ÉDITORIAL
- Le CORE Group passe toujours à côté de la solution de la crise par Éditor
Si dans les pourparlers antérieurs avec l’opposition démocratique contre Jovenel Moïse le CORE Group partait toujours dos à dos avec celle-ci, cette semaine, il affiche une position moins radicale que celle qu’il véhiculait dans le passé. En invitant les adversaires de Nèg Bannann nan à négocier le départ du président haïtien, la route vers la solution de la crise proposée par ces ambassadeurs des pays dits amis d’Haïti s’éloigne du concept énoncé sur un ton «à prendre ou à laisser, car le pouvoir s’obtient par les urnes». De toute évidence, cette évolution de l’appréciation de ces étrangers de la manière de trouver l’accord nécessaire pour rétablir la paix s’inspire de la mise en évidence des nouvelles stratégies de l’opposition, expressions de l’union et de la détermination trouvées, dans le cadre de la dernière grande offensive pour se défaire de M. Moïse.
À la suite d’une rencontre des représentants diplomatiques étrangers avec des leaders haïtiens représentant la plupart des membres de l’opposition, les rumeurs faisaient état de l’«injonction» faite par les étrangers, rejetant l’idée du départ de M. Moïse, et suggérant que les Haïtiens se réunissent autour d’une table pour trouver la solution à la crise socioéconomique que traverse le pays depuis déjà plus d’un an. Une telle notion renvoie à l’opinion soutenue dans le passé par le CORE Group s’exprimant contre la demande exprimée par des millions de manifestants dans les rues des villes d’Haïti exigeant que Jovenel Moïse «démissionne sans condition». Mais la déclaration du sénateur de l’opposition Nenel Cassy, qui était présent à la réunion, ramène la position des diplomates étrangers à leurs véritables proportions. Selon lui, ces derniers ne sont pas opposés au départ du président de la République, mais souscrivent au processus de négociations son abandon du pouvoir.
Quand bien même la position du CORE Group aurait évolué, mais parmi ces diplomates, il y en a ceux qui continuent de s’accrocher à l’- idée que Moïse reste au pouvoir. Autrement dit, cette fois, l’unanimité n’est pas faite au sein du groupe par rapport à ce dossier. D’un côté, les États-Unis, le Brésil et le représentant de l’Organisation des États américains (OEA) tiennent au maintien en poste de Jovenel Moïse. Alors que la France, le Canada, l’Allemagne, l’Espagne et l’Union européenne (EU) s’érigent en accusateurs du président haïtien en cavale et sont partisans de sa démission.
Ces derniers pays pensent qu’en tant que défenseurs des droits de l’homme et promoteurs de la bonne gouvernance, il serait incohérent d’appuyer Moïse et son gouvernement. Ils attirent l’attention sur la corruption et le détournement de fonds publiques qui sont la norme, sous Jovenel Moïse, et dont les crimes perpétrés sur les citoyens ne sont un secret pour personne. Surtout que de tels faits font l’objet de scandales à rebondissements faisant la une dans la presse. Ou bien que les massacres perpétrés ou cautionnés par des fonctionnaires hauts placés dans l’administration publique, notamment Fednel Monchéry et Pierre Richard Duplan, sont dénoncés avec véhémence dans presque toutes les couches de la société et les média du pays. On notera aussi que même le secrétaire général des Nations Unies a présenté un rapport au Conseil de sécurité de l’organisme mondial à ce sujet. Que ces deux fonctionnaires soient enfin mis à pied, cela entre dans le cadre d’une stratégie mise sur pied, suite au désaccord qui a surgi entre Jovenel Moïse et Michel Martelly qui exerce encore une certaine emprise sur le personnel du gouvernement.
Dans les milieux proches des diplomates opposés au maintien de Jovenel Moïse comme président de la République, est largement commentée l’idée de la mise en mouvement de l’action publique contre les auteurs du vol des plus de USD 4,2 milliards $ du fonds PetroCaribe. Aussi contre les massacreurs de jeunes et de familles de La Saline et de Carrefour-Feuilles, crimes face aux- quels la présidence et la primature gardent un silence complice.
En rejetant la position véhiculée par les États-Unis, le Brésil et le représentant de l’OEA, en minorité au sein du CORE Group, l’opposition haïtienne affiche la tendance des millions de citoyennes et citoyens qui ont, au cours des deux dernières semaines, réitéré leur rejet pur et simple de la présidence de Jovenel Moïse. Car si les protestataires, qui ont défilé dans les rues de Port-au-Prince et d’autres villes des dix départements, ont réussi leur projet dit «Pays Lock» («Pays bloqué»), ils démontrent ainsi leur intention d’aller jusqu’au bout de leurs revendications, c’est-à-dire la «démission sans condition» du président.
Les deux pays et l’organisme hémisphérique, qui se félicitent d’être les défenseurs de la démocratie et des modèles d’intégrité politique et de bonne gestion, exposent les contradictions qui les caractérisent. Leur dire ne correspond pas à leur pratique. N’est-il pas incohérent que les États-Unis et le Brésil, qui mènent la guerre, au sein de l’OEA contre Nicolas Maduro, s’obstinant à s’accrocher au pouvoir, trouvent démocratique de l’en écarter d’une façon ou d’une autre, sans passer par des élections ? Accusant ce dernier d’ignorer les revendications des manifestants du Vénézuela mobilisés contre sa présidence, on se demande comment peuvent-ils vouloir maintenir Jovenel Moïse au pouvoir, lui qui bafoue les droits de millions de citoyens exigeant son départ !
Même si, lors des premières mobilisations contre Nèg Bannann nan, les cinq entités, aujourd’hui en faveur de la fin du mandat du président d’Haïti, voulaient qu’il restât au pouvoir, ils savent maintenant que le peuple haïtien a manifesté sa désapprobation sans appel de M. Moïse en investissant massivement la rue. Car depuis les émeutes des 6 à 8 juillet 2018, celui-ci n’a démontré aucune disposition à changer d’attitude, ni affiché une quelconque volonté de faire amende honorable. Il s’est plutôt ingénié à renforcer toutes les politiques qui ont déclenché la colère du peuple contre lui.
En effet, au méga détournement des USD 4,2 milliards $ du fonds PetroCaribe, dont il s’acharnait à protéger les hauts fonctionnaires épinglés dans le rapport de l’enquête de la Commission d’éthique et anticorruption du Sénat, s’ajoutent d’autres scandales financiers. Jovenel Moïse, sa famille et ses alliés politiques dans les deux Chambres législatives sont dénoncés dans l’affaire Dermalog, dans la surfacturation relative aux kits scolaires et sanitaires, ou celle impliquant les détournements perpétrés sur les allocations budgétaires des ministères et des secrétaireries d’État. Sans oublier les abus faits sur les fonds de l’ONA et d’autres entreprises d’État.
Leur rapacité est telle qu’elle s’est révélée un vaste complot mené contre les caisses publiques, dont les conséquences ont été immédiates : l’incapacité pour l’État de faire face à ses responsabilités, des mois de salaires dus aux employés du gouvernement, y compris le personnel diplomatique et consulaire; la paupérisation de la classe moyenne et l’enfoncement davantage dans la misère des couches vulnérables. Ainsi con- state-t-on l’impossibilité pour les familles de se nourrir, d’avoir accès aux soins médicaux, d’envoyer leurs enfants à l’école; et l’expatriation des jeunes à la recherche de mieux-être sous d’autres cieux. Au cours des dernières semaines, les témoignages de mères et pères de familles exposant la misère et la faim qui les rongent ont retenu particulièrement l’attention, exposant les effets criminels de la politique du régime Tèt Kale dirigé par Jovenel Moïse.
Complice du président, le leadership du Parlement est accusé des mêmes pratiques. Surfacturation coûtant des millions de gourdes au budget de la Chambre basse versées aux entreprises appartenant aux hommes d’affaires qui ont financé les élections du président de la Chambre basse, Gary Bodeau, et d’autres parlementaires. Tandis qu’au Sénat, sous la houlette du questeur, le sénateur Onondieu Louis, des centaines de millions de gourdes sont transférés à des comptes bancaires privés contrôlés par une équipe montée à l’initiative de ce dernier.
Les forfaits financiers mis au compte de ce gouvernement rivalisent seulement avec les crimes de sang qui lui sont reprochés. Il semble que, ici encore, les acteurs politiques aient redoublé d’effort depuis les premières émeutes déclenchées par la mobilisation anti Moïse. Car depuis les grandes mobilisations des citoyens pour exiger la démission du président, des massacres ont été perpétrés à La Saline, quartier populaire de Port-au-Prince, où plus de 70 personnes ont été exécutées, dont des femmes et des enfants à bas âge. Des scènes semblables ont été constatées aussi à Carrefour-Feuilles, également à la capitale. Ajoutés à tout cela, des jeunes manifestants tués au cours des trois dernières semaines par des policiers, surtout ceux du corps spécialisé du CIMO.
Tous ces faits ici exposés, et bien d’autres encore non énumérés, ne laissent plus de circonstances atténuantes à la condamnation de Jovenel Moïse à la «démission immédiate et sans condition». Encore une fois, les ténors du CORE Group passent à côté de la solution de la crise du pays. Les États, dont les ambassadeurs persistent à plaider pour que le départ du chef d’État haïtien fasse l’objet de «négociations» se font complices de tous ces crimes. Tel devrait être l’avertissement adressé aux États-Unis d’Amérique, au Brésil et à l’OEA, d’ailleurs un organisme dont la pertinence est de plus en plus mise en question.
cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur, édition du 2 octobre 2019 Vol. XXXXIX no.39, et se trouve en P.10 à : http://haiti-observateur.info/wp-content/uploads/2019/10/H-O-2-oct-2019.pdf