L’expropriation de Sogener alimentée par l’avidité et le mépris de la loi
- ÉDITORIAL par Editor
Dans le conflit opposant l’État haïtien à la firme distributrice du courant électrique à l’Électricité d’Haïti (EdH), la Sogener, Jovenel Moïse montre que la justice haïtienne est même trop efficace, quand il veut régler des comptes. Avec cette différence qu’il n’est pas réellement motivé par le souci de défendre les intérêts supérieurs du peuple haïtien, tel qu’il a prêté serment de le faire. Il a fait lancer une action arbitraire telle qu’aucune autorité n’y avait recours auparavant, en vertu d’un conflit alimenté par l’avidité et le mépris de l’impérieuse obligation de respecter les procédures et la forme établies par la loi et la Constitution.
Par sa décision de sévir par la force contre cette société, en passant outre aux lois et procédures consacrées dans les faits, il ne fait que confirmer les actes de mépris de la Constitution et des lois du pays qu’il a affichés aux cours des 33 mois de sa gestion de la chose publique. Ayant prêté serment alors qu’il se trouvait sous le coup d’une inculpation pour blanchiment d’argent, il n’a cessé d’accumuler d’autres violations, à commencer par celles relatives à la passation des marchés. Puisqu’il a totalement ignoré les protocoles par rapport à la signature des contrats avec des firmes privées dont les propriétaires sont ses bailleurs de fonds ou ses amis personnels, se contentant, de préférence, de les passer de gré à gré, sans aucune autre forme de procès.
En effet, la résiliation du contrat avec la Sogener intervient à un moment où la politique de M. Moïse a enfoncé le pays dans la crise socio-économique dans laquelle il se débat sans qu’aucune issue ne se profile à l’horizon. Au point qu’il ne lui reste plus de possibilité de signer de nouveaux contrats susceptibles de générer de juteuses commissions pour lui et son entourage. La saisie des installations de l’ÉdH octroyées en bail à la société des Vorbe offre une nouvelle opportunité de négocier un nouveau contrat. Mais même si les conditions s’y prêtaient, il n’aurait jamais souhaité le faire avec Sogener. Car, vu l’atmosphère de contestation qui sévit présentement dans le pays, les patrons de cette compagnie n’accepteraient pas de signer un accord dans des conditions favorables à la pratique de la surfacturation, comme cela a cours à l’ère PHTK.
Il y a fort à parier que les nouveaux fournisseurs d’électricité à l’EdH s’appelleront Bidgio, ou Deeb, Abdallah ou Acra, Barreau ou Coles, ou encore un de ces hommes d’affaires qui ne jurent que par son maintien au pouvoir. Sinon le contrat d’achat du courant électrique sera accordé à un consortium formé des entreprises de ces derniers. On ne devrait pas s’étonner qu’un tel arrangement a été déjà conclu avant même que n’aient éclaté les démêlés de Jovenel Moïse avec la Sogener.
Par cette décision arbitraire, Moïse joue à la roulette russe avec l’approvisionnement du pays en électricité. Il y a tout lieu de croire qu’il s’est lancé dans une aventure dont l’issue pourrait se révéler funeste. Pour plu- sieurs raisons. D’abord, l’essoufflement apparent de la mobilisation ne se traduit pas encore en défaite de l’opposition. Puisque, malgré l’effort déployé par lui à l’aide des policiers qui continuent d’observer ses mots d’ordre de réprimer les militants, les barricades ne sont pas complètement démantelées. Autrement dit, l’asphyxie de la capitale, en raison du blocage des voies d’accès des neuf départements, ne montre aucun signe de s’arrêter.
D’autre part, il faut se demander pendant combien de temps Jovenel Moïse, qui a pourtant le monopole de la force, peut-il continuer à limiter ses déplacements à la capitale où il se trouve confiné, étant forcé de sortir de là où il se terre à des heures indues. Il persiste à dire que, élu pour cinq ans, il ne quittera pas le pouvoir avant la fin de son mandat. Mais peut-il passer plus de deux ans encore à jouer au chat et à la souris avec l’opposition ? Après tout, il lui incombe la responsabilité de diriger le pays. C’est donc sur lui que tombe le blâme des carences constatées.
Certes, la mobilisation générale décrétée depuis bientôt onze semaines a provoqué la pénurie partout à la capitale. Mais le manque de produits alimentaires et de biens de consommation en général fait défaut dans toutes les couches sociales. Il y avait déjà manque d’eau potable, de carburant pour la cuisson. De même que d’essence, qui a, d’ailleurs, provoqué le blackout ayant précipité le conflit État haïtien-Sogener. Mais il faut également signaler les écoles qui ne peuvent pas fonctionner; les entreprises dont les portes sont restées fermées depuis quasiment trois mois. Donc des employés qui n’ont pas touché depuis ces trois mois, ou presque, qui n’ont pas vu un chèque de paie durant tout ce temps.
Voilà un immense scandale dont tout le peuple subit les conséquences désastreuses. Indiscutablement, les millions de victimes de cette situation ne vont pas oublier qui en est coupable. Il faut alors se demander pendant combien de temps encore ils vont accepter de subir le poids de toutes ces privations. Jovenel Moïse se trompe lamentablement s’il pense que le peuple haïtien, qui demande sa démission, à cor et à cri, se résignera à le tolérer au Palais national pour le reste de son quinquennat légal, mais désormais rendu nul et non avenu. Avec la détermination qui caractérise les protestataires dans les rues de la capitale et des villes de province, ainsi que les gardiens des barricades, sur les routes nationales et dans les rues de nos villes, personne ne peut prévoir comment va finir la crise, quel sera le sort ultime d’un président dont le mandat est révoqué directement par le peuple.
En clair, le président, qui persiste à jouir d’une procuration invalidée se trouve engagé dans une course contre la montre. Les mesures dont il décide, dictées par l’extrême urgence qui caractérise sa condition, portent en elles l’essence même de sa défaite. Surtout quand il se croit autorisé à changer l’autorité qui lui est ôtée en pouvoir monarchique. Car c’est bien de quoi il s’agit avec la saisie de force de l’usine de l’EdH, à Varreux.
Indéniablement, avec le conflit qu’il a ouvert avec la Sogener, Jovenel Moïse se retrouve en terrain inconnu. Il ne peut guère prévoir où il va aboutir, surtout qu’il n’existe aucune loi pour gérer l’action qu’il a lancée. Ayant décidé de sombrer dans l’arbitraire, alors qu’il ne dé- tient plus aucun mandat du peuple, il risque de recevoir l’arbitraire en partage, le prix de l’avidité et du mépris de la loi.
cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur, édition du 27 novembre 2019, VOL XXXXIX No.46, et se trouve en P.10 à : http://haiti-observateur.info/wp-content/uploads/2019/11/H-O-27-november-2019.pdf