ÉDITORIAL
- En déficit de crédibilité, que peut-on attendre de la Mission de l’OEA en Haïti ?
Attendue en Haïti, dans le cadre de l’utilisation de ses bons officies, pour aider à sortir Haïti de la crise multidimensionnelle dans laquelle l’a enfoncé le président de facto Jovenel Moïse, les acteurs politiques ne semblent pas miser gros sur les chances de l’organisme hémisphérique de sortir une magie de son chapeau. Après les dernières interventions de celui-ci dans les élections haïtiennes, qui ont favorisé l’accouchement de deux régimes PHTKistes consécutifs, il n’est pas en odeur de sainteté en Haïti. Surtout que son secrétaire général, Luis Almagro, affiche une attitude partisane dans le conflit mettant l’écrasante majorité du peuple haïtien aux prises avec celui qui occupe illégalement le Palais national.
Sur le terrain, en Haïti, les diplomates qui font partie de cette mission marcheront sur des charbons ardents. Car, quoi que disent et fassent les protagonistes, d’un côté comme de l’autre, l’œuvre des émissaires de l’OEA n’autorise aucun espoir de sortie de crise. Côté Palais national, l’argument auquel s’attache désespérément la gent du pouvoir est rejeté d’un revers de main par tous ceux qui se positionnent à l’opposé de Jovenel Moïse, qui ne cesse de ré péter, et il s’apprête à le marteler devant la Mission : On ne prend le pouvoir que par le truchement des élections. Alors que les secteurs de l’opposition proclament à cor et à cri qu’aucune élection n’est possible avec ce dernier aux commandes du pays, tandis que ses représentants arguent que le départ de leur poulain « n’est pas négociable ».
Pour l’opposition dite radicale, formée par le secteur démocratique et populaire, au sein duquel évoluent l’avocat André Michel, l’ex-sénateur Moïse Jean-Charles et l’ancien sénateur Antonio Cheramy, pour ne citer que ceux-là, aucune possibilité sur cette question. Pour ce secteur, la solution de la crise passe « nécessairement » par le déménagement de Jovenel Moïse de la maison du peuple, au Champ de Mars. Sur – tout que son mandat présidentiel a pris fin depuis le 7 février dernier. De toute manière, ce secteur de l’opposition n’a aucune intention de rencontrer les émissaires de l’OEA, taxant cette mission de l’organisme régional de perte de temps, de gaspillage d’énergie et de ressources. Quand bien même de rares alliés de ce groupe seraient d’avis de se réunir avec les diplomates de l’OEA, ils ne souscriraient guère à l’idée d’aller aux élections avec M. Moïse qui, selon eux, n’a « aucune crédibilité, ni légitimité » pour organiser des élections. C’est, d’ailleurs, le point de vue véhiculé par le sénateur du Vermont Patrick Leahy, aussi bien que les 68 députés démocrates qui avaient adressé une lettre au secrétaire d’État américain exhortant le Département d’État à prendre ses distances par rapport à Jovenel Moïse. À cet égard, les opposants radicaux peuvent compter sur l’appui de ces parlementaires américains, qui interviennent de manière récurrente dans le dossier haïtien.
Par ailleurs, au moment où la Mission de l’OEA s’apprête à mettre le cap sur Haïti, l’intervention des fondateurs du « Comité de la Chambre basse des États-Unis sur Haïti » Andy Levin, du Michigan; Yvette D. Clarke, fille d’immigrants jamaïcains, de Brooklyn; Val Demings, de Floride; et Ayanna Pressley, du Massachusetts, vaut son pesant d’or. Car, tout en félicitant le président Biden d’avoir prorogé le Temporary Protected Status (TPS,) en faveur des Haï tiens, les représentants de cette structure estiment que le président américain devrait aller encore plus loin. « Il s’agit d’une étape nécessaire, qui protégera les migrants haïtiens au milieu de la pandémie de COVID-19 et de la crise politique qui sévit en Haïti », soutiennent-ils.
À cette même occasion ils incitent l’administration Biden à réviser toutes ses politiques concernant Haïti et à «agir de toute urgence » sur les demandes formulées, le 26 avril, par la Chambre des représentants des États-Unis, sous la houlette du président de la Com mission des Affaires étrangères de la Chambre basse, Gregory Meeks, et du président du Comité démocrate de la Chambre basse, Hakeem Jeffries; ainsi que des dizaines d’autres membres demandant que soit changée la politiques des États-Unis envers le régime PHTKiste de Jovenel Moïse.
Entre le secteur gouvernemental et l’opposition radicale, se trouve le groupe qualifié de modéré, composé des formations politiques suivantes : MTV (du Dr Réginald Boulos), En Avant (de l’ex-député Jerry Tardieu), Dirpod, Entente, FND et Operasyon tèt an sanm. Il vient de publier un accord/proposition dans lequel est lancée la formation et l’installation d’un « gouvernement d’en tente nationale », sans Jovenel Moïse. Il est prévu que toutes les responsabilités seront assumées par le Premier ministre. Cela signifie trouver une formule de départ de Jovenel Moïse.
Toutefois, déjà très mal vue en Haïti, pour s’être impliquée, selon ses détracteurs haïtiens, dans des ma gouilles malsaines ayant contribué à la contamination de la crédibilité des élections passées, l’OEA envoie cette délégation à Port-au-Prince au moment où son autorité est sérieusement laminée.
Certes, l’ambassadeur Ronald Sanders, représentant d’Antigua et Barbuda à l’organisme régional, avait exposé le conflit en gestation par rapport au dossier d’Haïti, en raison du fait que tous les pays ne sont pas d’accord avec la manière dont évolue cette question. Il a même dit prévoir un affrontement. De fait, les révélations, plus que justes, qu’il a faites sur le cas d’Haïti a attiré sur lui la foudre de Bocchit Edmond, ambassadeur de Jovenel Moïse à l’OEA, pour s’être prononcé négativement par rapport au projet de référendum illégal et anticonstitutionnel du président de facto haïtien. Bien que M. Sanders n’ait pas explicité les causes profondes du débat houleux qu’il prévoie sur la question haïtienne, au sein de cette organisation, la manière dont le secrétaire général Luis Almagro pilote celle-ci, l’air de rien, ne fait point l’unanimité parmi les membres.
En tout cas, M. Sanders a levé un peu le voile sur ses observations, précisant qu’en raison de mauvais antécédents relatifs à Haïti, les pays du CARICOM ne sont pas tous d’accord sur la question haïtienne. Aussi, faut-il retenir que l’OEA avait du mal à trouver des membres pour faire partie de cette délégation. Puisque quasiment tous hésitent à y participer, en raison des mauvais souvenirs, mais surtout à cause de la division qui règne entre les États de la Caraïbe, par rapport au dossier d’Haïti.
Mais cette attitude va se révéler au grand jour, à la faveur des déclarations du ministre des Affaires étrangères du Mexique, Marcelo Ebrard, critiquant le rôle joué par l’OEA dans les élections boliviennes, en 2019, quand Evo Morales a été forcé à démissionner par l’Armée, suite à un scrutin que cette organisation avait déclaré « truqué » en sa faveur.
« La performance de l’actuel secrétaire général de l’OEA, M. Almagro, a été l’une des pires de l’histoire », a déclaré M. Ebrard. Il accuse l’organisme hémisphérique d’« avoir pratiquement fomenté un coup d’État » en Bolivie. Aussi, a-t-il ajouté : « Il a agi, à plusieurs reprises, sans consulter les États membres […]. Il prend des décisions comme s’il était autonome ».
Donc, ce n’est pas une Organisation des États américains en bonne santé, en matière de crédibilité, dont les représentants se retrouvent présentement en Haïti, avec, pour mission, d’apporter la paix aux frères ennemis, au point de mettre tout le monde d’accord sur ses propositions de sortie de crise. Tel qu’indiqué antérieurement, toutes les parties en présence, en Haïti, s’accordent à croire que la présente mission de l’ – OEA est un « échec annoncé ». À moins que l’organisme hémisphérique ait la sagesse de repenser ses ambitions concernant la crise haïtienne et de participer au choix d’une solution authentiquement haïtienne, une proposition qui mettrait, cette fois, ces visiteurs aux écoutes de la communauté haïtienne
cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur VOL. LI, No. 23 New York, édition du 9 juin 2021, et se trouve en P.10 à : H-O June 9 2021