LE KIDNAPPING CONTRE RANÇON, UN CRIME D’ÉTAT EN HAÏTI par Léo Joseph
- Cheval de batail de Jovenel Moïse : Silence complice de l’administration Biden-Harris
- Les Haïtiens qui ont misé sur l’équipe démocrate aux élections de 2020 déçus et tous penauds
Il existe ce proverbe qui dit : «Qui ne dit mot consent». On est tenté de croire qu’il s’applique textuellement à l’administration Biden-Harris, face au dernier acte d’enlèvement d’un pasteur et au moins de quatre fidèles de son église, en plein culte diffusé sur les réseaux sociaux. Voilà un événement qui fait d’Haïti l’unique pays au monde où les gens ont vécu l’effroi d’être témoins de cette scène criminelle dans leurs salons ou les lieux où ils se croient être en sécurité. On se demande, dès lors, quand les preneurs d’otages vont décider de se saisir de leurs victimes en leurs résidences, communément considérées comme leurs « forteresses ».
D’aucuns auraient pu penser à un épisode de « Poisson d’Avril», jeudi soir, 1er avril, au mo ment où le pasteur titulaire de l’église adventiste « Galaad », à Diquini 60 (Carrefour), au sud de Port-au-Prince, Audalus Estimé, présidait un service d’adoration. Ayant fait irruption dans l’église, alors que Welmyr Jean-Pierre, directeur de la chorale « Gospel Creyòl » assurait l’animation, des « hommes lourdement armés », sans porter le masque, comme c’est toujours le cas, et telle que la scène a été décrite par des fidèles, ont fait irruption dans l’enceinte du temple, intimant l’ordre à MM. Estimé et à Jean-Pierre, ainsi qu’à deux autres fidèles, de les accompagner Selon d’autres témoins, une femme avait pu prendre la fuite par une porte arrière, sans attirer le soupçon des bandits. Welmyr Jean-Pierre, qui est aussi le maestro et keyboardiste de la chorale, est l’ancien pianiste du groupe «Kompa New York All Stars », en sus d’être professeur de musique, à l’Académie des arts (ENARTS).
Il n’a pas été indiqué les conditions imposées de cet enlèvement. On sait, par contre, que de telles opérations criminelles sont régulièrement menées assorties de demandes de fortes sommes d’argent en échange de la libération des victimes. Toute – fois, plus de 48 heures après cet enlèvement spectaculaire, aucune rançon n’a encore été communiquée.
Au moment où ce texte était en chantier, l’information est tombée relative à la libération de tous les otages. Les messagers ayant fait état de paiements de compensations aux ravisseurs n’ont toutefois pas été indiqués, ni le montant de celles-ci. La manière dont a été gérée cette prise d’otages rappelle étrangement celle dont avait été victime la femme de Dimitri Hérard, Maritza Beaubrun, la première semaine de décembre 2020. Le mari de la victime, qui est, en fait, le patron des caïds criminels de Village de Dieu, avait, lors d’une visite dans ce quartier, obtenu l’élargissement de son épouse, sans verser de rançon. À l’époque, des sources proches du Palais national faisaient croire que les kidnappeurs ignoraient qu’ils avaient Mme Hérard en leurs mains.
L’ultime décision relative à la rançon appartient au Palais
Dans les milieux proches de la présidence, on assure que le kidnapping représente une industrie soutenue par une étroite collaboration entre les dirigeants du pays et les gangs armés. S’il incombe à ces derniers la responsabilité de mener les opérations d’enlèvement, il appartient aux décideurs du pays, au plus haut niveau, de déterminer la taille de la rançon exigée. Ces informations sont révélées parce que ce crime ne fait pas l’unanimité au sein du pouvoir. Grâce à la présence de telles personnes, en tapinois parmi les gens du pouvoir, sont exposés des secrets que couvent les femmes et hommes proches de la présidence.
En effet, à l’instar des victimes bénéficiant rarement d’une heureuse intervention de la présidence pour être remis à leurs famille, sans verser de rançon, on laisse croire que les autorités auraient été forcées de dispenser le paiement de rançon au pasteur adventiste, ainsi qu’au maestro de la chorale et les deux fidèles. Selon les mêmes sources, ces derniers auraient bénéficié du même traitement qu’ont connu les deux jeunes artistes dominicains et leur interprète haïtien. Car, apprend-on, l’intervention directe du président dominicain, Luis Abinader, dans le dossier, avait poussé Jovenel Moïse à faire marche arrière. Aussi aurait-il décidé de passer des instructions aux kidnappeurs de Gran Ravin, qui avaient perpétré le crime, de libérer les otages dominicains et leur compagnon haïtien, sans qu’ils soient obligés de débourser aucune rançon.
Selon ce qu’on répète, dans les milieux intimes du pouvoir, Jovenel Moïse avait bien compris que le Service de renseignements de la République dominicaine était au courant des tournants et des aboutissants du kidnapping, qui était devenu une entreprise lucrative. Dans de telles conditions, Nèg Bannann nan s‘était précipité à élargir les trois victimes.
Si le cas des évangéliques adventistes est différent de celui des Dominicains et de leur interprète, le non-paiement de la rançon de USD 2 millions exigés, suite à l’enlèvements des quatre personnes, s’était justifié pour d’autres raisons. On assurait que les victimes étaient devenues un sujet d’embarras pour le pouvoir.
En effet, non seulement cet épisode de kidnapping a déclenché des interventions musclées, à l’étranger, contre les gangs armés, il a fait diriger des dénonciations quasi-immédiates sur Jovenel Moïse. De telles prises de positions constituent les premières qui ont été aussi directement lancées contre la présidence, en sus de se provoquer aussi rapidement.
Au fait, coup sur coup, moins de 24 heures après le kidnapping perpétré à l’église adventiste Galaad, des tweets puissants ont été diffusés. Il s’agit de celui du congressiste américain Andy Levin (congressman de Michigan) se prononçant en ces termes : « Les mots ne suffisent pas pour traduire le niveau d’impunité et l’absence totale d’irresponsabilité en Haïti, sous Jovenel Moïse. Je ne me tairai pas. Arrêtons de dire n’importe quoi sur le fait que des élections légitimes sont possibles dans ces circonstances. Nous devons travailler pour le changement, dès maintenant ».
D’autre part, si Susan D. Page, la cheffe de la Mission des Nations Unies pour la justice en Haïti (MINUJUSTH), dont la prise de position sévère, par rapport au régime PHTKiste de Jovenel Moïse, l’avait fait déclarer persona non grata par Antonio Rodrigue, alors chancelier d’Haïti.
« Terrible nouvelle d’un autre enlèvement à Port-au-Prince, Haï ti. Nous prions pendant ce week-end saint pour que toutes les personnes enlevées alors qu’elles chantaient des louanges soient libérées rapidement et en toute sécurité, et que les ravisseurs soient traduits en justice ! »
La question de savoir si les rançons sont payées par les victimes restera une controverse, jusqu’à ce que vienne le moment des règlements de compte, quand, la justice aidant, il faudra exiger restitution au ravisseurs ainsi qu’aux commanditaires de ce crime. Ces derniers lutteront bec et ongles pour se défendre. Car ils seront disposés alors à nier avoir exigé et reçu de rançons de leurs victimes.
Les individus solvables ne sont pas victimes de kidnapping
On n’a pas besoin d’être grand clerc pour savoir que les gens du pouvoir sont les vrais commanditaires de l’enlèvement contre rançon. Il suffit de se rappeler que les individus solvables ne sont jamais victimes de ce phénomène.
En effet, a-t-on jamais entendu un des dilapidateurs du fonds PetroCaribe se faire prendre en otage par des ravisseurs, alors qu’ils possèdent les millions que ceux-là exigent des personnes de la classe moyenne qui, presque toujours, sont obligées de vendre… us les régimes qui se sont succédés au pouvoir, se sont mis en semble pour détrousser collectivement le peuple haïtien, par l’entremise de la vente du brut vénézuélien. Ensemble ils ont conspiré pour ramasser les plus de USD 4,2 milliards $, qu’ils ont placés dans des comptes en résidence dans des banques étrangères, dont les nantis les placent à des banques off-shore.
Maintenant la conspiration continue pour qu’ils se protègent ensemble. Voilà pourquoi ceux qui ont la responsabilité d’orchestrer des kidnappings pour le compte du Palais national connaissent à l’avance qui seront leurs victimes. Faut-il croire que les voleurs du fonds PetroCaribe sont aussi partie prenante du phénomène d’enlèvement contre rançon ?
Bientôt trois mois depuis la fin du mandat constitutionnel de Jovenel Moïse. Mais il continue à s’accrocher au pouvoir, au grand dam du peuple haïtien se mobilisant pour mettre fin aux crimes de toutes natures qui endeuillent les familles, mais plus précisément pour chasser Jovenel Moïse du Palais national, jusqu’ici sans succès. Car les espoirs qu’un nombre imposant d’Haï tiens avait investis dans l’équipe Biden-Harris les ayant fait croire que l’administration qui allait remplacer Donald Trump, à la Maison-Blanche, laissait croire qu’elle allait se désolidariser de Nèg Bannann nan, se sont évanouis. Les Haïtiens, qui avaient misé sur l’équipe démocrate, aux élections de 2020, sont on ne peut plus déçus et se retrouvent tous penauds. L. J.
Cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur, édition du 7 avril 2021 VOL. LI, No. 13 New York, et se trouve en P. 1, 4, 8 à : http://haiti-observateur.info/wp-content/uploads/2021/04/h-o-7-avril-2021.pdf