation Hispaniola Debout) et la Fondation AFD-Barceló se complètent parfaitement, car ayant le potentiel d’œuvrer en tandem pour satisfaire les besoins en soins médicaux de ces familles défavorisées.
Mais qu’en est-il du logement des familles des bateyes ?
Incontestablement, la disponibilité de la Clinique Jacques Viaud et les initiatives de la Fondation AFD-Barceló en faveur des communautés des bateyes constituent des pas de géant dans l’humanisation de la vie de ces familles. Par contre, les logements mis à leur disposition constituent un spectacle qui choque la vue, dans une République dominicaine en pleine expansion économique et sociale, en sus d’avoir la prétention de rivaliser avec les pays développés.
À considérer les progrès réalisés dans le domaine de l’urbanisme, sous les différents chefs d’État dominicain qui se succédé au pouvoir, au cours des cinquante dernières années, il est opportun de poser la question de savoir qu’en est-il du logement mis à la disposition des familles des bateyes ?
S’il existe des demeures à l’aspect moins choquant qui ponctuent le paysage de Consuelito ― et des bateyes en général ―, il est tout aussi bien évident que celui-ci se présente, pour la plupart, comme un « village de taudis », dont la construction remonte à plus de 75 ans.
À part quelques bicoques construites après le tremblement de terre du 12 janvier 2010 ayant une allure moins primitive, grâce à la coopération des Nations Unies avec l’USAID, la majorité des « résidences » de Consuelito tombent dans la catégorie de taudis qui ont été bâtis avant même l’avènement de Léonidas Trujillo. La modernisation a beau transformer le paysage urbaniste de la République dominicaine, y compris les usines qui produisent la canne à sucre, mais elle laisse inchangé l’aspect physique des bateyes.
À qui incombe la responsabilité d’effectuer les changements qui s’imposent aux logements des braceros et leurs familles ? D’aucuns diraient le propriétaire de l’espace où se situe le batey. Est-ce la municipalité de Consuelo, autorité juridictionnelle de Consuelito ? Sinon la province de San Pedro de Macoris ? Ou encore le gouvernement central ? Ou les trois entités à la fois ? En tout cas, le débat devrait être lancé autour de cette situation jugée inacceptable en plein 21e siècle.
Le 18 juillet 2018, s’était tenue, au Campo Azul Club, à la municipalité de Ramòn Santana, dans la province de San Pedro de Macoris, une cérémonie au cours de laquelle les enfants des bateyes, majoritairement d’origine haïtienne, avaient été reconnus pour leur succès académique, en sus de recevoir des prix. Un événement similaire a été organisé le 12 juillet 2019, à l’auditorium du campus UC, à San Pedro de Macoris. Les deux derniers d’une série ayant débuté depuis plusieurs années, ces phénomènes s’inscrivent dans le cadre des programmes mis en train par « Fundación Alcoholes Finos Dominicagos-Ron Barceló » mettant ensemble leurs ressources, en vue de changer le sort des communautés des bateyes et des couches défavorisées de la République dominicaine.
En effet, tant en 2018 qu’en juillet 2019, la distribution de prix aux élèves les plus performants de plus d’une vingtaine de bateyes de la juridiction de San Pedro de Macoris, a été réalisée en présence de Bianca Iraida Velazco de Galindez, directrice exécutive de la Fondation AFD-Ron Barceló, ainsi que d’autres responsables de cette institution. Était également présent à la version 2019 de la remise de prix offerts par AFDFondación Ron Barceló l’avocat Bolivar Sosa Sariano, directeur régional d’Éducation 05, ainsi que d’autres dirigeants du système éducatif de San Pedro de Macoris. Sans oublier des membres du conseil de direction de la Fondation. De même que Jean-Claude Valbrun, président d’Hispaniola Debout, l’organisation qui a créé la Clinique Jacques Viau, proche du batey Consuelito, dans la municipalité de Consuelo, dans la province de San Pedro de Macoris.
Prenant d’abord la parole, à la cérémonie du 12 juillet, tout comme c’était le cas, en 2018 et avant, Mme Velazco de Galindez a félicité chaudement ces enfants, promettant que la Fondation AFD-Ron Barceló s’engage à les accompagner dans leurs études, tout le temps que leur succès académique demeure consistant. En présence de parents et de quelques enseignants, en sus d’autres personnalités du monde de l’Éducation, cette dernière, qu’on peut considérer, à juste titre, comme la force motrice derrière l’œuvre humanitaire de la Fondation, a réitéré, à cette nouvelle fournée d’élèves, les promesses qui avaient été faites antérieurement à leurs prédécesseurs honorés dans le passé, comme eux aujourd’hui, et dont elle considère la réussite comme une récompense de ses efforts, voire une victoire personnelle.
Promesses solennelles aux enfants défavorisés
Non seulement les élèves venant des bateyes et des quartiers défavorisés ayant excellé à l’école sont félicités par les responsables de la Fondation AFD-Ron Barceló, en plus d’avoir reçu des cadeaux d’eux, ils ont entendu les mêmes serments qui avaient été faits à l’endroit des promotions antérieures. Au nom de la Fondation, les dirigeants ont répété de manière solennelle leurs promesses faites antérieurement, depuis le commencement du programme « Sur la voie du succès », à des centaines d’écoliers originaires des bateyes ou provenant de familles moins fortunées. Rappelons, en passant, que « Sur la voie du succès » est le slogan qui véhicule ce programme scolaire sur lequel repose le changement de vie et de statut social d’une catégorie d’hommes et de femmes qui, abandonnés à eux-mêmes, n’ont autrement aucune chance de laisser leur marque dans la société où ils vivent.
Voici en quels termes s’expriment les engagements de la Fondation à l’égard de ces catégories sociales : l’éducation des élèves, qui se signalent par leurs performances académiques sera quasiment prise en charge par cette entité à but non lucratif. Leurs parents n’auront pas à se soucier des frais scolaires ou des coûts du transport et d’uniforme, etc. Ceux qui parviennent à décrocher un diplôme universitaire ont la garantie d’un emploi à l’usine.
Jouant le geste à la parole, l’usine AFD-Ron Barceló engage plusieurs jeunes haïtiens nés dans les bateyes. C’est, par exemple, le cas de Hendrix Eusebio, qui travaille dans le département de projets touristiques, dont l’une des attributions consiste à accompagner les visiteurs faisant le tour des installations, ayant soin de les exposer aux différentes phases de la production du rhum, de les informer des différentes qualités de rhum distillées ainsi que les principaux pays importateurs de ce produit. Lors d’une récente interview avec Haiti-Observateur, M. Eusebio a identifié les principaux pays importateurs du rhum Barceló comme étant, à tout seigneur tout honneur, la République dominicaine; puis s’alignent l’Espagne, le Chili et les États-Unis d’Amérique, pour ne citer que ceux-là.
Effectuant toujours la visite de l’usine avec les visiteurs, Hendrix Eusebio a montré les différentes phases du processus de distillation, notamment les tonneaux géants où s’effectue le vieillissement de l’alcool réalisé par l’entreprise sœur, Alcoholes Finos Dominicanos (AFD). M. Eusebio a précisé que AFD transforme 60 % de la canne à sucre récoltée en alcool à l’intention de l’usine Barceló qui en fait du rhum.
Un autre jeune Haïtien né dans un batey, qui se signale au sein du personnel de l’usine Barceló, est l’assistant de la directrice exécutive de la société, Mme Bianca Iraida Velazco de Galindez. Il va sans dire qu’il joue un rôle important dans les initiatives sociales de la Fondation, encouragé par sa patronne qui marque fortement son dévouement à la cause des déshérités du sort.
Bianca Iraida Velazco de Galindez fait la genèse de la politique humanitaire d’AFD-Ron Barceló
En raison de la politique jugée discriminatoire de la République dominicaine, à l’égard des ressortissants d’Haïti, en résidence illégale sur son territoire, le programme d’aide économique et sociale élaboré par la Fondation AFD-Ron Barceló est accueilli tout au moins avec scepticisme par la grande majorité des Haïtiens. Dans la presse en général, aussi bien que dans les médias sociaux, sont colportés des incidents faisant état de mauvais traitements infligés aux immigrés haïtiens par les autorités dominicaines, notamment les « discriminations massives » opérées par les militaires dominicains ayant occasionné la séparation inconsidérée des familles. Trop souvent sont rapportés des raids effectués à la faveur desquels des maris sont séparés de leurs épouses et des mères de leurs enfants. Les organes de défense des droits des immigrés, comme le GAR, dénoncent bien souvent des cas de jeunes haïtiens nés en République dominicaine, qui sont ramassés par les autorités pour être déportés, sans aucune considération vers Haïti, pays qu’ils ne connaissent pas, en plus de n’y avoir personne pour les accueillir.
De tels incidents ont, au fil des ans, fait naître une certaine animosité à l’égard des autorités dominicaines chez les Haïtiens, tant ceux vivant au pays que dans les communautés basées à l’étranger. Cela se comprend bien quand les événements concernant les Haïtiens dans l’État voisin portent presque exclusivement sur des faits négatifs pour ces derniers. Par exemple, la presse dominicaine est le plus souvent riche en reportages faisant état de groupes de ressortissants haïtiens ou de citoyens d’origine haïtienne humiliés par les autorités avant d’être déportés vers le côté ouest de l’île; ou bien des cas de lynchage d’Haïtiens pour des infractions qui leur sont imputées; quand il ne s’agit pas de leurs droits humains bafoués par des citoyens privés ou des autorités policières/militaires.
De toute évidence, la visite du directeur d’Haiti-Observateur (H-O) à San Pedro de Macoris, dans le cadre des activités relatives à la construction, à l’inauguration puis au fonctionnement de la Clinique Jacques Viau, lui a permis d’avoir un différent son de cloche par rapport à la réalité à laquelle sont confrontés les coupeurs de canne et leurs familles. Aussi le discours véhiculé par la directrice exécutive de la Fondation AFD-Ron Barceló et le programme humanitaire élaboré par celle-ci à l’intention des enfants des bateyes et des familles démunies, en général, ont-ils piqué la curiosité de Léo Joseph voulant s’informer objectivement, au profit des lecteurs du journal, par rapport à la politique de la Fondation. Car celle-ci semble s’orienter dans une direction tout à fait différente de ce que constate le monde entier à travers les informations véhiculées dans la presse.
En effet, l’interview accordée au directeur d’H-O par Mme Velazco de Galindez donne l’opportunité de mesurer l’aide offerte par la Fondation dans toutes ses dimensions et son impact potentiel sur les communautés ciblées. Dans la prochaine édition, les lecteurs auront l’occasion de prendre connaissance des révélations de la directrice exécutive de la Fondation sur le projet élaboré par celle-ci pour changer la vie des familles reléguées au bas de l’échelle économico-sociale de la République dominicaine.
cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur, édition du 21 août 2019 Vol. XXXXIX no.32/33, et se trouve en P.1, 2, 8, 15 à : http://haiti-observateur.info/wp-content/uploads/2019/08/H-O-21-aout-2119.pdf