LA DISTRIBUTION DE L’AIDE DANS LE GRAND SUD
- Les dirigeants haïtiens complètement débordés… par Léo Joseph
- Des milliers de victimes laissées pour contre….
Bientôt un mois depuis que la terre a vigoureusement secoué le grand Sud, et des milliers de victimes n’ont toujours pas eu nouvelle de l’aide qui, pourtant, coule à flots, plus ou moins, dans les principales villes des trois départements les plus touchés. Si, à Port-au-Prince, le pouvoir central s’applique à tenir la nation et le reste du monde dans l’ignorance des faits, au niveau de la «Protection civile » (PC), l’organisme à qui incombe la responsabilité de faire le bilan des pertes et des victimes, l’impossibilité d’accéder physiquement aux communes les plus dévastées
constitue une gageure. Autant dire, s’il faut s’attendre à un vrai déploiement d’effort de la part des gens au pouvoir pour faire aboutir l’aide à ceux qui en ont le plus besoin, ces derniers risquent de sombrer encore longtemps dans la souffrance.
Dans son édition du 3 septembre, Le Nouvelliste, citant un cadre de la Protection civile, le bilan des dégâts ainsi que les décès et les personnes portées disparues sont établis. Ces données restent pourtant très provisoires, puisque les autorités ignorent — et pour longtemps encore — l’étendue des pertes subies et le nombre de victimes enregistrées dans régions reculées des communes du département du Sud. Selon toute vraisemblance, cette réalité n’est pas différente, dans les régions éloignées des communes de la Grand’Anse et des Nippes.
En effet, le quotidien haïtien, se faisant l’écho de Sylvera Guillaume, coordonnateur technique de la Protection civile, rapporte : « Du 14 au 30 août, bilan hu main s’élève à 1 832 morts, 9 158 blessés et 195 disparus dans le département du Sud. 30 127 maisons sont détruites alors que 42 730 sont endommagées. Pour tout le département, 72 859 familles sont sinistrées selon les propos de Sylvera Guillaume, coordonnateur technique de la Protection civile pour le département du Sud. Pour la même période, 19 institutions sanitaires sont détruites tandis que 40 sont endommagées. Du côté des infrastructures scolaires, le département a perdu 121, soit 85 publiques et 36 privées ».
En fonction du tout dernier bilan présenté, après un silence de plusieurs jours, la Protection civile a, dans une communication diffusée sur son compte twitter, mis à jour ses dernières données. Désormais, le nombre de décès passe à 2 246, soit 1 852 dans le département du Sud, 227 dans la Grand’Anse et 167 dans les Nippes. Le nombre de personnes portées disparues dans le Sud est présentement porté à 300 dans le Sud, 29 dans la Grand’Anse et 0 dans les Nippes. En sus de 12 730 blessés dans tout le grand Sud. En vertu des toutes dernières données, 53 815 maisons sont détruites; et 83 770 endommagées. Les autorités n’ont pas présenté de données relatives au nombre de maisons endommagées au point d’être démolies.
Le COUD au bout de ses moyens : Des milliers de sinistrés attendent l’arrivée de l’aide
Déployé par le Premier ministre de facto Ariel Henry, afin de faire aboutir l’aide jusqu’aux points reculés des départements frappés par le séisme du 14 août, le Centre d’opérations d’urgence départemental (COUD) se retrouve au bout de ses moyens. Ce qui se traduit par l’arrêt de la distribution d’aide dans les communes d’accès difficile. Il semble que, l’imagination faisant défaut, les dirigeants se complaisent dans l’inaction, face à cette difficulté. M. Guillaume s’est rendu compte de ce handicap auquel est confronté le COUD. À cet effet, Le Nouvelliste, dont l’article signé de Jordany Junior Verdieu, souligne : « Sylvestre Guillaume a mis l’accent sur des difficultés ayant fait obstacle à la Protection civile dans le Sud. Actuellement, on constate une lenteur dans l’assistance. Des zones n’ont jusqu’alors rien reçu. Le Centre d’opérations d’urgence dé parte mental (COUD) ne peut pas toucher les zones difficiles d’accès, notamment la 4e section communale de Torbeck, Rendel, Dolian, Port-à-Piment et plusieurs localités de l’aire du pic Macaya ».
Citant encore le quotidien Le Nouvelliste, le coordonnateur de la PC fait état de la défaillance du COUD, par rapport à la distribution de l’aide, déclarant que «(…) la couverture de la réponse n’est pas en adéquation avec les besoins de la population victime». Selon M. Guillaume, les problèmes de cette organisation sont de plusieurs ordres. Et le quotidien haïtien signale : « Le COUD fonctionne dans un espace exigu, il ne gère pas de liquidités ni de stock ».
À la lumière des précisions données par Sylvera Guillaume, il y a lieu de conclure que les décideurs haïtiens se montrent avares de moyens de financement de la distribution de l’aide aux sinistrés. Faut-il croire qu’ils s’attendaient à ce que les donneurs d’aide financent aussi les voies et moyens de la faire aboutir à ceux qui en ont besoin ?
Des milliers de sinistrés oubliés
Les données fournies par la Protection civile déclarées provisoires, pourraient se chiffrer dans les milliers, eu égard aux sinistrés ayant grand besoin de l’aide. De même que le nombre de décès dont le chiffre exact reste inconnu. En tenant compte des régions isolées et lointaines, en sus d’accès difficile, les dénombrements fournis par les officiels haïtiens pourraient se situer bien au-delà des derniers chiffres admis officiellement. D’ailleurs, les déclarations de M. Guillaume relatives aux régions dont les victimes attendent encore l’aide incitent à croire que les autorités du pays tardent encore à présenter des données objectives en ce qui a trait au nombre des victimes (décès, blessées et portées disparues), y compris les dégâts matériels essuyés.
En effet, rien que pour le département du Sud, le coordonnateur technique de la Protection civile énumère la « 4e section communale de Torbeck, Rendel, Do lian, Port-à-Piment et plusieurs localités de l’aire du pic Macaya » comme étant des zones d’accès difficile où la caravane de l’aide n’est pas encore arrivée, en raison de la difficulté d’accès par voie terrestre.
Tout d’abord, il faut savoir que des victimes d’autres communes sont dans l’attente du se cours, notamment, Roche-à-Bateau, Les Côteaux, Chardonnières, Les Anglais, la Cahouane et Tiburon, à l’extrême côté ouest du département, avant d’atteindre Les Irois, qui fait partie de la Grand’Anse. Si Port-à-Piment, vil le située sur la route côtière re liant Les Cayes à Tiburon, est portée comme lieu d’accès difficile, qu’en est-il donc de ses sections rurales et celles des autres communes qui l’ont précédée, de même que Tiburon, qui vient après Cahouane.
Ariel Henry pris en flagrant délit de mentir au sujet de la distribution de l’aide
Si le coordonnateur technique de la Protection civile a levé un peu le voile sur les handicaps de la distribution de l’aide sans aucune prétention de maquiller la vérité, le Premier ministre de facto, quant à lui, s’est laissé prendre en flagrant délit de mentir à propos de l’opération de distribution de l’aide, dans le département des Nippes. Aussi s’est-il vu rappeler à l’ordre par le secrétaire de l’Association des CASECs de Nippes, Smith Borgelin.
Réagissant à la déclaration faite par le Premier ministre de facto, dans le cadre d’une conférence de presse tenue lors de sa première visite dans les Nippes, le mardi 24 août, au Centre d’opération d’urgence départemental (COUD), que «L’aide avait déjà touché les sections communales de ce département, à l’exception de Grand Boucan»; en sus de se féliciter de « la bonne organisation de l’aide dans le département des Nippes », M. Borgelin a demandé des précisions sur ces opérations, particulièrement des détails relatifs à la nature et la répartition de l’aide dont a fait mention le chef du gouvernement de facto. « À qui le Premier ministre a-t-il donné l’aide dont il parle ? », s’est interrogé le secrétaire de l’Association des CASECs des Nippes.
Plus loin, dans son intervention faite au nom de tous les CASECs de ce département, Smith Borgelin a précisé qu’aucune de ces juridictions n’a reçu de l’aide du gouvernement central indiquant que plutôt des organisations privées sont intervenues dans les sections communales.
Soulignant les besoins des communautés, rudement éprouvées par le séisme du 14 août, en tôle, ciment, bois, etc., M. Borgelin exhorte l’État et toute autre organisation qui désirent venir en aide aux victimes de cette dernière calamité, dans le département des Nippes, de « traiter directement avec les CASECs », se réjouissant également de la solidarité dont a fait montre le peuple haïtien, dans la foulée de ce séisme qui a éprouvé tant de familles et déclenché la destruction de manière collective.
Coordonnateur du Conseil administratif de Gérin, première section communale des Baradères, Smith Borgelin a profité de l’occasion pour faire une mise au point à l’adresse du ministre de l’Intérieur lui demandant de « cesser de traiter les CSECs en parents pauvres ». Puisqu’ils n’ont pas perçu leurs allocations depuis plus d’un un, soit exactement treize mois.
L’acheminement de l’aide aux sinistrés, serait-il le cadet des soucis du pouvoir ?
En termes de solidarité à l’égard des victimes du tremblement de terre du 14 août, la communauté internationale s’est montrée égale à elle-même. Si les pays membres de l’ONU n’ont pas délié généreusement la bourse, cette fois, à l’invitation de l’organisation internationale, le souvenir du gaspillage orchestré des plus de USD 4 à 8 milliards $ qui avaient été collectés, suite au séisme du 12 janvier 2010, étant encore vif en leur mémoire, ils se sont automatiquement mobilisés pour apporter de l’aide en nature, sous forme de kits alimentaires et sanitaires, tentes, bâches ainsi que d’autres nécessités domestiques et familiales, en sus de provisions alimentaires faisant cruellement besoin dans diverses régions victimes de cette catastrophe.
Certes, des gens confortable ment installés au sein du pouvoir se la coulent douce à Port-au-Prince, se faisant le cadet de leur souci l’acheminement de l’aide à ceux qui en ont extrêmement grand besoin. Cela traduit éloquemment l’insouciance qui les caractérise par rapport aux sinistrés. Car, en dépit des mauvaises conditions climatiques et d’infrastructures routières, si ces hommes et femmes au pouvoir se souciaient réellement de ces citoyens en souffrance, ils auraient trouvé des moyens pour faire aboutir l’aide. Comme, par exemple, le lancement d’une caravane d’ânes, de mulets et de chevaux pour assurer le transport vers les zones inaccessibles. Et pourquoi pas faire usage d’hélicoptères? Assurément, les victimes seraient profondément émues d’un pareil geste. Les étrangers aussi, qui observent de près les moindres faits et gestes des autorités haïtiennes, seraient sensibilisés à cette noble initiative au point d’apporter l’aide appropriée dans ce domaine.
De toute évidence, en ce qui concerne les déshérités du sort, les détenteurs du pouvoir en Haïti n’en font pas leurs soucis premiers, ayant d’autres chats à fouetter, comme l’octroi de privilèges financés par la caisse publique, à eux-mêmes et à leurs alliés politiques ainsi qu’à leurs familles.
Assurément le recours à des hélicoptères aurait mieux facilité la distribution de l’aide aux zones inaccessibles par véhicules. C’est l’idée qu’a évoquée Sylvera Guillaume, le coordonnateur technique de la Protection civile, exprimant sa frustration de ne pouvoir bien servir les sinistrés éloignés, dans les communes isolées.
Pourtant, les hélicos existent en Haïti. D’ailleurs Jovenel Moïse s’en servait pour ses déplacements vers les villes de province. Sheriff Abdallah offrait ces engins de location à l’État pour des millions de dollars. Mais il semble que M. Abdallah n’ait pas offert de venir en aide aux victimes du Grand Sud, le gouvernement en place n’ayant pas pris l’engagement de payer des millions comme paiement de la location. Assurément, les Dominicains seraient plus susceptibles de mettre des hélicoptères au service de l’État haïtien afin d’aider au trans port de l’aide dans les régions isolées des trois départements, dont les habitants sont rendus sinistrés par le tremblement de terre du 14 août.
Qu’en est-il des millions offerts à Haïti après le séisme ?
Il est vrai que l’aide humanitaire post-séisme soit livrée plutôt en espèce, mais certaines entités de la communauté internationale ont offert des dons en liquide. C’est le cas des Nations Unies, s’étant engagée à accorder USD plus de 200 millions $ en aide aux Grand Sud, après que Taïwan eut annoncé une aide de USD 500 000 $. De son côté, le Fonds monétaire international (FMI) a également octroyé un « prêt concessionnel » de USD 224 millions $ pour financer la prise en charge des sinistrés du Grand Sud. Sans oublier plus de 40 millions USD $ provenant d’un fonds d’assurance spécial aux pays de l’hémisphère victime de catastrophe, comme le séisme et autres calamités naturelles. Auparavant, l’Union européenne (UE) avait annoncé l’octroi d’une aide aux victimes des trois départements frappés par le tremblement de terre d’un montant de 40 millions euros. Entre-temps, l’UNICEF s’est lancée à la recherche de USD 122,2 millions $ pour fournir de l’aide à 1,6 millions de personnes affectées par le dernier séisme en Haïti.
Quand on parle de don en argent liquide au peuple haïtien, on ne peut ignorer la gestion corrompue de l’aide dont les dirigeants se font coupables. Si des observateurs ont critiqué et critiquent encore sévèrement la Commission internationale de reconstruction d’Haïti (CIRH), co-présidée par l’ex-président démocrate américain Bill Clinton et Jean Max Bellerive, Premier ministre de René Préval, qui avait la responsabilité d’administrer les plus de USD 8 milliards $ octroyés à Haïti pour la reconstruction du pays dévasté par le séisme du 12 janvier 2010, ils n’épargnent point le rôle qu’y ont joué les dirigeants haïtiens. De même que leur gestion calamiteuse des USD 4,2 milliards du Fonds Petro Caribe, dont les dilapidateurs et auteurs de cette vaste conspiration financière courent encore. Au fait, ils se battent bec et ongle pour éviter qu’ils ne soient traduits en justice.
C’est donc en vertu de cette administration crapuleuse faisant la réputation des dirigeants haïtiens qui porte les bailleurs de fonds et les pays donateurs à leur tenir la dragée haute, ayant changé leur fusil d’épaule en ce qui concerne le décaissement des dons fournis à Haïti. C’est sans doute la raison pour laquelle une banque latinoaméricaine a mis USD un million $ à la disposition des sinistrés d’Haïti, tout en ayant soin de confier la gestion de cette somme au «gouvernement dominicain ».
De toute évidence, tous ces fonds octroyés à Haïti, dans le cadre de l’aide post-séisme, visent à financer l’aide. Dans la mesure où le transport de celle-ci aux communautés inaccessibles est de toute urgence, les gens au pouvoir devraient avoir la possibilité de présenter un budget de financement du transport des stocks destinés aux sinistrés, où qu’ils se trouvent, mais en particulier ceux qui habitent les lieux d’accès difficile. À coup sûr, le décaissement de ces fonds s’effectuerait de manière à empêcher aux dirigeants d’en faire mainmise.
Mais des observateurs trouvent opportun de critiquer la présente attitude des décideurs haïtiens donnant l’impression d’arrêter, sinon de ralentir la distribution de l’aide, une stratégie visant à provoquer un changement dans le mode de décaissement, pour qu’ils aient accès direct aux millions. D’ailleurs, agacé par ce procédé employé par la communauté internationale, Jovenel Moïse avait tout fait pour que les fonds donnés au peuple haïtien atterrissent dans des comptes sous son contrôle. L.J.
Cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur VOL. LI, No. 34 New York, édition du 8 septembre 2021, et se trouve en P. 1, 3, 5 à : h-o 8 sept 2021