Indirectement, le président dominicain dénonce un État délinquant en Haïti … par Éditor

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  • Indirectement, le président dominicain dénonce un État délinquant en Haïti par Éditor

Quand, lors d’une interview, la semaine dernière, le président dominicain a lancé une mise en garde aux bandits armés d’Haïti les invitant à renoncer à toute tentation d’exporter leur manière de vie, en République dominicaine, ces propos s’adressent indirectement aux dirigeants haïtiens. Et traduisent une situation extrêmement grave, Luis Abinader ne traite pas en égaux les hommes et femmes qui mènent les destinées d’Haïti. Car dans les conditions normales, les deux États, qui partagent la souveraineté de l’île, devraient s’entendre entre eux pour résoudre la crise des gangs faisant la pluie et le beau temps, dans ce pays, et tenant les forces de l’ordre en respect.

Le chef d’État de la République voisine a estimé nécessaire, vu l’état de décomposition des institutions publiques haïtiennes, en particulier, et à qui de droit, en général, d’avertir que son pays est différent d’Haïti. Aussi a-t-il précisé, si pour une quelconque raison, la tentation vous prend de traverser la frontière, l’Armée dominicaine et «notre Police » sauront donner une réponse appropriée à une éventuelle effronterie de votre part.

De toute évidence, le chef d’État dominicain ne tire pas cette annonce aux criminels haïtiens du néant. Car elle s’inspire de l’expérience qu’a faite M. Abinader avant même son accession au pouvoir. Puisque créés par Michel Martelly et son Premier ministre Laurent Lamothe, les gangs armés ont été institutionnalisés, et leurs organisations même déclarées d’ « utilité publique », sous la présidence de Jovenel Moï se, par le truchement du ministère des Affaires sociales. Les services de renseignements de la République dominicaine sont très bien informés des activités criminelles des « bandits officiels », jusqu’à l’identité individuelle de leurs leaders. Contrairement à d’autres membres de la communauté internationale s’accommodant parfaitement avec Jovenel Moïse, M. Abinader s’était gardé de le traiter en égal, à l’occasion de sa prestation de serment. Tout en lui offrant la réception protocolaire digne de son rang, le nouveau président dominicain avait tenu son hôte haïtien à distance.

Informé des dérives criminelles de Jovenel Moïse, par sa politique nationale et en raison de sa proximité avec les gangs armés, le président Abinader n’a pas développé la politique de « bon voisinage », à l’égard d’Haïti, avec Jovenel Moïse aux commandes de notre pays. Cette attitude s’est manifestée encore plus, à la faveur du kidnapping de deux citoyens dominicains et leur interprète haïtien, à Martissant, au début de l’année, par les « soldats » du gang dirigé par Ti-Lapli, basé à Grand’ Ravine. Impliqué directement dans les démarches relatives à la libération de ces trois victimes, le chef d’État dominicain en suivait les différentes étapes. Aussi en était-il mis au courant, par les services d’intelligence de son pays, de l’identité des différentes personnes impliquées dans ce triple crime. Si le président de facto entretenait effectivement des relations de proximité avec les kidnappeurs contre rançon, les assassins, les violeurs, les braqueurs et autres criminels qui prolifèrent en Haïti, les investigateurs dominicains ont clairement établi qu’ils étaient directement liés au plus haut niveau du pouvoir. D’ailleurs, ces trois enlèvements avaient permis aux services de renseignement de la République dominicaine d’apprendre que Magalie Habitant, ancienne directrice du Service métropolitain de collecte des résidus solides (SMCRS), très proche de la présidence, jouis sait du rôle d’intermédiaire entre les kidnappeurs et les familles des victimes. De surcroît, dans le cas de celles-ci, elle avait assuré leur déplacement, de leur lieu de captivité au bureau de la Direction centrale de la Police judiciaire (DCPJ). Autrement dit, dans le cadre du ravissement des deux citoyens dominicains et de leur collaborateur haïtien, le président dominicain savait qui faisait quoi. Donc, pour M. Abinader, il n’existait aucun secret par rapport aux relations symbiotiques qui existaient entre Jovenel Moïse et les gangs armés. Dans la mesure où rien ne change, après l’assassinat du président de facto, l’équipe au pouvoir ayant hérité de tous les aspects de sa politique, il ne peut y avoir de modification d’attitude non plus, de la part d’Abinader, à l’égard de l’équipe qui succède à celle dirigée par le président de facto défunt.

Dans l’esprit de tout leader qui se respecte, un pays ne peut exister avec les forces de l’ordre assujetties aux criminels et les citoyens à leur merci. M. Abinader, en tant qu’un tel dirigeant, devait s’attendre à un retour à la normalité avec l’assassinat de Moïse. Mais ce qui se passe présentement, sur le terrain, en Haïti, n’autorise guère à croire à un tel changement. Bien au contraire, la situation semble se détériorer davantage avec un régime monocéphale doté d’un gouvernement inconstitutionnel, illégal et de facto s’accrochant à tout ce qu’il estime pouvoir l’aider à rester au pouvoir, y compris son acoquinement avec les bandits armés.

En effet, les faits sont là, irréfutables : les criminels armés demeurent implacables, n’observent pas de trêve et continuent à défier impunément l’autorité de l’État, qui, pourtant, s’accommode parfaitement bien avec eux. Par exemple, les bandits de la région sud de la capitale, Martissant, qui occupaient cette zone depuis le 1er juin, avant l’assassinat de Jovenel Moïse, y règnent encore en maîtres. Au point d’imposer à l’administration Ariel Henry la négociation avec eux afin de permettre aux convois d’aide aux sinistrés du Grand Sud de traverser leur « territoire ». Les autorités haïtiennes n’ont jamais révélé les termes de l’accord conclu, en ce sens, avec les criminels. Toutefois, des ru meurs persistantes font état de « rançon » de plus de USD 50 000 $. De son côté, le gang « 400 Mawozo », qui haras sait, à volonté, les communautés de Croix-des-Bouquets, ont lancé une nouvelle attaque, cette dernière semaine, au point de contrôler, désormais et jusqu’à nouvel ordre, le marché le plus important de cette commune. Fort de ses atouts, face à la Police, « Lanmò san jou », le chef de la base « 400 Mawozo», a fait le serment de s’en prendre aux forces de l’ordre, dans les prochains jours.

Les gangs armés font flèche de tout bois, dirigeant leurs attaques contre la population civile, sous forme de kidnappings, d’exécutions sommaires, de braquages ou encore d’invasion de résidences privées, sans le moindre souci d’être contrecarrés par les forces de l’ordre. Ce qui est encore plus grave, Jimmy Chérizier, communément appelé Barbecue, un ancien policier chassé de l’institution policière, qui fait l’objet d’un mandat d’amener émis contre lui depuis plus de deux ans, s’affiche publiquement, quand il veut, à la tête de plusieurs dizaines de ses hommes lourdement armés, proférant des menaces à des secteurs de la population et même à la Police. Cette dernière fin de semaine encore, il a promis d’envahir des prisons de la région métropolitaine de la capitale, en vue de libérer les prisonniers. Aussi, en conséquence, a-t-il lancé un avertissement aux citoyens pour qu’ils se gardent de s’aventurer dans les rues, à partir du lundi 6 septembre. Au fait, il a même demandé au Premier ministre de facto, Ariel Henry, de démissionner, l’accusant de négliger de faire en sorte que le président de facto assassiné trouve « justice».

Pour comble d’audace et d’impunité, dont ils jouissent, les gangs armés profèrent des menaces même à l’ambassade de France, à Port-au-Prince. Un des soldats d’Izo a, la semaine écoulée, adressé un appel téléphonique à cette mission diplomatique, invitant les diplomates français à verser une rançon pour la protection de son personnel, s’identifiant comme le représentant de l’équipe chargée d’assurer la sécurité du quartier où se trouve logée la mission diplomatique française. Il semble que cette menace ait été lancée à la suite d’une tentative infructueuse de Barbecue de faire inscrire son enfant au Lycée français. Selon les informations disponibles, l’inscription a été effectuée, mais le candidat n’aurait pas été accepté. Pourtant, suite au geste inqualifiable, aucune réaction de la part des autorités nationales. Silence total, tant du côté de la chancellerie, du ministère de la Défense nationale ou encore de la primature. Faut-il donc croire que, à l’instar des kidnappings, cet appel téléphonique venant d’un membre du gang de Village de Dieu a été commandité par l’équipe au pouvoir ?

En clair, donc, tous ces faits ont prouvé à Luis Abinader que les gens qui détiennent le pouvoir en Haïti se sont rendus illégitimes par leurs actes et inactions. Car s’étant placés au même niveau que les bandits qui imposent leurs quatre volontés au peuple haïtien. Voilà construit un État délinquant. Dans cet ordre d’idées, le message adressé aux bandits, par le président dominicain, concerne aussi les dirigeants du pays. Une manière de les inviter à rectifier le tir, s’ils en sont encore capables.


Cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur VOL. LI, No. 34 New York, édition du 8 septembre 2021, et se trouve en P. 1, 3, 5 à : h-o 8 sept 2021