BRAS DE FER PRÉSIDENCE-SÉNAT DE LA RÉPUBLIQUE
- Jovenel Moïse peine à trouver une issue par Léo
Jovenel Moïse ne semble pas avoir mis sur pied une politique cohérente pour gérer la déclaration de caducité du Parlement auquel il a ajouté 19 sénateurs dont le mandat doit prendre fin légalement en 2020, soit le deuxième lundi de cette année. Il peine à trouver les moyens d’imposer sa décision, par rapport aux sénateurs élus pour quatre ans. Au fil des derniers jours, se sont accumulées les preuves irréfutables que l’occupant du Palais national n’a aucune base légale pour justifier une telle décision. En effet, quasiment au quotidien, depuis déjà plus de deux semaines, l’actualité est riche en documents publiés au cours de l’année qui vient de prendre fin prouvant que les neuf sénateurs, dont le mandat a été arbitrairement déclaré terminé, par le chef d’État, sont légalement en fonction. Au fur et à mesure que se multiplient les interventions relatives à ce dossier, le débat s’approfondit et les institutions ainsi que les personnes qui se font complices de Jovenel Moïse sont devenues les cibles privilégiées de tous ceux qui ne peuvent contenir leurs mécontentements.
Il semble que Nèg Bannann nan compte sur le Conseil électoral provisoire (CEP) de Léopold Berlanger pour réussir sa forfaiture. Mais il craint que, sous les pressions de la rue, des militants et des secteurs démocratiques ce dernier n’hésite à accéder à sa demande consistant à revenir sur la décision originale du scrutin de 2016 déclarant élus pour quatre ans les neuf sénateurs qu’il imagine pouvoir éjecter du Grand Corps.
Dans cette perspective, Moïse s’insurge contre Berlanger déclarant ne pas croire que le président du CEP soit «bête» au point de faire marche-arrière par rapport à la logique de sa politique contre les sénateurs. Cela voudrait dire qu’il aurait changé d’idée par rapport à la proposition consistant à recevoir une enveloppe de pots de vin d’une valeur de USD 1,8 millions pour être distribués entre lui et 8 conseilleurs électoraux, 3 autres ayant refusé de participer à un tel crime.
À titre de menace contre Berlanger, dans un tel contexte, il brandit l’épouvantail de renoncer à le nommer membre du Conseil électoral permanent, une promesse qu’il semble lui avoir faite auparavant.
Dans les milieux politiques, à la capitale, on affirme qu’un «débat houleux» serait en cours, présentement, au sein du CEP. Des conseillers raisonnent qu’il serait indécent, voire même dangereux, de revenir sur les décisions qui ont été prises formellement, par rapport aux résultats «certifiés» et «reconnus» par la communauté internationale. Ils disent croire dur comme fer que les observateurs des élections de 2016 ne sont pas indifférents à ce que le président est en train de faire. D’ailleurs, auraient argué des membres du CEP, tous les articles de journaux et documents officiels relatifs à ce scrutin font état du «renouvellement du tiers du Sénat» à la faveur des prochaines élections, celles qui auraient dû avoir lieu en novembre 2019.
Les conseillers électoraux, qui refusent d’abonder dans la logique des pots de vin offerts par la présidence, ont rappelé que la Loi électorale rédigée, qui devait conditionner les élections, qui auraient dû se tenir en novembre 2019, fait également mention du «renouvellement du tiers du Sénat».
En tout cas, il semble que les conseillers électoraux, qui repoussent l’idée de faire marche arrière par rapport à la décision originale de l’organisme électoral, ne soient pas disposés à changer casaque. Tout porte à croire que, appelé à dire le mot du Droit, dans le conflit présidence-Sénat de la République, le CEP soit prêt à maintenir l’article 50.3 de la Loi électorale de 2016.
Citations du quotidien
Le Nouvelliste Si quelqu’un avait quelque doute en ce qui concerne les élections qui devaient renouveler le Parlement dont le président haïtien allait «constater la caducité», il n’a qu’à consulter l’édition du 8 mai 2018 du quotidien Le Nouvelliste. On y relève ce qui suit :
«Les trois pouvoirs publics de l’État ne sont toujours pas parvenus à désigner leurs représentants pour désigner leurs représentants pour former le Conseil électoral permanent. Pourtant, en octobre de l’année prochaine, il devrait y avoir au pays des élections pour renouveler le tiers du Sénat et la Chambre des députés. Il devrait y avoir au pays des élections pour renouveler le tiers du Sénat et la Chambre des députés. Le Conseil électoral provisoire dirigé par Léopold Berlanger démarrant les mises en place en attendant la formation du Conseil électoral permanent. Ce qui est certain, selon le secrétaire général du Conseil des ministres, ‘ avec ou sans Conseil électoral permanent, les législatives auront lieu en octobre 2019’».
Plus loin, dans le même article, on lit ceci : «Ni le gouverne- ment ni la communauté internationale n’entend entraver le cycle électoral. En octobre 2019, il doit y avoir, de toute façon, des élections législatives au pays. Les États-Unis en tête et les autres partenaires du pays s’y mettent déjà».
Voici une autre citation intéressante de l’édition du 8 mai du Nouvelliste : «Des membres du Conseil électoral provisoire ont rencontré, le jeudi 3 mai l’ambassadeur des États-Unis en Haïti. Selon le directeur exécutif du CEP, il était surtout question de partage d’informations sur la réalisation des élections en octobre 2019 pour renouveler le tiers du Sénat et la Chambre des députés. On avait mis l’accent sur les préparatifs des prochaines élections’, a rapporté Uder Antoine au Nouvelliste».
Mise en garde lancée au CEP
Face au silence du CEP par rapport à la crise déclenchée par la mise à la retraite illégale des 9 sénateurs dont le mandat expire en janvier 2022 et aux rumeurs faisant état de pots de vin offerts aux conseillers électoraux par Jovenel Moïse pour qu’ils entérinent cette décision, un sit-in a été organisé, le lundi 27 janvier, devant les locaux de l’organisme électoral à Pétion-Ville.
Plusieurs organisations politiques et sociales en sus des membres de la société civile ont invité des dizaines de personnes à investir le siège du CEP, afin de rappeler les membres de l’institution leur responsabilité de respecter la Loi électorale et la Constitution du pays. Dès lors, ils ont sommé les conseillers électoraux de se prononcer sur la décision inconstitutionnelle et unilatérale d’envoyer à la retraite deux tiers du Sénat, au lieu d’un tiers ordonné par la Loi électorale, rappelant du même coup au CEP que les sénateurs dont les droits et intérêts sont lésés ont en leur possession le certificat octroyé par le CEP validant ce droit.
Le CEP est donc invité à exercer le droit que lui confère la Constitution et la Loi de trancher équitablement dans ce conflit post électoral. Il s’agit, selon les manifestants, d’épargner au pays une crise politique extrêmement grave qui pourrait déboucher sur un «dechoukaj généralisé».
Arborant des pancartes hostiles à Jovenel Moïse et aux CEP, bande à pied et soliste mobilisés, et l’atmosphère surchauffée, le personnel de l’organisme électoral a dû faire appel aux forces de l’ordre (CIMO) afin de sécuriser le périmètre du CEP. Par ailleurs, déclarant l’ère de la dictature «révolue», ils pensent que les projets de l’apprenti dictateur qu’est Jovenel Moïse est déjà voué l’échec. S’insurgeant contre l’intention du chef de l’État de diriger par décret, un des protestataires a déclaré, en colère : «Se pra l lagè e n ap mache pran yo».
Rappelons que, bientôt un mois depuis que Jovenel Moïse a lâché son fameux tweet, «la caducité du Parlement constaté», il n’a toujours pas franchi l’étape légale et constitutionnelle pour entériner cette décision : la publication d’un décret dans Le Moniteur à ce sujet. Pourtant, il n’a perdu une seule minute à remplir ces formalités dans le cas de Claudy Gassant.
Tout compte fait, dans le dossier des sénateurs, Jovenel Moïse persiste à gesticuler. D’aucuns diraient qu’il continue à faire des «mouvements nuls». Car il ne peut pas encore se donner les moyens de sa politique.
Cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur, édition du 29 janvier 2020 VOL. L, No. 4 New York, et se trouve en P. 1, 4 à : http://haiti-observateur.ca/wp-content/uploads/2020/01/H-O-29-janvier-2020.pdf