Le peuple mécontent occupe la rue, et y reste…… par Léo Joseph
- JOVENEL MOÏSE TOUJOURS SUR LE BLANC POUR SE MAINTENIR AU POUVOIR
La rue gronde ! La rue gronde ! Impossible de savoir quand le ras-le-bol du peuple va l’inciter à envahir la pelouse du Palais national ou à montrer le nez à la résidence privée du président sans pouvoir à Pèlerin 5. Après avoir investi les rues de la capitale et des villes de province, depuis bientôt une semaine, aucun signe n’apparaît indiquant que le peuple souverain est sur le point de regagner ses pénates. Mais Jovenel Moïse semble perdre le nord, car s’imaginant que les manifestants vont finir par se fatiguer d’endurer la chaleur, la poussière et la soif, comme c’est toujours le cas. En plus de miser sur le Blanc pour venir à la rescousse. Telle est la raison pour laquelle il a invité une délégation mixte des Nations Unies et de l’Organisation des États américains (OEA) pour superviser un tête-à-tête inter haïtien, qu’il n’a pas su réaliser lui-même.
Le peuple haïtien a démontré, au-delà d’aucun doute, qu’il en a marre de Jovenel Moïse. S’il avait encore quelque doute, la semaine dernière, il en a, désormais, la preuve incontestable. Les plus de 4 millions de manifestants, dans les rues de Port-au-Prince, Pétion-Ville, Arcahaie, Léogâne, Petit-Goâve (Ouest), Jacmel (Sud-Est), Miragoâne, Petite Rivières, Barradères (Nipes), Jérémie (Sud-Ouest), Cayes (Sud), Saint-Marc, Gonaïves (Artibonite), Port-de-Paix, Trou du Nord (Nord-Ouest), Cap-Haïtien, Limbé, Pilate (Nord), Fort-Liberté, Ouanaminthe, Belladère (Nord-Est), Hinche, Saint Michel de Latalaye (Centre) sont la réponse à l’argument cher aux PHTKistes revendiquant les 500 000 électeurs ayant porté Jovenel Moïse au pouvoir. En clair, entre 500 000, qui ont voté Moïse, et les 4 000 000 qui demandent qu’il démissionne «immédiatement» l’équation perd définitivement son équilibre.
Les funérailles de Jovenel Moïse célébrées aux Cayes
La ville des Cayes dans le département du Sud, surnommée «ville paisible», car ayant rarement fait des vagues à l’occasion des remous politiques, a drainé dans les rues une foule immense, au point de faire dire à plus d’un «On n’a jamais vu tant de manifestants dans les rues avant». Les protestataires ont répondu, nombreux, à l’invitation de participer aux «funérailles symboliques» de Jovenel Moïse, à la Place d’armes de la ville, le lundi matin 17 juin, avant de semer ses «cendres» à la Plage de Gelée, au sud de la ville.
Depuis que le mouvement a été déclenché, le dimanche 9 juin, les manifestations n’ont pratiquement pas cessé aux Cayes. Pour cette ville, Jovenel «mort» ne peut pas être président.
À Port-au-Prince, notamment, le lundi 17 juin, les manifestants ont été mobilisés sur plusieurs fronts, au moins une vingtaine, pour se converger vers l’aire du Champ-de-Mars où ils allaient faire sept fois le tour du Palais national, en guise de réinterprétation de la scène des israélites faisant sept fois le tour de Jéricho, sous la direction de Moïse. Ce qui avait provoqué la chute du mur et la prise de Jéricho par les israélites.
Le même jour, à Petit-Goâve, l’ex-commissaire du gouvernement de Port-au-Prince, Me Jean Danton Léger, menait la longue procession faisant également sept fois le tour symbolique des Palmistes. Pour les Petits-Goâviens aussi, Jovenel Moïse mort ne peut être président.
Depuis la première journée de grève décrétée le dimanche 9 juin, il ne se passe plus un seul jour sans que les protestataires ne descendent dans la rue, à travers la République. Tous les quartiers de la capitale, les Routes nationales numéro 1 et 2 sont pratiquement bloquées tous les jours. Le trafic automobile était impossible, surtout des Gonaïves à Montrouis, en passant par Saint-Marc et l’Arcahaïe. La Nationale numéro 2 était bloquée depuis la ville des Cayes, jusqu’au Portail Léogâne.
Il semble que les manifestants veuillent continuer la mobilisation non-stop. De nos jours, ils disent ne pas vouloir cesser le mouvement «tant que Jovenel Moise n’aura pas quitté le pouvoir».
Jovenel Moïse pratiquement immobilisé
Il semble que Jovenel Moïse n’ait pas les coudées franches pour se déplacer comme il veut, à la capitale. Et selon toute vraisemblance, il semble être à court d’argent pour se faire transporter par hélicoptère. Car tout porte à croire que Sheriff Abdalah, propriétaire de la compagnie de qui il prend ces engins en location, n’autorise pas le déplacement de ces hélicos sans que la facture ne soit payée à l’avance.
En effet, M. Moïse devait se rendre à l’Académie de Police, mercredi dernier. Quand les manifestants apprenaient qu’il se trouvait à Frères participant à la cérémonie de remise des diplômes, à l’Académie de Police, ils s’y étaient convergés en grand nombre. Mais, apprenant que le peuple avait pris la route afin de le cerner à cet endroit, il emprunta une sortie à l’arrière du complexe pour laisser les lieux en catastrophe.
Isolé de tous, Jovenel Moïse est un homme seul
Nèg Bannann nan ne peut aller nulle part et les invitations qu’il lance en vue de rencontrer des secteurs de l’opposition boudent les rencontres qu’il propose. Par exemple, il était prévu qu’il allait rencontrer des groupes d’opposants, lundi matin, à 10 heures, en sa résidence, à Pèlerin 5. On apprend que personne n’a répondu présent à l’invitation.
Jovenel Moïse avait fait décaisser 302 millions de gourdes, en vue d’organiser une manifestation pro Jovenel Moïse, mardi matin. Depuis la veille, des rumeurs persistantes faisaient croire que les partisans de Jovenel avaient fait une large distribution de machettes et d’armes à feu, dans le but de faire face aux manifestants
de l’opposition. Mais elle a été ajournée sine die.
Un autre esclandre s’était encore produit avec Magalie Habitant par les PHTKistes qui avaient été rémunérés pour participer au mouvement en faveur du président Moïse. Ces manifestants se sont présentés à Habitant pour lui dire que des grands ténors de PHTK devaient les accompagner pour qu’ils ne soient pas obligés de manifester seuls dans les rues. Aussi avaient-ils demandé que des membres de la famille Martelly, de Mayard-Paul, d’Habitant elle-même et d’autres grosses légumes du pouvoir, se mobilisent avec eux. Il semble que les PHTKistes ne soient d’humeur à affronter des dizaines de milliers de manifestants anti-Moïse dans les rues. Surtout que, après avoir appris que le président allait orchestrer sa propre manifestation, les opposants avaient demandé aux ambulanciers d’accompagner les manifestants de proximité, puisqu’ils allaient s’armer de machettes en vue de contrecarrer les partisans de Jovenel Moïse.
Par ailleurs, Magalie Habitant, la version PHTK de la Marie-Jeanne de François Duva lier, constatant que la manif pro-Moïse n’avait eu lieu, alors que les 302 millions de gourdes ont été distribués, a demandé à ceux qui ont reçu l’argent de le restituer puisqu’ils n’ont pas été à la manif. Selon toute vraisemblance, les 302 millions de gourdes extraites de la caisse publique ont été bel et bien dépensés, bien qu’il n’y ait de manifestation.
Les PHTKistes des Gonaïves prêts à faire défection
La mobilisation citoyenne décrétée à l’échelle nationale, et qui se renforce chaque jour davantage, affecte, on ne peut plus, le moral des partisans du PHTK. C’est pourquoi le Palais national estime devoir, de temps à autre, faire une distribution d’argent aux partisans du pouvoir. Et tout cela se fait au détriment de la caisse publique.
Mais il semble que les PHTKistes fassent l’expérience d’un déficit de psychologie progressivement, et dont la première manifestation apparait aux Gonaïves. Après avoir annoncé qu’ils s’apprêtent à abandonner le parti de Michel Martelly ils ont laissé entendre, dans l’après-midi du mardi 18 juin, qu’ils n’hésiteront pas à prendre les armes contre le parti au pouvoir.
L’impact de la mobilisation sur les finances du pays
Déjà en butte à une crise économique et financière sans précédent, Haïti risque de ne pouvoir se remettre, suite à la mobilisation décrétée sur toute l’étendue du territoire national, une situation qui a toutes les chances de s’aggraver, au fil des jours, dans la mesure où les groupes opposés à Jovenel Moïse continuent d’exercer les pressions sur lui pour qu’il laisse le pouvoir. C’est ce qu’a fait comprendre le grand argentier de la République, Ronald Décembre.
En effet, Pierre Lunick Revange, chroniqueur à l’organe de presse en ligne Juno 7, fait état des préoccupations de M. Décembre déplorant une situation économique chaotique, allant jusqu’à voir une catastrophe profiler à l’horizon. Il met cette situation
au compte de la mobilisation qui empêche la collecte des taxes, tant au niveau de la Direction générale des impôts (DGI) qu’à celui de l’Administration des douanes, précisant que «les événements socio-politiques que connait le pays depuis octobre 2018 a nos jours, ont des impacts très négatifs sur la santé économique du pays».
Ronald Décembre a précisé que les finances du pays souffrent énormément de la fermeture des institutions d’État, particulièrement celles qui ont la vocation d’effecteur la collecte des taxes. Selon le ministre des Finances et des Affaires économiques, la DGI «ne collecte aucune taxe». Une situation qui affecte aussi l’Administration générale des douanes. Or, dit-il, l’AGD cesse pratiquement de fonctionner depuis environ une semaine.
Les statistiques que M. Décembre avance, citées encore par Pierre Luckner Ravange, sont effrayantes : l’inflation a atteint 17,7 %. Par rapport au recul de la gourde, face au dollar (92 gourdes pour un dollar), les prix des produits importés connaissent une hausse de l’ordre de 1,4 %.
Ronald Décembre craint que le pays ne soit en mesure de faire le paiement des salaires du mois de mai attendu au début du mois de juin. Mais il n’a pas indiqué comment seront traités les cas de salariés qui attendant des arriérés de salaire de plus de six mois. Ni de ceux du personnel diplomatique et consulaire, dont les employés sont basés à l’étranger. Cette situation préoccupe encore davantage les employés des ambassades et consulats à qui le ministre des Affaires étrangères avait adressé une lettre leur demandant de patienter encore un peu plus avant de toucher leurs salaires, car le gouvernement traverse une étape extrêmement difficile.
Rappelons, dans la foulée, que le gouvernement trouve des centaines de millions de gourdes pour verser à des personnes engagées précisément pour casser les manifestations organisées en vue de mettre fin à la politique délétère de Jovenel Moïse responsable de la mise en banqueroute de l’État
cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur, édition du 19 juin 2019 No. 25 et se trouve en P.7, 12 à : http://haiti-observateur.info/wp-content/uploads/2019/06/H-O-19-juin-2019.pdf