La politique américaine à l’égard d’Haïti basée sur le chantage
- ÉDITORIAL
Quand les États-Unis chouchoutent un chef d’État haïtien ou se montrent trop indulgent envers lui, les citoyens doivent s’en méfier. Car cela veut dire que celui qui a prêté serment de respecter et de faire respecter les lois et la Constitution du pays, en sus des intérêts supérieurs de la nation, fait preuve d’une complaisance crasse vis-à-vis du grand voisin, se courbant jusqu’à terre pour satisfaire ses intérêts. Ayant, en théorie, ouvert la voie à la présidence à celui qu’il a élu, souvent dans de mauvaises conditions, le peuple haïtien a pour devoir de sanctionner un tel leader, qu’il soit logé au Palais national ou à la Primature.
À la lumière des scènes révoltantes d’arrivée de plus de 13 000 réfugiés haïtiens, à la petite ville américaine de Del Rio, au Texas, la semaine dernière, qui ont trouvé abri sous un pont, avant d’être récupérés et incarcérés dans des conditions les plus inhumaines, par les dirigeants américains, puis expulsés sans délai sur Haïti, il faut s’interroger, quant au rôle que s’est attribué le leader du pays, bien que de facto, dans cette décision.
Un fait certain, le déferlement, à des heures d’intervalle, de plus de 13 000 Haïtiens, sur cette petite communauté du Sud des États-Unis, a mis l’administration Biden sur les dents, obligée de gérer une crise qui a surgi subitement. Mais cela ne justifie pas pour autant la manière dont ont été traités ces réfugiés durant leur bref séjour sous le contrôle des dirigeants politiques, judiciaires et policières des États-Unis. Dans la mesure où il a aussi fallu l’intervention du Premier ministre de facto, chef de l’Exécutif monocéphale, aux commandes, en Haïti, dans cette crise, il faut lui imputer les péripéties qu’ont endurées les réfugiés déversés, comme du bétail, à l’aéroport international Toussaint Louverture, à Port-au-Prince.
Il est rapporté que l’ambassadeur américain a rencontré Ariel Henry pour une discussion autour de cette crise, histoire de lui proposer la signature d’un document exprimant son accord à l’expulsion des migrants vers Haïti. Il semble que M. Henry ait signé le formulaire en question, sans poser de questions relatives au protocole des opérations de rapatriement, ni dans quelles conditions elles se feraient. Il y a tout lieu de croire que cette rencontre avait simplement pour objectif d’obtenir la signature du chef de facto de l’Exécutif monocéphale. Ni plus, ni moins ! Libre donc aux Américains de traiter les migrants comme ils veulent. C’est ce qu’ont montré les photos et les vidéos.
Plus de 300 réfugiés ont été embarqués dans trois avions dimanche dernier, qui les ont conduits à la capitale haïtienne. Des témoignages de ces derniers pris sur le vif, par des journalistes, en Haïti, font état de traitements inhumains dont ils ont été l’objet, au bout d’une longue traversée, de leur point de départ, jusqu’à destination, et qui a duré environ deux mois. Les migrants rapatriés affirment avoir été gardés en prison, sans nourriture, pendant au moins quatre jours. Un d’entre eux a déclaré avoir été dépouillé des vêtements qu’il transportait, en sus d’avoir passé environ six jours sans se laver ou se brosser les dents. Selon le témoignage de ces im migrants, ils n’avaient « pas de problème » au Chili où ils vivaient « bien», excepté que l’octroi de document d’immigrant dans ce pays reste problématique, les autorités chiliennes n’accordant la résidence qu’à ceux qui ont un emploi. Unique raison, ont précisé ces personnes, qui les a déterminés à mettre le cap sur les États-Unis.
Les réfugiés haïtiens, qui sont retour nés à leur pays n’ont pas caché leur déception des dirigeants des États-Unis, pays, disent-ils, qui passe pour le bastion de la démocratie et où le respect des droits est, en principe, sacré. Pourtant, ont-ils encore souligné, c’est là où sont bafoués leurs droits. Ils sont maltraités par les agents de la Brigade frontalière, en sus de s’entendre lancer des propos hostiles et peu flatteurs. Et l’administration Biden promet une investigation.
Si d’aucuns estiment de bon droit de taxer les révélations sur les traitements inhumains qu’ils ont reçus d’« exagérations », les images de telles scènes ont porté une officielle américaine à voir les choses différemment. Jen Psaki, porte-parole de la Maison-Blanche qualifie d’ « horribles » les photos des agents américains, à cheval, poursuivant les Haïtiens, quelle a vues. Questionnée lors d’un point de presse sur cette situation, Mme Psaki a précisé : «Je ne pense pas que quiconque voyant cette séquence puisse penser que c’était acceptable ou appropriée ».
Après coup, sans doute réagissant aux critiques, le Premier ministre de facto a mis en circulation une vidéo, dimanche soir, disant, entre autres » qu’il est « offensé de voir sur les ré – seaux sociaux et d’entendre à la radio les traitements infligés » aux Haïtiens. Bien longtemps avant lui, le représentant Bernie G. Thompson, démocrate du Mississippi, président de la Commission Sécurité intérieure de la Chambre des représentants s’était-il prononcé sur la situation, tenant ces propos : « Les vidéos et les photos en provenance de Del Rio montrant les mauvais traitements infligés aux immigrants haïtiens, par les agents de la Patrouille frontalière U.S., le long de la frontière, sont horribles et inquiétants ».
C’est que le Premier ministre se trouve sur des charbons ardents, car comme d’autres dirigeants, avant lui, ces derniers savent qu’il a des cadavres dans le placard. Ministre, sous Michel Martelly, il effectuait des détournements de fonds au profit de ce dernier et de la première dame, Sophia Saint-Rémy, qui n’hésitait pas à venir récupérer personnellement le magot, qui était extrait de la banque avant d’en faire la conversion en devises. D’aucuns pourraient bien se demander comment un homme, qui s’est vendu à ce point à Martelly, a pu devenir chef de la Primature ? La réponse est simple, «qui se ressemble s’assemble ». C’est la réalité politique post-Duvalier.
En effet, de Jean-Bertrand Aristide, à Jovenel Moïse, y compris Ariel Henry, les hommes au pouvoir scrutent le paysage politique à la recherche d’hommes et de femmes du même acabit qu’eux pour les succéder. C’était le cas pour Aristide, par rapport à René Préval, afin que ce dernier lui retourne l’ascenseur. Des élections dirigées par l’homme de Marmelade ramenèrent le prêtre défroqué au Palais national. Avec un lot de squelettes dans son placard, sous formes de détournements de fonds, de trafic de drogue et d’assassinat d’État, il fut contraint à la démission avant de partir pour l’exil, d’abord, en République centre-africaine, puis à la Jamaïque et, en fin de compte, en Afrique du Sud.
Retourné au pouvoir, lors du scrutin organisé par le gouvernement intérimaire Alexandre-Latortue, René Préval, dont on disait qu’il avait les «mains pures », s’est révélé un «expert» en contrat de gré à gré, surtout avec la SOGENER. Est-il possible de lui demander, à lui ou à Élizabeth Desbrosses-Delatour, ce qu’il a retiré de cet accord ? En tout cas, au moment où il s’apprêtait à faire une passe courte à Jude Célestin, son dauphin, le Département d’État, en la personne d’Hillary Clinton (secrétaire d’État), décida autre ment. Celle-ci infligea un coup fourré au peuple haïtien avec la présidence octroyée à Michel Martelly, plutôt qu’à Mirlande Manigat.
À la faveur de l’avènement de Martelly au timon des affaires, une nouvelle génération de politiciens a pris le contrôle du Palais national, s’ingéniant à gérer différemment le pouvoir. En étroite collaboration avec les forces politico-diplomatiques exogènes, les nouveaux tenants du pouvoir ont su trouver la formule heureuse pour composer avec celles-là. Ainsi, le choix du président musicien pour le succéder a-t-il été approuvé haut la main. D’où, critiques favorables de la candidature à la présidence de Jovenel Moïse, à Washington. Et le PHTK s’est déclaré en possession du Palais national durant les cinq prochaines décades.
Les observateurs restent pantois jusqu’à date, ne sachant comment expliquer le maintien du PHTK au pouvoir, en la personne du Dr Ariel Henry, après l’assassinat de Jovenel Moïse, qui n’avait plus de légitimité pour rester au pouvoir, son mandat ayant pris fin le 7 février 2021.
À l’analyse, presque tous les hommes, qui sont arrivés au pouvoir, au Palais national ainsi qu’à la Primature, font des affaires de la République le cadet de leur souci. Il est donc aisé de comprendre pourquoi le Premier ministre de facto n’a cure des intérêts de la République, et se fait très peu de souci du sort des réfugiés haïtiens. Tous ces hommes, à la haute magistrature de l’État, se comportent en chiens couchants par rapport à Washington, s’ingéniant, en tout temps, à défendre les intérêts américains, au détriment de ceux du peuple haïtien. Il est donc temps de doter les institutions de l’État d’hommes et de femmes intègres, compétents, respectueux des biens publics, aimant viscéralement leur pays, et prêts à se sacrifier pour lui en toutes circonstances. Des leaders non vulnérables aux chantages diplomatiques, armes dont se dotent certains pays pour imposer leur volonté dans les relations internationales.
Cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur VOL. LI, No. 36 New York, édition du 22 septembre 2021, et se trouve en P. 10 à : h-o 22 september 2021