LES PROCHAINES ÉLECTIONS SONT ELLES POSSIBLES EN HAÏTI
- Le secrétaire d’État américain berné par Bocchit Edmond par Léo Joseph
- Aucune liste électorale n’est possible; Complot contre le scrutin promis par Jovenel Moïse…
Par leur crédulité ou leur volonté de prendre pour argent comptant les informations reçues des dirigeants haïtiens, les responsables américains, notamment le secrétaire d’État Mike Pampeo, est sur le point de se laisser berner par son homologue haïtien. En communiquant au patron du Département d’État l’engagement du chef d’État haïtien d’organiser «prochainement » des élections et de promulguer une nouvelle Constitution, les Américains sont sur le point de cautionner un autre complot électoral susceptible d’entraîner une crise, encore plus grave que celle qui a porté Nèg Bannann nan au pouvoir par un verdict controversé du Conseil électoral provisoire (CEP) qui reste encore contesté jusqu’aujourd’hui.
Suite à la décision du chef de l’État haïtien de congédier les deux tiers du Sénat, le deuxième lundi de janvier, au lieu d’un tiers, comme le prévoit la Loi électorale de 2015, le secrétaire d’État américain n’a pas donné une position catégorique de Washington, par rapport à cette dernière forfaiture du président haïtien. Dans le cadre d’une rencontre, à Kingston, Jamaïque, avec une poignée de Premier ministres et de ministres des Affaires étrangères de la Caraïbe, y compris le chancelier haïtien, M. Pompeo a fait la déclaration suivante : « Nous sommes préoccupés par le fait que le président dirige par décret. J’ai rencontré le ministre haïtien des Affaires étrangères, durant mon séjour à Kingston, à la Jamaïque. Nous avons exhorté les dirigeants haïtiens à établir un calendrier et à fixer une date définitive de ces élections. C’est la chose la plus
importante. «Nous pensons que le gouvernement haïtien dispose du pouvoir, de la capacité, et d’un droit légal pour le faire. Une fois que ces élections auront eu lieu, il y aura un gouvernement dûment élu. Nous n’aurons plus à nous préoccuper de la gouvernance par décret».
Une position boiteuse, vu la gravité de la situation Les observateurs avisés estiment tout à fait boiteuse la position exprimée par le secrétaire d’État américain affichant sa méconnaissance totale de la présente réalité politique haïtienne dominée par la corruption, un phénomène qui met en péril la tenue même des élections. Une opération impossible à réaliser sans une base de données des personnes ayant le droit de vote. Ce qui est irréalisable avec le système Dermalog acquis par la présidence hors des normes de passation de marché. Surtout qu’en dépit des millions déjà versés à cette compagnie allemande, l’accord en vertu duquel le régime compte conditionner la base de données sur laquelle doit se baser ces joutes n’existe même pas légalement. C’est, en tout cas, la conclusion offerte par un haut fonctionnaire de l’État qui souhaite rester anonyme.
Avant d’exposer ce nouveau crime électoral, dont Jovenel Moïse se prépare à accoucher, il importe de révéler ces réflexions. En effet, dit-il catégoriquement S «Le contrat Dermalog signé entre l’État haïtien représenté par le Premier ministre Jacques Guy Lafontant, le ministre de l’Économie et des Finances, Patrick Salomon, le ministre de la Justice et de la Sécurité publique, Heidi Fortuné, le directeur de l’ONI, Jacques Élibert, et la firme allemande Dermalog, n‘existe pas, pour n’avoir jamais été validé par la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif, tel que mentionné dans l’avant dernier article dudit contrat. L’approbation de la Cour était, non seulement une obligation, mais un mur infranchissable. C’est donc un projet de contrat qui n’est jamais entré dans sa phase exécutoire. Ce n’est que trois mois après le départ du gouvernement du ministre Fortuné, soit en juillet 2018, que le président et le Premier ministre ont pris, en Conseil des ministres, un arrêté pour déclarer urgence nationale l’émission d’une nouvelle carte d’identification. Et en vertu de cet arrêté, le gouvernement a pris une résolution signée par tous les ministres du gouvernement ordonnant au ministre des Finances de débloquer des fonds en faveur de la firme allemande. S’en est suivi le voyage, pour le moins troublant, tendancieuse et obscur de la première dame Martine Moïse, accompagnée du ministre de la Justice Jean Roudy Aly et du directeur de l’ONI, Max Élibert, jusqu’au siège de ladite firme».
Et le haut fonctionnaire d’ajouter: «En résumé, le gouvernement, ne pouvant pas passer à la phase d’exécution du contrat avec la firme allemande, a tout simplement ignoré le contrat dans sa globalité et la fin de non-recevoir octroyée par la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif en utilisant des voies détournées pour surmonter tout obstacle et parvenir à ses fins. D’où l’arrêté et la résolution prise en Conseil des ministres».
Le même haut fonctionnaire conclut son intervention sur le dossier Dermalog par ces mots: «Le contrat Dermalog n’existe pas. Ne vous laissez pas duper».
Des élections dans trois ou sept ans ?
Par le truchement de Bochitt Edmond, le ministre des Affaires étrangères, Jovenel Moïse a promis au secrétaire d’État américain, Mike Pompero, d’organiser des élections « dans le meilleur délai ». Dans trois ou sept ans ? Grâce à Youri Latortue, le «sénateur fouineur», révélateur des secrets louches de la présidence, le pot aux roses par rapport au contrat Dermalog a été découvert. En effet, les faits révélés par M. Latortue relatifs au contrat signé par le régime Tèt Kale et la firme allemande semblent corroborer les données qui ont porté ce haut fonctionnaire anonyme à déclarer que «le contrat Dermalog n’existe pas».
Toutefois, Jovenel Moïse a décidé de passer outre aux formalités légales et constitutionnelles pour entériner ce marché avec la compagnie allemande. Parce qu’il voulait se donner, à lui et à sa femme, l’occasion de réaliser de juteuses commissions. Le sénateur Latortue a argué, avec raison, qu’il n’y a aucune raison de changer la carte d’identité nationale, qui est encore valide, surtout que la nouvelle carte, que se propose de créer la présidence, ne sera pas prête pour organiser les élections appelées à renouveler le Parlement et le tiers du Sénat, avant le deuxième lundi de janvier 2020.
Bien que l’Office nationale d’identification (ONI) ait invité les citoyens à retirer leur nouvelle «carte unique», il est clair qu’elle ne pourra supporter les prochaines élections. Avec le nouveau système Dermalog illégalement acquis, il faut jusqu’à sept ans pour mener à bien un scrutin en bonne et due forme. Donc, au nom de la corruption, la prochaine joute électorale promise à M. Pompeo par Jovenel Moïse risque de déclencher une crise sociopolitique encore plus grave que celles que le pays a connues jusqu’ici.
En clair, d’aucuns interrogent les motifs ayant guidé le choix de changer la carte d’identité nationale en un document unique, dans un contexte de crise financière aigue, alors que celle en vigueur est encore valable pour plusieurs années. Quand on prend en compte le fait que l’État doit plusieurs mois d’arriérés de salaires aux enseignants, à des policiers ainsi qu’à d’autres employés de l’administration publique, surtout les contractuels, comment expliquer cet empressement à engager la nation dans un autre contrat franchement illégal ? Ce cas est d’autant plus révoltant que le président est forcé de faire marche-arrière par rapport à ses promesses électorales, en sus des dizaines d’autres qu’il a faites à la nation tout au long de ses trente- six mois au pouvoir. Voilà un autre cas, parmi des douzaines, de priorités mal placées, dont Jovenel Moïse s’est rendu coupable. Assurément, une autre raison justifiant la demande de sa démission avec tant d’insistance par la nation.
Dans le cadre de cette promesse faite à M. Pompeo, Jovenel Moïse s’est révélé le menteur invétéré que le peuple haïtien a découvert depuis peu après sa prestation de serment, le 7 février 2017. Mais cette situation aurait dû se présenter autrement, si la diplomatie américaine faisait montre du discernement et de la sagesse qu’on lui a connus, dans un passé encore récent. Il y a de quoi porter les observateurs sages à se demander comment les décideurs américains en sont-ils arrivés là. À ce que le secrétaire d’État se soit laissé ainsi berner par Bocchit Edmond.
En clair, il se trame un nouveau complot électoral, avec la complicité des Américains, dont le motif d’une telle politique n’est pas clair. Il faut, toutefois, craindre que, autre temps, autre mœurs, comme dit l’adage, cela ne risque de tourner très mal. Cette stratégie électorale scélérate sera mise en place dans un contexte de révolte populaire où le président a perdu sa légitimité. Il semble que le Département d’État avance sur ce terrain piégé à leurs risques et péril. L.J.
Cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur, édition du 29 janvier 2020 VOL. L, No. 4 New York, et se trouve en P. 1, 3 à : http://haiti-observateur.ca/wp-content/uploads/2020/01/H-O-29-janvier-2020.pdf