DÉBAT INTER-HAÏTIEN SUR LE 7 FÉVRIER, 2021 OU 2022 ? par Léo Joseph

L’histoire, un étrange perpétuel recommencement La démobilisation déjà mise en branle au Palais national…

  • DÉBAT INTER-HAÏTIEN SUR LE 7 FÉVRIER, 2021 OU 2022 ? par Léo Joseph

Alors qu’un débat de sourds continue de faire rage entre les adeptes du 7 février 2021 et les tenants du 7 février 2022, tandis que la gent au pouvoir, manipulé par Jovenel Moïse et ses stratèges politiques, mènent des initiatives donnant l’impression que celui-ci entend passer 415 jours encore au Palais national, l’équipe au pouvoir prend, en catimini, toutes les précautions pour ne pas se laisser prendre de vitesse par la date réelle de la fin du mandat constitutionnel de Nèg Bannann nan. À la lumière des événements qui ont marqué les fins de règne de la dynastie duvaliériste et de la dictature avortée de Jean-Bertrand Aristide, cette boutade est en passe de se confirmer : « L’histoire est un perpétuel recommencement ».

En effet, l’histoire contemporaine la plus récente d’ Haï ti met en évidence la même attitude des régimes ayant des velléités dictatoriales se démerder pour rester au pouvoir, une fois confrontés à la fronde populaire prenant l’allure de démarches oppositionnelles multiformes, multiplient les déplacements de leurs émissaires à l’étranger. Sentant venir la fin, telles des personnes prises dans des courants violents s’accrochant à toute branche en vue, ils se lancent dans une campagne tous azimut, dans une vaine tentative de renverser la vapeur. Dans leur logique, il est encore possible d’arrêter la fureur de la communauté internationale se déchaînant contre eux, après un si long silence et une tolérance coupables. Ayant pillé les caisses de l’État sans retenue, au cours des dix dernières années, et même plus, Jovenel Moïse et les PHTKistes estiment avoir une caisse bien garnie de millions pour financer leur campagne visant à la rétention du pouvoir. À leur sens, cracher quelques millions, ici et là, permettant de préserver les privilèges et opportunités disponibles uniquement quand on est au pouvoir vaut son pesant d’or. D’où les initiatives de dernière heure des hommes et femmes de l’entourage de Jovenel Moïse dans lesquelles sont investis les fonds de l’État, au lieu de payer les sommes dues aux milliers d’employés de l’administration publique, dont certains attendent des arriérés de salaire remontant jusqu’à vingt-huit mois.

Voyages à des capitales étrangères, des lobbyistes engagés Suite à la levée de boucliers de la communauté internationale dénonçant avec véhémence les crimes d’État perpétrés par l’équipe au pouvoir, en Haïti, la corruption et la mauvaise gouvernance, qui sont l’apanage de l’administration PHTKiste, Jovenel Moïse et ses proches collaborateurs réalisent que la donne a changé, au sein de la communauté internationale, et que tous les espoirs qu’ ils avaient misés sur le 7 février 2022, comme étant la date de la fin du mandat de Nèg Bannann nan, se sont évanouis. Aussi se lancent-ils dans de nouvelles aventures, somme toute, sans lendemain, dans l’espoir de renouer avec la situation ante. C’est encore les caisses de l’État qui sont appelées à faire les frais de cette dernière folie de l’équipe Moïse-Jouthe. Ici encore, elle continue de méconnaître les priorités du pays, négligeant l’essentiel au profit de ses ambitions personnelles.

Le voyage de Claude Joseph, ministre haïtien des Affaires étrangères, à la capitale dominicaine, à la tête d’une délégation de 50 personnes (la plus nombreuse qui ait été jamais fait avec un membre de l’Exécutif), a déclenché la campagne de dénonciation de la politique générale du régime en place.

En effet, les entretiens que le chancelier haïtien a eus avec les autorités dominicaines prit l’allure d’une provocation pour celles-ci, dont le silence ou les réserves diplomatiques affichés à l’égard du visiteur haïtien a inspiré l’article du journal dominicain Listin Diario montant en pingle, surtout les massacres perpétrés dans les bidonvilles du pays; en sus de dénoncer l’épidémie d’enlèvements contre rançon qui s’est abattue sur le pays, mais particulièrement, à Port-au-Prince. L’article en question, on se souvient, publié dans l’édition du 7 décembre, a comme servi d’introduction à l’intervention du CORE Group, composé des ambassadeurs américain, canadien, allemand, français, brésilien, de l’Union européenne (UE), de la représentante du secrétaire de l’ONU et de celui de l’Organisation des États américain (OEA) exposant le crime battant son plein dans le pays sous la présente administration. Cette entité s’érigeant en apologiste de Jovenel Moïse, presque tout au long de son mandat, lui a tourné le dos, de manière non équivoque, prenant carrément ses distances par rapport aux derniers décrets de ce dernier créant l’Agence d’intelligence nationale (ANI), dont la sphère d’attribution consiste à sévir sans pitié contre la dissidence sous toutes ses formes et donnant à ses gorilles les moyens d’étouffer toute opposition à son gouvernement, sans restrictions légales.

Les propos utilisés dans le communiqué du CORE Group ne laissent aucun doute quant à la nature de la rebuffade infligée à Jovenel Moïse et à son équipe : « Ces deux décrets présidentiels, pris dans des domaines qui relèvent de la compétence d’un Parlement, ne semblent pas conformes à certains principes fondamentaux de la démocratie, de l’État de droit et des droits civils et politiques des citoyens ». Ce coup de massue infligé aux gens au pouvoir en Haïti signifie que le vent a changé. La lune de miel entre la communauté internationale et le régime PHTK a vécu.

Sur ces entre-faits, Jovenel Moï se tente de sauver les meubles, s’imaginant qu’il est encore temps d’influencer les décisions des pays dits amis d’Haïti. Dans le cadre de la stratégie mise sur pied à cette fin, il mobilise des ressources immenses. Voilà pourquoi des millions sont engagés afin de suggestionner l’opinion internationale, au niveau des gouvernants, aussi bien en essayant de sensibiliser les milieux intellectuels exogènes.

Une stratégie à double action

Pour influencer l’opinion internationale, le locataire du Palais national et ses collaborateurs ont mis sur pied une stratégie à double action, une destinée à la consommation interne, et l’autre visant la communauté internationale.

En effet, par le truchement de ses thuriféraires locaux, Jovenel Moïse s’applique à passer en dérision les opposants en général, arguant que, collectivement, ces derniers ne jouissent d’aucune crédibilité auprès des acteurs étrangers. Dans sa logique tortueuse, il semble vouloir présenter le PHTK comme l’unique alternative à Jovenel Moïse. Histoire de faire croire que fort aise de l’administration Moïse-Jouthe, le peuple haïtien n’est pas sur le point de « changer de monture au beau milieu de la rivière».

Mais, dans le cadre de son offensive auprès des « amis » d’Haïti, Nèg Bannann nan s’inspire de la stratégie de Jean-Claude Duvalier et de Jean-Bertrand Aristide confrontés à la résolution du peuple haïtien d’en finir avec leurs gouvernements.

Suivant sans doute les conseils de Bocchit Edmond, ancien chancelier récemment nommé ambassadeur à Washington, le chef d’État haïtien a engagé les services d’un groupe de lobbyistes, précisément celui auquel est affilié l’Espagnol Antonio Sola, et qui s’appelle Damian Merlo, pour la bagatelle de USD 8 mille $ le mois. Sola n’est pas à son coup d’essai dans le monde PHTKiste. Il avait été engagé pour mener la campagne électorale de Michel Martelly, et plus tard, celle de Jovenel Moïse. Mais cette fois, c’est à Washington que le contrat a été signé, de concert avec Damian Merlo, selon toute vraisemblance sur la recommandation du nouvel ambassadeur d’Haïti à Washington, Edmond. Ce dernier préconise le recours aux lobbies pour mener une politique diplomatique à succès. Un concept que Ray Joseph, ancien ambassadeur d’Haïti à Washington, pour une période de dix ans, avait réfuté avec véhémence. Car, disait-il, il avait mené, avec satisfaction, une série de négociations ayant permis à Haïti de bénéficier de gros avantages. Sans jamais verser un seul sou. D’ailleurs, l’ex-Premier ministre intérimaire, Gérard Latortue, était intervenu dans le dossier en disant que « (…) quand on a la compétence, on n’a pas besoin de lobbyistes, que je considère comme des mercenaires. Le problème des gouvernements qui ont recours aux lobbyistes, ce sont ceux qui font fi de la compétence des nationaux, qu’ils soient ambassadeurs, ministres et même du secteur privé des affaires en cas de besoin ».

Il faut signaler que les acteurs ne lésinent jamais sur les moyens ni les occasions pour faire engager des lobbyistes, parce qu’il y a de juteuses commissions à réaliser sur les contrats.

Quand les régimes au pouvoir, en Haïti, se trouvant confrontés à la colère populaire se croient menacés par des manifestations de plus en plus nombreuses et agressives, au point de mettre en péril leur survie, ils estiment le moment venu de faire appel aux lobbyistes. Cette décision est prise généralement quand la communauté internationale, Washington en tête de liste, commence à émettre des communiqués réprobateurs, suite à des dénonciations répétées de violations des droits humains dans la presse internationale. Dans ce cas, les régimes deviennent l’objet de vives critiques dans la presse pour leur abus de pouvoir et des violations systématiques de droits de citoyens.

Aristide avait, ainsi, franchi le Rubicon et jugea nécessaire d’engager des firmes de lobbyistes alors qu’Adrien Raymond était ambassadeur, à Washington et Claudette Werleigh ministre des Affaires étrangères.

Pour mémoire, les firmes de lobbies recrutées par Ira Kirzban, l’avocat d’Aristide, ont bel et bien touché leurs émoluments, mais ce dernier a dû quitter le pouvoir, sous les pressions de la communauté internationale. Les lavalassiens avaient, de leur côté, agité le problème du déficit de « crédibilité » des secteurs qui s’étaient mobilisés contre le prêtre défroqué pour justifier la politique du maintien au pouvoir de leur poulain.

Toutefois, une fois constatée l’impossibilité de M. Aristide de rester au pouvoir, les diplomates, au nom de leurs gouvernements respectifs, ont su trouver des interlocuteurs « raisonnables » avec qui négocier la mise en place d’un gouvernement intérimaire avec le président du Tribunal de cassation, le juge Boniface Alexandre, président; et un ancien haut cadre des Nations Unies, Gérard Lartortue comme «Premier ministre de consensus».

La fin de la dynastie duvaliériste, avec la chute de Jean-Claude Duvalier, n’est pas différente de celle d’Aristide. Après plus de 30 ans de dictature duvaliériste marquée par des disparitions en grand nombre de citoyens, des exécutions sommaires, d’innombrables séances de tortures, en sus des familles exilées par milliers et des détournements des faibles ressources du pays, le même phénomène s’est produit. Les dénonciations des méfaits du duvaliérisme commençaient à devenir plus systématiques. Parallèle ment, les déclarations des pays tutrices, par le biais de leurs ambassades, se précisaient davantage, surtout que, les « tontons macoutes » et les « fillettes Laleau », dans leur tentative désespérée d’éviter la chute imminente de JeanClaude Duvalier, n’arrêtaient pas de perpétrer des exactions sur la population.

La goutte d’eau qui a fait déverser le vase était le massacre de trois lycéens, aux Gonaïves, le 28 novembre 1985, qui s’appelaient : Mackenson Michel, Daniel Israël et 28 novembre 1985.

À la suite de ce crime, les mises en place qui se faisaient, de concert avec les Forces armées d’Haïti (FAd’H), en vue d’orchestrer la chute du jeune dictateur, se précipitaient. La décision issue d’une réunion du Corps diplomatique déclarait fini tout appui au régime jean-claudiste. Les négociations menées autour du départ de fiston Duvalier pour l’exil fixaient la date au 29 janvier. Mais, en violation des termes de l’entente conclue, au lieu de prendre l’avion qui était venu le chercher à cette date, il a effectué une tournée à la capitale, au volant de sa BMW, au cours de laquelle il vociférait : « Ke makak la kanpe pi rèd ».

Point n’est besoin de dire à quel point les négociateurs étrangers étaient exaspérés. Cela entraînait des menaces directes contre Jean-Claude Duvalier : Départ le 7 février avant jour ou la prison.

Le départ, le 7 février, de Jean-Claude Duvalier, Michèle Bennett et Simone Duvalier (la Marie-Jeanne) a eu lieu à l’insu des tontons macoutes, ayant été arrangé avec la collaboration de plusieurs membres des Forces armées, notamment Prosper Avril, Henry Namphy, Williams Régala, etc.

En ce qui concerne Jovenel Moïse, malgré les faux semblants et les apparences, la queue du macaque est déjà bien basse. La question qui se pose, saura-t-il afficher son imprudence jusqu’à attendre le 7 février 2021 pour s’envoler vers l’exil ? L.J.


Cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur (New York) VOL. L No. 50, édition du 23 décembre 2020, et se trouve en P. 1, 2, 9, 15 à : http://haiti-observateur.info/wp-content/uploads/2020/12/H-O-23december-2020.pdf