Incapable de juger sur pièces, Jovenel Moïse n’aura jamais l’étoffe d’un homme d’État
- ÉDITORIAL
L’’histoire haïtienne rapporte que le général François C. Antoine Simon, le successeur du président Pierre Nord Alexis, suite à une rébellion qu’il avait lui-même menée contre celui-ci, fut un des chefs d’État les plus progressistes, bien qu’il n’ait jamais été à l’école. Car il a su s’entour- er d’hommes compétents et expérimentés. Quoique privé de connaissances livresques, son gros bon sens l’a guidé dans le choix de ses collaborateurs dont il reconnaissait les compétences exclusives à leurs justes valeurs. Aussi la petite histoire fait-elle, à son tour, état de sa sagacité naturelle quand elle lui attribue cette boutade : «Nenpòt ki mounn ka prezidan, men nenpòt ki moun pa ka minis». («N’importe qui peut être président, mais n’importe qui ne peut être ministre».
S’il faut comparer Jovenel Moïse au général Simon, la différence s’étale au grand jour. Alors que celui-ci s’affiche comme un bâtisseur, un grand penseur et un homme dynamique, le premier se révèle un bluffeur, un menteur invétéré qui passe le clair de son temps à mijoter des moyens de violer la Constitution et les lois du pays. Son ignorance obstinée des dérives qui ont déclenché la mobilisation générale du peuple contre lui le rend incapable de juger sur pièces. Il n’a point les compétences de saisir les raisons qui soulèvent quasiment tout le pays contre lui. Il lui manque aussi, contrairement à Antoine Simon, le discernement requis pour choisir judicieusement des conseillers compétents et capables de l’aider à faire la différence par rapport aux actes et décisions capables de lui faire perdre l’estime de ses concitoyens.
Les réponses qu’il a faites à un journaliste canadien l’interrogeant sur les moyens qu’il compte mettre en œuvre pour redresser la barre montrent clairement qu’il ne comprend absolument rien de sa situation et qu’il a totalement perdu le nord. À entendre ses réponses aux interrogations à lui adressées par courriel, par Radio Canada (RC), peu avant la fin de l’année 2019, on est bien obligé de convenir avec Sylvie Tabesse, ambassadeur de l’Union européenne (UE), citée par une source hautement crédible. Lors de la présentation de sa lettre de créance au chef d’État haïtien, le 3 octobre 2019. Faut-il rappeler les propos de cette diplomate déjà cité dans l’éditorial d’H-O de l’édition du 9-16 octobre de la même année ? Elle s’était «retrouvée face à un homme complètement déboussolée, qui a perdu sa lucidité et sa cohérence, en sus de présenter des signes de défaillance mentale et psychologique».
En effet, à la question de RC «Vous avez refusé de démissionner malgré des appels d’une partie imposante de la population et de groupes de la société civile. Qu’est-ce qui vous pousse à vouloir poursuivre votre mandat ? ».
Et Jovenel Moïse de répondre : «Il faudrait se méfier de gens de la République de Port-au-Prince qui prétendent parler au nom du peuple haïtien, n’ayant ni mission ni mandat. J’ai lu plusieurs sondages commandités par des groupes de l’opposition. Ces sondages, respectant les critères scientifiques en la matière, révèlent tous que plus de 65 % des Haïtiens ne font pas confiance à ceux qui demandent au président de la République de démissionner. 93 % rejettent la stratégie de violence développée par une frange de l’opposition appuyée par des oligarques ayant pris en otage depuis des décennies le destin de tout un peuple».
Par souci d’étayer ses déclarations, le président haïtien a eu soin de souligner ceci :
«Un de ces sondages a été publié le 26 décembre par Ayiti Nou Vle a (L’Haïti que nous voulons), une organisation de la société civile qui lutte contre la corruption et la réforme de la justice. Le taux d’approbation du président (45 %) a surpris ceux-là même qui l’ont commandité. Le sondage a été critiqué, notamment pour un échantillonnage jugé faible et peu représentatif des régions. Par ailleurs, nombre d’observateurs estiment qu’un ras-le-bol de la population face aux manifestations qui ont paralysé le pays pendant trois mois est désormais palpable».
Monsieur Moïse continue sur sa lancée : «Je poursuivrai jusqu’à la dernière minute les réformes et les projets entamés. En laissant le pouvoir, le secteur de l’énergie ne sera plus l’affaire privée de trois familles, mais de tous les Haïtiens. En laissant le pouvoir, le secteur de l’eau et des infrastructures routières, la base du développement, seront considérablement améliorés. La justice doit être renforcée et accessible à tous. C’est cela le sens de mon engagement».
Radio Canada : « Quelle appréciation faites-vous des mouvements de jeunes Haïtiens qui se qualifient de petrochallengers» ?
- J.M. : «Que de jeunes s’intéressent à la chose publique est une bonne chose. Qu’ils se laissent manipuler aux fins du maintien du statu quo est vraiment dommageable».
- J.M. : «Je suis pour la transparence et la reddition des comptes. Je m’y suis engagé depuis mon accession à la présidence. « Pour se protéger, les corrompus ont une tactique hors pair: accuser de corruption celui qui combat la corruption. J’ai compris la stratégie. Elle ne marchera pas avec moi. Qu’ils en trouvent une autre».
R.C. : «La Cour supérieur des comptes et du contentieux administratif allègue dans son deuxième rapport que des entreprises dans lesquelles vous aviez un intérêt prépondérant ont participé à une ‟ stratégie ¨ visant à détourner des fonds. Vous avez nié ces allégations, notamment dans le journal Miami Herald. Entendez-vous produire ― et si oui, de quelle façon ― tous les documents permettant d’étayer votre réponse ? ».
- JoMo : «L’entreprise en question a déjà produit toute la documentation nécessaire. Chose curieuse, la Cour des comptes ne s’y est pas intéressée. Trop occupée, elle n’a pas non plus pris le temps d’interroger les dirigeants de l’entreprise. Avant d’accéder au pouvoir, je n’ai jamais travaillé dans l’administration publique. Homme d’affaires, j’ai exécuté des contrats régulièrement attribués suivant les lois haïtiennes».
R.C. : «Une grande partie du peuple haïtien réclame un procès PetroCaribe. Un tel procès doit-il avoir lieu et, si oui, comment sera-t-il mis en œuvre ? »
- J.M. : «Le procès aura lieu. Le dossier est instruit par la justice. Laissons la justice faire son travail».
R.C. : «L’opposition affirme que, sans le soutien de la communauté internationale, vous auriez déjà quitté la présidence d’Haïti. Que répondez-vous ? ».
- J.M. : «À force de mépriser le peuple haïtien, mes compatriotes de l’opposition oublient les règles minimales de démocratie. Nos errements politiques de ces 30 dernières années ont rendu nécessaire le soutien de la communauté internationale. C’est un soutien au peuple haïtien et non à un individu ou à un président».
R.C. : «Y a -t-il aujourd’hui en Haïti un risque de guerre civile ? Comment l’éviter ? »
- J.M. : «Ne soyons par alarmistes».
R.C. : «Jusqu’ici vos appels pour un dialogue national ont été largement rejetés par l’opposition. Quelle est votre stratégie pour sortir de la crise que traverse votre pays ? ».
- J.M. : «J’ai fait, depuis la campagne électorale, du dialogue un élément central de mon projet de gouvernance. J’avais promu les États généraux sectoriels de la Nation (EGSN) en vue d’identifier les différents goulots d’étranglement obstruant l’essor socioéconomique d’Haïti. Il se trouve malheureusement que le dialogue n’est pas un élément central de la culture politique haïtienne.
- J.M. : «D’ailleurs, les obstacles rencontrés dans la constitution du Comité de pilotage des EGSN en sont une éclatante illustration. J’avais fait choix de personnalités issues de toutes les couches de la population, sans considération partisane. Grande a été ma surprise de voir certaines personnes conditionner leur participation à l’exclusion d’autres Haïtiens qu’elles n’aiment pas. Ce qu’il nous faut est une culture politique qui privilégie le dialogue à la place de la violence qui a fait et qui fait trop de mal au peuple haïtien.
- J.M. : «Durant cette crise, nombre de mes compatriotes de l’opposition, appuyées par des oligarques qui ont fait de la corruption un élément fondamental de leur stratégie d’accumulation de richesses, ont privilégié la violence au dialogue. Je n’aurai de cesse de le répéter, je ne répondrai pas à la violence politique par la violence. Nous devons apprendre à résoudre nos différents par des voies pacifiques. Nous devons accepter les voies et moyens définis par la Constitution et nos lois en vue d’accéder au pouvoir. J’ai pris des engagements auprès du peuple haïtien, j’entends les respecter».
Qu’est-ce qui existe de commun entre le Jovenel Moïse, qui a répondu aux questions de Radio Canada et l’homme qui a dirigé Haïti durant les 35 derniers mois ? On peut dire : absolument rien, sans courir aucun risque de se tromper, ou de se faire rappeler à l’ordre. Car à l’opposé du président haïtien, que l’histoire dit avoir manqué de culture de manière flagrante, il ne peut répondre objectivement aux questions de cet organe de presse. Car il manque de tout ce qui fait un homme d’État. Et les individus qui le conseillent n’ont pu l’aider à améliorer son score.
Cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur, édition du 15 janvier 2020 VOL. L, No. 2 New York, et se trouve en P. 10 à : http://haiti-observateur.ca/wp-content/uploads/2020/01/H-O-15-janvier-2020.pdf