Décès du colonel André Fareau entrevue extrait du livre de Charles Dupuy
- NÉCROLOGIE
À l’occasion du départ du colonel Fareau, nous offrons à nos lecteurs ce court extrait du livre Histoire au singulier qu’il a écrit avec notre collaborateur Charles Dupuy.
Doté d’une mémoire prodigieuse- ment fidèle, André Fareau est un homme à l’esprit vif, à l’intelligence brillante et puis surtout de bon caractère. J’ai collaboré à la rédaction de ce livre avec un plaisir d’autant plus délectable que, chaque jour, en écoutant le récit des périlleuses aventures qui composent cette vie droite, honnête, irréprochable, mais aussi trépidante et tumultueuse, je découvrais un vir bonus, un homme au sens moral inattaquable, un citoyen admirable d’intégrité et d’honorabilité.
Dupuy : Je ne sais pas si vous le savez, mais Roger Lescot, le fils du président Lescot et adjudant de son père pour les questions militaires, racontait comment Paul Magloire, chaque fois qu’il le voyait, n’avait qu’une seule demande à lui formuler, le faire entrer dans la capitale. Commandant de la 3e compagnie, Magloire était alors caserné à l’Arsenal, au Cap. Accédant à sa demande, Roger Lescot l’a fait transférer comme commandant du Pénitentier national, de là il sera nommé chef de la police de Port-au-Prince et, quelques mois plus tard, Lescot l’appelait à la direction du département militaire du Palais national. On connaît la suite…
Fareau : C’est d’ailleurs à ce moment-là que j’ai rencontré Paul Magloire. Il était capitaine à l’époque et succédait à Durcé Armand. Il venait d’accéder au poste le plus sensible qui pût être confié à un officier de l’Armée d’Haïti. Le jour de son entrée en fonction, Magloire convoqua tous les officiers qui se trouvaient sous ses ordres, c’était pour se présenter et aussi pour nous tenir un petit discours, fort bien tourné, du reste, dont cette phrase m’est toujours restée en mémoire : « Vous ne devez pas être l’homme d’un homme, mais celui d’un principe ». Ce fut un moment mémorable.
Dupuy : Dites-nous pourquoi Armand fut limogé par Lescot ?
Fareau : Durcé Armand a été limogé à cause de son insolence à l’endroit de Madame Lescot. Figurez-vous que pendant que Lescot se trouvait en voyage officiel à l’étranger, Armand, sur les plaintes d’une dame qui prétendait que le fils de son voisin lançait des pierres sur le toit de sa maison, fit mettre le jeune homme en prison. C’est alors que la famille dudit jeune homme demanda à Madame Lescot d’intervenir. « M arete l, m arete l net », aurait cavalièrement répondu le colonel Armand à la première dame de la République. C. Dupuy : Vraiment !
Fareau : Mais ce n’est pas tout, avant de quitter le pays, Lescot avait laissé la clef d’un cabinet secret du Palais où il était le seul à pénétrer et que la très curieuse Madame Lescot voulait absolument visiter. Quand, mine de rien, elle alla en demander la clef au colonel Armand, celui-ci, plus arrogant que jamais, lui à répondu, « Je n’ai d’ordre à recevoir que du président de la République ». C’était la goutte de trop et c’était la fin pour Armand. Dès son retour au Palais, Lescot convoqua le colonel à son bureau pour lui apprendre sa mise en disponibilité.
Dupuy : Il paraît que c’était la débandade au Palais, après le débarquement des shérifs et que l’Armée ne s’est ressaisie que lorsque quelqu’un, un soldat, je crois, est venu vous apprendre qu’il n’y avait pas plus de huit hommes qui s’étaient emparés des casernes. A. Fareau : Le soldat s’appelait Ledit Marcel. Quand il est venu nous apprendre qu’il n’y avait que huit hommes de l’autre côté, je n’ai rien changé du plan d’attaque que j’avais prévu, me disant seulement que tout sera fini dans beaucoup moins de temps que je ne l’aurais pensé. Il faut savoir que Perpignan avait envoyé ce soldat acheter un paquet de cigarettes Spendid chez Pierre Normil, le propriétaire d’une petite épicerie située non loin des casernes. Le soldat n’est évidemment pas allé chez Normil, mais il est plutôt venu nous trouver au Palais pour nous dire que « Se senk Blan avèk kapitèn Paskèt, lietnan Anri Pèrpiyan et Filip Dominik kinan Kazèn nan », qui étaient entrés aux casernes.
Dupuy : On dit que Duvalier avait demandé l’asile politique à l’ambassade de Colombie, qu’il était sur le point de quitter le pays, de partir effectivement pour l’exil quand ce soldat est venu vous apprendre que vos ennemis n’étaient qu’au nombre de huit.
Fareau : Pour autant que je sache, Duvalier est resté au Palais et n’a pas bougé de ses appartements. Je ne suis pas non plus au courant de cette supposée demande d’asile politique dont on a tant parlé. On dit aussi que Duvalier avait confié ses enfants au capitaine Arnaud Merceron qui les aurait conduits, paraît-il, à l’ambassade du Liberia. Mais tout ceci n’est que bruits et rumeurs. Toutefois, je puis vous affirmer que la secrétaire de Duvalier, Francesca Saint-Victor, de même que sa femme, Simone Ovide, ainsi que Germaine Victor, celles-là, elles étaient au Palais tenant, chacune, un revolver à la main. Ça, je peux en attester, je les ai vues personnellement.
Dupuy / coindelhistoire@gmail.com (514) 862-7185.
cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur édition du 23 octobre 2019 Vol. XXXXIX No.41, et se trouve en P. 13, 14 http://haiti-observateur.info/wp-content/uploads/2019/10/H-O-23-oct-2019.pdf