Avec un Nouveau DG à la PNH, S’Amplifie la Crise D’Haïti
- ÉDITORIAL
Haïti s’enfonçait déjà, depuis quelque temps, dans une crise multidimensionnelle devenue encore plus aiguë, au fil des ans, et qui prend des proportions gigantesques, depuis l’assassinat du président de facto, sous la houlette d’un Premier ministre de fait aggravant davantage la situation. Mais il vient s’ajouter une nouvelle couche d’instabilité, avec la nomination d’un nouveau directeur général, à la Police nationale d’Haïti (PNH). Notre vernaculaire explique de manière idéale la présente situation du pays : « Kouri pou lapli, tonbe nan basen » (« Fuir la pluie pour atterrir dans un torrent »).
Léon Charles dit démissionnaire, a laissé la porte ouverte au choix d’un successeur, par le Premier ministre nommé par Jovenel Moïse, assassiné avant de lui avoir donné l’investiture. Mais le voilà exerçant le pouvoir hors la loi et la Constitution, nommé à la seconde plus haute fonction du pays par des agents étrangers, s’empressant de nommer le remplaçant du DG démissionnaire, quasiment à la cloche de bois. Aussi ce choix n’a-t-il pas fait l’objet, comme on devrait s’y attendre, en raison de l’importance de la fonction, d’une enquête de sécurité en bonne et due forme. Il s’agit — cela va de soi — d’une décision basée sur le copinage, une coutume pratiquée par les régimes PHTKistes dirigés, tour à tour, par Michel Joseph Martelly et Jovenel Moïse, dont hérite Ariel Henry, sous la dictée du défunt président de facto passant des instructions depuis la tombe.
Il semble que Frantz Elbé, qui remplissait le rôle d’inspecteur général de la PNH, ait été parachuté à la Direction générale, à la suggestion d’un grand manitou du PHTK, non identifié, mais qu’on présume être l’ex-président musicien, chanteur du compas, Martelly, targué de « Sweet Mimi » bien qu’il s’octroie, de préférence, le titre de « Bandit Létal». Quoiqu’on dise concernant une hypothétique zizanie ayant existé entre ce dernier et le président de facto défunt, Martelly reste le patron du pouvoir tèt kale et participe aux grandes décisions d’État que prenait Moïse, et Henry après lui. Tout cela, dans le cadre de la stratégie visant à assurer la continuité PHTKiste au timon des affaires de la République.
Dans la logique du Dr Henry et de son équipe, il suffit de remplacer les fonctionnaires improductifs pour résoudre les crises qui assaillent la nation. De même, croient-ils, un nouveau directeur général, à la tête de la PNH, garantit la disparition des gangs armés et l’effacement de l’insécurité. Une hypothèse plus d’une fois prouvée fausse. Puisque, les différents directeurs généraux appelés à la rescousse contre l’insécurité, désormais développée à part entière, n’ont pas su arrêter son évolution, pour éviter qu’elle ne devienne l’hydre qu’elle est aujourd’hui. Au fait, de Godson Orélus à Frantz Elbé, en passant par Michael Gédéon et Normil Rameau, les bandes armées se sont progressivement imposées, par rapport aux forces de l’ordre, jusqu’à ce qu’elles deviennent, sous la présidence de Jovenel Moïse, cette force incontournable qu’on connaît aujourd’hui.
Aucun doute, la préoccupation première d’Ariel Henry ne saurait être l’élimination de la corruption, de la mal gouvernance et de la victoire sur les gangs armés faisant régner l’insécurité sur toute l’étendue du territoire national, mais davantage sur Port-au-Prince. Dans cet objectif, le choix du directeur général de la Police doit tenir compte de l’individu appelé à remplir cette fonction pour qu’il sache agir en fonction de l’idéal PHTKiste.
En effet, tous les directeurs généraux, qui se sont succédés, au cours des dix dernières années, semblent avoir observé « le respect de la règle du silence » par rapport aux mauvais traitements auxquels est astreint la PNH, en matière d’équipements et de rémunérations. Car, sans doute, sous peine de « représailles innommables », la hiérarchie se garde de se plaindre d’armements supérieurs et de munitions en abondance que reçoivent les gangs armés créés et financés par le pouvoir, au détriment des forces de l’ordre. Par exemple, personne n’ose dénoncer les commandes d’armes placées au nom de la Police nationale, qui sont, de préférence, distribuées aux criminels proches du pouvoir. Quand les munitions ne proviennent pas des États-Unis, elles sont commandées ailleurs, en Israël ou jusqu’au Vietnam, dont la grande partie est remise aux chefs des gangs au service des dirigeants. Bien souvent, les policiers envoyés en mission, surtout contre les bandits, en viennent à manquer de munitions face à des hors-la-loi qui n’en manquent pas. Il ressort que les agents de la PNH se retrouvent en situation d’infériorité par rapport à ces derniers, en termes de puissance de feu, également de munitions.
Précisément pour ces raisons, les dirigeants PHTKistes se gardent d’introduire dans leur administration des personnes aux « comportements suspects », ou jugées peu enclines à s’intégrer à leur système corrompu et criminel. Aussi, pour Ariel Henry, Frantz Elbé représente-t-il le candidat idéal. Le voilà donc bombardé directeur général de l’institution policière haïtienne décriée pour son inefficacité, mais encore et surtout, pour les actes criminels dont sont accusés certains de ces membres. Dans cet ordre d’idées, elle a besoin d’un dirigeant du genre de ceux qui sont dotés de capacités et de la volonté de changer la donne, d’imposer le nettoyage nécessaire, afin de redorer le blason de cette noble corporation, d’y ramener la cohésion, l’harmonie et la satisfaction générale, des qualités qui font cruellement défaut dans les rangs de la PNH.
Certes, le Premier ministre de facto et son équipe sont allés trop vite en besogne, en jetant leur dévolu sur Frantz Elbé, pour remplacer Léon Charles. Ce dernier, dont la démission, ou la révocation, était réclamée par la quasi-totalité de la nation, mérite un successeur doté d’attributs d’intégrité, de rectitude, de moralité impeccable, et qui soit à l’abri de tout soupçon. Malheureusement, l’homme appelé à la direction de la PNH est le contraire de ce dont celle-ci a besoin pour qu’elle puisse se refaire une virginité. Les actes passés de M. Elbé le rattrapent, faisant de lui un criminel impénitent, tout au moins un violateur irrécupérable des droits humains.
En effet, les organisations de défense des droits humains, principalement le Réseau national de défense des droits humains (RNDDH), accusent Frantz Elbé d’avoir des liens avec les criminels, surtout quand il dirigeait le commissariat des Croix des Bouquets, au début des années 2000. Citant Rosy Auguste Ducéna, le quotidien The Mia- mi Herald expose les méfaits de M. Elbé, dans un article publié dans l’édition du 1er novembre, sous la plume de Jacqueline Charles. Ancien inspecteur général de la PNH, le journal fait état de l’implication du nouveau directeur général de l’institution « à la répression policière » et aux « mauvais traitements en matière des droits humains », qui remontent au commencement des années 2000. Les dénonciations de Mme Ducéna lient ce dernier à Jean Élie Muller, communément appelé «Ti-lie », le précurseur des kidnappeurs de la région de Croix des Bouquets. Aussi bien qu’à d’autres gangs armés. Mais ce sont surtout ses relations avec Jean Élie Muller, dont il est le parrain du fils, et dont un enlèvement spécifique faisait pleurer presque tout le pays, qui attire l’attention. Il s’agit du kidnapping de l’étudiante Farah Natacha Kerby, 20 ans, en novembre 2006. Enlevée par le groupe dirigé par Muller, la jeune femme fut violée, torturée, eut les yeux crevés (à l’aide d’acide versés sur eux), avant d’être tuée, et le cadavre jeté sur un amas de fatras, à Santo. En dépit du fait que la rançon exigée pour sa libération ait été payée.
L’article en question fait également allusion à la vague de répression déclenchée, au cours de l’année 2004, par des policiers, sous l’administration du président Jean-Bertrand Aristide, contre les activistes politiques manifestant dans les rues contre le gouvernement de ce dernier. Le nom de Frantz Elbé est également cité comme ayant joué un rôle actif dans des actes de répression de ces derniers, à cette époque où la Police était très politisée. Une façon de relever la consistance des actes répréhensibles dont il est accusé.
Avec de telles imputations portées contre lui, une administration soucieuse de bien servir son pays n’aurait la moindre idée de choisir un tel individu comme directeur général de la Police. Dans le cas d’Elbé, Ariel Henry, que de nombreuses voix s’élèvent pour exiger le départ de la primature, tout au moins, ce mauvais jugement le rend indigne d’exercer cette haute fonction. L’équipe d’Exécutif monocéphale qu’il dirige, de concert avec un directeur général de la PNH de l’acabit du successeur de Léon Charles, ne fera qu’amplifier les crises dans lesquelles est enfoncée la nation. Il y a donc de quoi crier pour que Frantz Elbé soit remplacé immédiatement comme DG; et qu’en même temps la porte de sortie de la primature soit montrée à Ariel Henry.
Cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur VOL. LI, No. 42 New York, édition du 3 novembre 2021, et se trouve en P. 10 à : h-o 3 nov 2021