MINISTRE DES HAÏTIENS VIVANT À L’ÉTRANGER
- Joseph Gonzague Day a du pain sur la planche
- (Entrevue accordée aux éditeurs d’Haïti-Observateur)
Plus d’un quart de siècle depuis la fondation par Jean-Bertrand Aristide du ministère des Haïtiens vivant à l’étranger (MHAVE), avec la promesse de représentativité de la diaspora au sein des institutions politiques du pays, en sus de lui octroyer le droit de vote aux ressortissants haï tiens expatriés, y compris la double nationalité, rien n’a encore changé en 2021. Avec les transferts d’argent effectués à l’intention des parents restés au pays, qui représentent le tiers du Produit intérieur brut (BIP) national, la communauté haïtienne basée hors d’Haïti reste tout simplement une vache à lait au service des différents gouvernements, qui se sont succédés, sans jouir d’aucun droit. Joseph Gonzague Day, le dernier titulaire de ce département ministériel, ambitionne de changer la donne. Mais il se trouve confronté à des défis de taille : le manque de moyens financiers pour faire fonctionner ce département ministériel et la volonté du pouvoir en place de doter son ministère des ressources nécessaires pour bien servir la communauté haïtienne exogène.
Dans le cadre de la stratégie qu’il compte mettre en place, pour mieux servir la diaspora, M Port-au-Prince, sous Papa Doc, qui se félicite d’être un duvaliériste authentique, s’est intégré parfaitement bien au régime PHTKiste. Aussi n’a-t-il jamais laissé une seule occasion, au cours de l’entrevue de défendre la politique générale de Jovenel Moïse, même les méfaits reprochés à la première famille. Cette solidarité manifestée à l’égard du pouvoir ne fournit pas pourtant à Gonzague Day les moyens de s’acquitter de la mission qu’il s’est fixée dans le ministère qu’il dirige par rapport à la diaspora.
Tout compte fait, Gonzague Day peut être considéré un bon choix pour la fonction de ministre des Haïtiens vivant à l’extérieur. Il est doté de capacités lui permettant de servir son pays et ses compatriotes d’outre-mer, sur tout, pour avoir fait des études à l’extérieur en sus d’acquérir des expériences variées dans les différentes communautés où il a vécu, notamment à New York, Boston et même au Canada. D’aillleurs, son fils de 31 ans, né à l’étranger, détient la double nationalité, haïtienne et canadienne.
Arrivé à la tête de ce ministère, qui ne semble pas avoir accompli grand-chose pour améliorer le sort des expatriés haïtiens, le fils d’Edner Day ambitionne de faire la différence. Mais, c’est plus facile à faire qu’à dire.
Deux défis majeurs
Interrogé sur les défis rencontrés, dans le cadre de l’application de son mandat, au MHAVE, M. Day a, dans un premier temps, signalé la contrainte budgétaire. Avec une allocation de 146 millions de gourdes destinée à son ministère, dont, dit-il, « les 89 employés, en Haïti, consomment les 73 %, il en reste très peu » ou rien du tout. Dans pareille condition, il n’est pas question, dans la logique de Gonzague Day, de mettre en place un personnel dédié au service de la diaspora.
Dans ce cet ordre d’idées, le MHAVE n’a pas l’importance que le gouvernement haïtien, l’ – actuelle équipe aussi bien que celles qui l’ont précédée, ne donnant pas à la diaspora l’importance que les dirigeants haïtiens, qui se sont succédé depuis la chute de la dictature, prétendent lui accorder. En tout cas, en dépit de la forte contribution de la diaspora à la mère patrie, les décideurs ne donnent pas à celle-ci les mêmes considérations que le ministère de la Défense. Puisque ce dernier dispose d’un personnel logé dans les ambassades et consulats d’Haïti.
Avec son budget de 146 millions de gourdes, le MHAVE est relégué à la même position que d’autres ministères, également dotés d’allocations chétives, comme celui de l’Environnement ou de la Condition féminine. Si ces deux départements ne contribuent quasiment rien au budget national, la diaspora haïtienne, de son côté, injecte USD 3 milliards $ au Produit intérieur brut (PIB), sous forme de transferts expédiés aux parents restés au pays.
Dans la mesure où le gouvernement tient compte de l’apport de la diaspora à l’économie nationale, dans le calcul du budget, il serait raisonnable de consacrer jusqu’à 5 % du montant total des transferts provenant de la communauté haïtienne d’outre-mer au financement des activités du MHAVE hors d’Haïti. Toutefois, l’équipe dirigeante en Haïti représentant un État kleptomane, rien n’autorise à croire qu’une telle idée ne serait jamais accréditée. On en veut d’ailleurs pour preuve le département de l’Éducation nationale sombrant dans la banqueroute, alors que l’État perçoit des taxes sur les transferts d’argent et les appels téléphoniques provenant de l’étranger, soit plus de USD 35 000 000 $ par an. Ce qui signifie que les taxes collectées sur ces services, sous prétexte qu’elles allaient servir au financement de l’éducation, ont été détournées à d’autres fins, inavouables et inavouées.
L’autre défi auquel se trouve confronté le ministre Day relève de la diaspora elle-même. Selon lui, le problème du dialogue avec la communauté haïtienne d’outre-mer se pose dans toute son acuité. Il se lamente du fait que, dans ses démarches, en vue de trouver une organisation représentative des Haïtiens vivant hors du pays, ont débouché sur le néant. Selon lui, il existe des entités qui prétendent parler au nom des Haïtiens expatriés, mais qui appartiennent à des organisations rivales, la division ambiante ayant favorisé des schismes nuisibles dont les clans qui en sortent se trouvent à couteaux tirés. Il laisse croire que cette division complique son travail, dans la mesure où il reste impossible de dégager un groupe autorisé à agir et à prendre des décisions au nom de la diaspora. Toutefois, Gonzague Day n’a pas hésité à défendre le choix d’Esperancia César, un personnage très controversé, pour représenter la communauté haïtienne d’outre-mer au sein de son du CEP croupion de Jovenel Moïse. Alors que l’organisation au nom de laquelle elle fonctionne à l’organisme électoral bidon ne la reconnaît pas en tant que membre, et à même déclaré ne l’avoir pas choisie pour la représenter.
À noter que l’entité sous la bannière de laquelle Mme César fonctionne au sein de cet organisme électoral a été créée en catastrophe par des individus non représentatifs de cette communauté, mais ayant des liens très serrés avec le pouvoir. En d’autres mots, Jovenel Moïse et son équipe ont créé leur propre groupe en diaspora pour représenter les millions d’hommes et de femmes vivant à l’étranger.
Le problème de documents en diaspora
Selon le ministre du MHAVE, un problème majeur existe pour les Haïtiens de la diaspora. Il s’agit de l’obtention de documents pour régulariser leur séjour en terre étrangère. À cette fin, il déclare avoir entrepris « un projet pilote » à l’intention des citoyens haïtiens vivant au Chili, et qui servira de modèle pour d’autres pays, notamment le Brésil. Dans le cadre de ce projet, dit-il, un protocole d’accord est conclu avec un Haïtien disposant de 17 points de transfert destinés à recevoir des demandes de documents, se chargeant d’effectuer les versements de frais liés à telle démarche par le truchement de CAM et d’UniTransfert. En Haïti, explique M. Day, le personnel du ministère se charge d’en faire le suivi auprès des Archives nationales et du ministère de la Justice.
Mais, se lamente encore le titulaire du MHAVE, un autre obstacle surgit : le problème d’identité. Par exemple, précise-t-il, «Des quelque 200 000 Haïtiens vivant au Chili, seulement 50 000 ont pu avoir droit à la résidence légale; et seulement 3 300 ont pu en bénéficier. Le reste est en attente de leurs documents ».
Parlant de documentation, les interlocuteurs du ministre ont évoqué la question de la « Carte Dermalog ». Il a immédiatement réagi en niant l’existence d’un tel document. « Il n’y a pas de carte Dermalog, mais la Carte d’identification unique » (CIU). Ce qui amena à demander pourquoi remplacer le Numéro d’identification fiscale (NIF), qui fonctionnait comme la carte de Sécurité sociale, aux États-Unis, en existence depuis longtemps, et qui est encore valable ? Sa réponse : « Il y a trop de cartes en Haïti », expliquant qu’il y en a une pour le conducteur de véhicule, une pour…, etc. À cet instant, Ray Joseph l’a interrompu en demandant : « Alors avec la Carte unique, on n’aura plus besoin d’un permis de conduire ? » Et Gonzague Day de répondre : « Non, ce n’est pas ça, le numéro de la Carte unique figurera aussi sur le permis de conduire ».
Mais plus loin le ministre étale le jeu du pouvoir : « Le gouvernement pourra récupérer beau coup plus d’argent, car avec la Carte unique on saura qui n’a pas payé ses redevances au Fisc pour l’année ».
Encore, dans l’entrevue, M. Day est demandé d’indiquer le nombre de copies de la Carte unique sont présentement en circulation, surtout qu’un communiqué officiel, qui proviendrait du ministère du Commerce, donnait le 20 octobre comme date limite pour se procurer ce document, sous peine de ne pouvoir effectuer des transactions régulières. Cette question est d’autant plus importante que des bénéficiaires de transferts d’argent n’ont pu se faire payer en Haïti sans présenter cette carte.
Le ministre Day répond ainsi : « C’est bien dommage que je ne sois pas en Haïti maintenant, parce qu’il y a réunion du cabinet au moment où je vous parle. Question que j’aurai soulevée ― et que je soulèverai dans la plus prochaine réunion de cabinet. Il faut donner un sursis pour les gens n’ayant pas pu se procurer la Carte unique ».
Quant à la diaspora, comment le gouvernement va-t-il s’y prendre pour livrer la nouvelle carte ?
Aucune réponse spécifique de sa part, se contentant de dire : « On devra travailler avec les ambassades et les consulats à ce sujet ».
En clair, les membres de la communauté haïtienne en diaspora devront attendre encore quelque temps avant d’avoir l’assurance de se procurer ce document. Autrement dit, dans la mesure où celui-ci est exigible pour mener des transactions de toutes sortes, qu’ils soient avisés que ce ne sera pas pour demain.
Voilà des preuves qu’en instituant la Carte Dermalog comme substitut au NIF, Jovenel Moïse et son équipe ont mis la charrue avant les bœufs.
Et les élections faites sur mesure planifiées par Jovenel Moïse ? Dans le cadre d’un face-à-face avec un ministre du régime PHTKiste, il est opportun de soulever la question d’élections faites sur mesure, que se propose de réaliser l’homme banane. Surtout que, selon l’ambassadeur français, José Gomez, pas plus de 2 000 0000 (deux millions) de la nouvelle carte ont été déjà émises. Alors qu’il existe 6 000 000 (six millions) d’électeurs en âge de voter, au pays seulement. Comment le régime en place va-t-il relever ce défi ?
Gonzague Day répond : «Tous les bureaux de l’ONI, (Office national d’identification) sont opérationnelles et qu’un décret exige que tout citoyen ait sa carte ». Selon toute vraisemblance, Joseph Gonzague Day a préféré esquiver la question dont la réponse devrait, objectivement, évoquer la logistique des opérations qui devrait établir la faisabilité de combler le déficit que représentent de 4 000 000 (quatre millions) de cartes encore manquantes pour que soient tenues des élections libres, honnêtes, sincères et démocratiques, telles que ne cesse de prôner la communauté internationale, surtout le Département d’État américain et l’Organisation des États américains.
Autre pomme de discorde : La nouvelle Constitution
Autre question opportune sur laquelle interroger le ministre Day est la nouvelle Constitution que Jovenel Moïse entend élaborer, en dehors des prescrits de la Constitution. Dans cet objectif, il souhaitait trouver des citoyens compétents et intègres pour intégrer l’Assemblée constituante qu’il voulait créer. Un tel souhait n’a pu se concrétiser, le président ayant voulu aller vite en besogne, histoire de gagner la course contre le temps, vu l’approche à grands pas de la fin de son mandat constitutionnel, le 7 février 2021, a fait choix de cinq personnalités pour créer cette structure.
En tout cas, le vendredi 30 octobre, il a présenté les membres de sa commission dite Comi té consultatif à son Conseil électoral provisoire, et qui sont ainsi identifiés : l’ex-président intérimaire Boniface Alexandre, général retraité Hérard Abraham, Emmanuel Saint-Ēloi et Louis Naud, ainsi que Mona Jean identifiée comme militante féministe. Alors que viendraient donc faire des gens de la diaspora dans cette galère ?
À cette question, Gonzague Day donne sa réponse en ces termes. « La diaspora, mot souvent utilisé de façon péjorative, doit s’imposer et défendre ses droits pendant qu’une nouvelle constitution est à l’étude ».
À ces propos, Ray Joseph d’ajouter : « Ce n’est un secret pour personne que, quand il s’agit de la diaspora, les grands manitous au pays n’ont qu’un conseil s’assimilant à un ordre : ‘ Voye lajan an, epi fèmen bouch nou » pour ne pas dire « Fèmen djòl nou ’ ».
Et le ministre de souligner aussi « Il ne faut pas que ce soit une constitution exclusive ». Car, dit-il encore « famille duvaliériste, je suis une victime de la Constitution de 1987 ».
Joseph Gonzague Day persiste et jure d’être le défenseur des citoyens/cityonennes haïtiens de la diaspora. Il signale, en passant, qu’avant de laisser le pays, il a présenté 17 dossiers à la justice en faveur de telles personnes ayant des conflits terriens avec des gens qui ont accaparé leurs propriétés. Il dit avoir huit numéros de téléphone au service de la diaspora, mais qu’il ne les a pas indiqués immédiatement. Mais, vu l’engagement solennel qu’il a pris par rapport aux communautés haïtiennes d’outre-mer, il est certain que ceux qui ont besoin de l’assistance du ministère sont libres de solliciter les coordonnées qu’il dit être disponible ou de solliciter l’intervention du MHAVE qui, dit-il, saura orienter les intéressés vers les institutions appropriées de l’État et les compétences ponctuelles dans le secteur privé qui pourraient se charger de leurs dossiers.
Confronté à des contraintes institutionnelles et politiques, en sus des restrictions d’ordre économique, le ministre Day n’a pas les coudées franches pour mener à bien son programme au profit de la diaspora. Aussi est-il condamné à réduire la taille de ses ambitions, faute par lui de se donner les moyens de sa politique. À moins d’un revirement total des dirigeants par rapport à la question de la diaspora.
Propos recueillis par Ray et Léo Joseph
cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur, édition du 11 nov. 2020, VOL. L No. 44 NYC US et se trouve en P. 1, 4, 8, 14, à : http://haiti-observateur.info/wp-content/uploads/2020/11/H-O-11-nov-2020.pdf