ÉDITORIAL
- Haïti, une autre catastrophe : Nouvelle occasion d’enrichissement ?
Le peuple haïtien endure toujours avec courage et sérénité les calamités naturelles qui s’abattent sur le pays, alors que les autorités en place détournent à leur avantage l’aide offerte à la nation par les pays amis. Conformément à cette tendance, dans la foulée du tremblement de terre du 14 août, les dirigeants doivent se frotter les mains de contentement en criant : c’est la fête! Mais que ces derniers n’aillent pas trop vite en besogne, car le protocole de l’assistance étrangère serait sur le point de changer, si cela n’a pas été déjà fait.
En effet, en vertu des annonces d’aide offerte à Haïti, suite à cette dernière calamité, il semble que Taïwan, partenaire politico-diplomatique de longue date d’Haïti, ait donné le signal d’un nouveau paradigme dans la manière dont les gouvernements étrangers volent au secours du peuple haïtien. Pays qui, dans le passé, gavait de millions les présidents haïtiens, sans se soucier le moindrement du fait que les sommes fournies ne serviraient qu’au financement de projets personnels, la président taïwanais, au nom de son peuple, a annoncé l’octroi d’une assistance de USD d’un demi-million $ à Haïti, somme jugée insignifiante, compte tenu de l’immensité des besoins suscités par le dernier séisme. La taille de ce don taïwanais semble donner le signal du nouveau protocole en matière d’aide à la République d’Haïti.
Certes, depuis déjà quelque temps, des sources diplomatiques, à la capitale haïtienne, ont révélé que la communauté internationale a décidé de prendre des mesures concrètes pour éliminer les opportunités de corruption dont se rendent coupables les décideurs politiques haïtiens. En vertu d’une telle décision, l’aide en nature sera privilégiée à celle accordée sous forme de ligne de crédit ou tout autre instrument créditeur au profit de notre pays. Dans le cas des Américains, les fonds mis à la disposition des autorités haïtiennes seront canalisés via la USAID, à qui incombe la responsabilité de se rendre quitte des fournisseurs de service pour le compte du gouvernement d’Haïti. En ce sens, cette manière de procéder ne diffère en rien du système selon lequel les compagnies qui passent des contrats avec le gouvernement haïtien touchent leurs dus des Organisations non gouvernementales (ONG) jouant le rôle de débiteuses pour le compte des représentants de l’État haïtien. Se sentant humiliés par cette manière d’opérer, les dirigeants ont tout fait, mais sans succès, pour convaincre les bailleurs de fonds de retourner à la formule ante, quand des virements bancaires étaient effectués directement sur le compte de la Banque centrale de la République.
Vu l’étendue, bien que provisoire, des dégâts du tremblement de terre du 14 août sur les villes des départements des Nippes, du Sud et de la Grand’Anse, le chiffre ultime des dommages risque de s’exprimer en termes de milliards, assurément pas moins de USD 5 milliards. Ce qui signifie que, le don de USD 500 mille $ accordé à Haïti, par la République de Taïwan, représente une somme insignifiante, qui ne pourra accomplir grand-chose, rien qu’un geste pour la forme, traduisant bien la distance observée par rapport à une équipe de dirigeants kleptomanes, qui s’est mille fois confirmée par l’action. Cela prouve que, nonobstant le silence des pays dits amis d’Haïti par rapport aux nombreuses dérives, surtout financières, des gens au pouvoir, particulièrement Jovenel Moïse, qui ont été dénoncées, bonne note est prise.
La rétention de fonds de Taïwan à l’égard d’Haïti, qui semble traduire la nouvelle attitude de la communauté internationale, dans ses relations avec les dirigeants de notre pays, se justifie par le souci d’arrêter les scandales à rebondissements ayant caractérisé, surtout, les administrations PHTKistes, mais tout particulièrement celles de Jovenel Moïse. Il semble que Taïwan, en particulier, ait fait individuellement l’expérience de nos dirigeants kleptomanes, corrompus et irrespectueux des fonds publics.
Si Taïwan avait pris l’habitude de faire des dons privés aux dirigeants haïtiens (par exemple : cadeau de USD 100 mille $ à Aristide, à l’occasion de son élection à la présidence, en 1990), c’est surtout avec ce dernier que s’est manifestée la générosité de ce pays asiatique. Car un don de USD 20 millions $ remis au prêtre défroqué, lors d’un voyage à Taïpei, pour financer la transformation de l’Hôtel Simbie, à Carrefour, en « Hôpital Simbie », ont été détournés à d’autres fins. En tout cas, le projet n’a jamais pris corps. Mais, sous la présidence de Jean-Bertrand Aristide, d’autres fonds mis à la disposition du pays, encore par Taïwan, ont été détournés, ayant atterri dans le compte de Lafanmi Selavi, la fondation défunte de ce dernier.
Autre cas de détournement de fonds. Sous le gouvernement de Michel Martelly, l’Uruguay a versé USD 10 millions $ à Haïti, en guise de réparation, suite à l’accusation d’abus sexuel portée contre des soldats uruguayens de la MINUSTAH sur la personne d’un jeune Haïtien de 18 ans. La victime n’a rien bénéficié de cet argent. Par la suite, Laurent Salvador Lamothe, alors Premier ministre, a déclaré que les fonds avaient servi au financement des travaux d’embellissement (peinture) du bidonville «Jalousie », dans les hauteurs de Pétion-Ville.
Par ailleurs, la communauté internationale n’est pas restée indifférente à la méga conspiration financière orchestrée sous la présidence de René Préval, Michel Martelly et Jovenel Moïse ayant abouti au détournement/vol de USD 4,2 milliards $ du Fonds PetroCaribe. Aussi bien aux nombreux scandales de détournements de fonds publics et réceptions de pots de vin réalisés par ces mêmes équipes. Aux yeux des amis d’Haïti et nombre d’autres observateurs étrangers, c’est toute la classe politique haï tienne qui semble être impliquée dans ces brigandages financiers. Aussi la communauté internationale ignore-t-elle les appels et démarches de certains secteurs haïtiens gouvernementaux arguant contre le maintien du système de tutelle financière des ONG. Surtout que, suite à l’assassinat de Jovenel Moïse, c’est la même équipe PHTKiste qui accapare le pouvoir.
Somme toute, la dernière contribution de USD 500 000 $ de Taïwan, suite au tremblement de terre du 14 août, constitue un message non équivoque des bailleurs traditionnels d’Haïti. C’est pourquoi, l’aide offerte par les différents pays, notamment, les États-Unis, la République dominicaine, le Chili, la Colombie, le Mexique, le Venezuela, etc. consiste en médicaments de toutes natures, denrées agricoles, biens manufacturés et équipements sanitaires et industriels.
Il semble que le Premier ministre de facto, Ariel Henry, mise sur l’avalanche de millions, généralement disponibles en pareille calamité, pour mobiliser sa « troupe », prêt à créer de nouveaux millionnaires. Sinon comment expliquer la nonchalance des dirigeants haïtiens, face aux victimes du séisme. Surtout que, plus de trois jours après que les trois départements du pays eurent été frappés, la grande majorité des victimes sont encore sous les ruines des maisons et immeubles qui se sont effondrés ?
Pour le peuple haïtien, vu l’attitude traditionnelle des dirigeants, ce tremblement de terre représente une nouvelle occasion d’enrichissement illicite. Toutefois, ces derniers devraient plutôt saisir l’opportunité, non seulement de faire publiquement leur mea culpa, mais surtout de se retirer pour faire place à d’autres en qui le pays pourra avoir confiance. Seul geste qui portera la communauté internationale à changer d’attitude !
Cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur VOL. LI, No. 31 New York, édition du 18 août 2021, et se trouve en P. 10 h-o 18 aout 2021