Réflexion sur le Symbolisme des Armes de la République
- RÉFLEXIONS par Claude Prépetit
À l’occasion de la commémoration de nos 216 ans d’indépendance, il m’est venu à l’esprit de regarder de plus près les armoiries de la République d’Haïti en revisitant l’article 3 de la Constitution du 29 mars 1987 qui stipule que «L’emblème de la nation haïtienne est le drapeau qui répond à la description suivante :
- Deux (2) bandes d’étoffe d’égales dimensions: l’une bleue en haut, l’autre rouge en bas, placées horizontalement.
- Au centre, sur un carré d’étoffe blanche, sont disposées les armes de la République;
- Les armes de la République sont : le palmiste surmonté du bonnet de la liberté et ombrageant de ses palmes un trophée d’armes avec la légende: “L’UNION FAIT LA FORCE’’».
L’objet de ma préoccupation n’était pas tant le drapeau haïtien qui suscite encore et toujours des débats houleux, mais plutôt la description des armes de la République et le symbolisme qu’elles dégagent.
Ces armes ou armoiries furent mentionnées pour la première fois dans la Constitution de 1843 publiée après le départ de Jean-Pierre Boyer. La description complète de ses diverses composantes, rapportée dans plusieurs écrits, fait état de :
- un palmiste au faîte duquel pend un bonnet aux couleurs nationales ;
- trois fusils et un nombre égal de drapeaux disposés perpendiculairement et symétriquement aux côtés de l’arbre ;
- un tambour placé au pied de l’arbre avec, à ses côtés et en parfaite symétrie, un clairon, des canons, divers boulets et une ancre dont celui de droite est partiellement enfoui ;
- la légende nationale : «L’UNION FAIT LA FORCE» inscrite sur un ruban blanc ou d’argent.
Regardons de plus près ces divers éléments. Ils sont constitués d’abord d’un palmiste. Il s’agit du palmiste royal (à ne pas confondre avec le cocotier) appartenant à la famille des Arécacées, aux genres Roystonea Oleracea et Elata, endémiques des caraïbes et comprenant des espèces et des tailles variées. Le palmiste est impressionnant par sa taille, certaines espèces peuvent atteindre jusqu’à 30 à 40m de haut. En début de croissance, son tronc est renflé à la base et devient quasiment cylindrique. Le palmiste montre une silhouette majestueuse, avec un stipe élancé, très haut, fin et lisse, couronné d’un toupet de palmes longues et fines. Le bourgeon terminal est commercialisé sous le nom de «cœur de palmier» ou de chou palmiste, très apprécié en cuisine. La chute du palmiste peut s’avérer dangereuse et meurt lorsqu’on le coupe.
Tous les arbres véhiculent en général un profond symbolisme et occupent une telle importance dans l’inconscient collectif que la plupart des peuples en ont un de prédilection. Le symbolisme des arbres se rapporte à leur capacité à désigner, à signifier et à exercer une influence en tant que symbole exprimant une qualité ou une vertu. Pourquoi nos aïeux avaient-ils choisi le palmiste comme arbre de prédilection pour figurer dans le bicolore et orner les armes de la République ? Depuis l’Antiquité le palmier est attribué au mythe du soleil pour évoquer la gloire et l’immortalité, en raison de la disposition harmonieuse de ses branches et de ses feuilles semblables à des rayons. La raison probablement évoquée par nos aïeux était due au fait que le palmiste symbolisait la victoire, la renommée, le triomphe sur la mort si on se réfère aux guerres de l’Indépendance. La branche de palmier est ordinairement offerte aux vainqueurs comme emblème de victoire.
Le second élément qui retient l’attention dans les armoiries est le bonnet placé sur la flèche du palmiste. Sa forme conique le fait connaître sous le nom de «bonnet phrygien», mot provenant de la Phrygie, ancien pays d’Asie Mineure situé sur le plateau d’Anatolie. Depuis l’Antiquité, le bonnet phrygien est associé à la liberté. Il tire cette symbolique de sa ressemblance avec le pileus (chapeau en latin) qui coiffait les esclaves affranchis de l’Empire romain auxquels leur maître avait rendu la liberté et dont les fils devenaient des citoyens à part entière. Le nom de «bonnet phrygien» est dû aux Grecs qui l’appelaient aussi «bonnet oriental».
Aux États-Unis, il a été un symbole de liberté pendant la guerre d’indépendance. Il est toujours présent sur le drapeau de l’État de New York. Ce bonnet est repris en France au début de l’été 1790 comme symbole de la liberté et du civisme, d’où son nom de «bonnet de la liberté». Le bonnet phrygien est devenu symbole de la Révolution française et aussi un signe de ralliement révolutionnaire, souvenir associé au fait que les gens du peuple portaient souvent un bonnet de laine rouge à la fin de l’Ancien Régime.
Cette coiffe est aussi passée dans le domaine de la mythologie et des religions anciennes. Emprunté à la mythologie antique, le bonnet phrygien était l’un des attributs de la déesse Cybèle, originaire de Phrygie. Les plus anciens vestiges de ce bonnet appartiennent à Mithra, divinité solaire la plus importante des peuples indo-iraniens. Avant le christianisme, le mithraïsme était la religion la plus répandue en Europe. Les Grecs d’Asie Mineure identifièrent Mithra à Hélios, dieu grec du soleil, contribuant ainsi à répandre son culte ; il acquit de nouveaux attributs et devint progressivement l’objet d’un culte à mystères. Le mithraïsme insistait sur des notions telles que la vérité, l’honneur, le courage et la fraternité, il exigeait de la discipline et faisait de Mithra le dieu des soldats et des commerçants. La fête la plus importante dans la religion de Mithra se situait au jour du Solstice d’hiver, considéré comme le jour de naissance de Mithra et la victoire de la lumière sur les ténèbres. En ce sens, le mithraïsme inspira beaucoup le christianisme, en particulier en ce qui concerne Noël.
Dans le domaine des Ordres mystiques, le bonnet phrygien est aussi connu comme le symbole de l’Initié. Une statue de l’Alchimiste est représentée à la Cathédrale Notre-Dame de Paris, par un homme âgé qui médite en se caressant la barbe avec la main gauche, alors qu’il est coiffé du bonnet phrygien et porte la blouse de laboratoire alchimique.
Le troisième élément des armes de la République concerne les armes proprement dites, constituées de trois fusils à baïonnettes de chaque côté du palmier et divers armements notamment deux canons et des boulets. Ces armes rappellent bien sûr la guerre de l’Indépendance au cours de laquelle l’armée indigène a mis en déroute l’armée napoléonienne, aboutissement de notre indépendance proclamée le 1er janvier 1804.
Dans la partie inférieure des armoiries, sur une ceinture d’argent, on peut lire la légende en français : «L’UNION FAIT LA FORCE», bien que la devise nationale soit «LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FRATERNITÉ». Plusieurs pays possèdent cette légende comme devise. Bien qu’elle exprime une évidence apparentée à un proverbe, on ne connaît pas son origine précise. On la retrouve au VIe siècle av. J.-C. dans l’un des écrits du fabuliste grec Esope «Les enfants désunis du laboureur», dans lequel il affirma : «Autant l’union fait la force, autant la discorde expose à une prompte défaite». Esope exerça une grande influence sur Jean de La Fontaine qui reformula l’idée dans la fable «Le vieillard et ses enfants» : «Toute puissance est faible, à moins que d’être unie».
Dans le monde des Ordres initiatiques, «Notre union fait notre force» était la devise de la loge «Les amis réunis» de Paris. Idée reprise par Jean-Baptiste Willermoze (1730 – 1824), franc-maçon français qui joua un rôle important dans la constitution des systèmes de hauts gradés maçonniques de son temps en France et en Allemagne.
Dans les armes de la République d’Haïti, cette légende fait probablement référence à l’union impérieuse des noirs et des mulâtres qui a abouti à leur glorieuse victoire et à l’indépendance de la première république noire au monde.
Pris séparément, chaque élément des armoiries suggère un symbole qui peut ainsi être interprété :
- le palmiste royal, symbole de la victoire, du triomphe et de la gloire ;
- le bonnet phrygien, symbole de liberté, mot désignant la possibilité pour l’Homme de penser, de s’exprimer et d’agir selon ses propres choix. Ce symbole est une conséquence de la victoire symbolisée par le palmiste ;
- les armes, le tambour et le clairon, symboles des outils utilisés par les troupes indigènes pour conquérir leur liberté et leur indépendance ;
- «L’UNION FAIT LA FORCE», légende exprimant la condition des forces en présence qui a prévalu à Saint-Domingue pour arracher la victoire aux troupes napoléoniennes.
Pris dans leur ensemble, les divers éléments de ces armoiries véhiculent un clair message aux peuples du monde et à l’endroit de tous ceux qui seront en contact avec le bicolore haïtien. Ce message fait référence à une tranche de notre histoire nationale située entre 1491 et 1804 et exprimerait les conditions dans lesquelles le peuple vaillant de Saint-Domingue a obtenu son indépendance et a arraché la victoire aux troupes françaises. La révolte des esclaves de Saint-Domingue qui a abouti à leur libération a été conçue dans le creuset du mysticisme par des initiés éclairés qui ont su galvaniser et réunir la population noire et mulâtre de Saint-Domingue en une force commune, une machine de guerre infernale. Cette liberté n’a pas été un cadeau de l’armée napoléonienne, elle a été acquise par le combat et de lourds sacrifices, au prix du sang et des armes. Cette victoire triomphale a rendu l’Haïtien fier de créer une nation et le premier État noir indépendant sur le continent américain.
Il est sûr et certain que nos choix de vie et de peuple sont dictés par notre libre arbitre, ce don divin que l’Intelligence Cosmique a accordé à l’homme par droit de naissance et qui, en aucun cas, ne peut être amoindri par d’autres dans son essence. Dieu, en nous créant, nous a donné ce redoutable pouvoir, cette faculté majeure de choisir le vrai ou le faux, le bien ou le mal, la lumière ou les ténèbres afin que nous puissions évoluer sous l’effet de nos propres choix et du karma qui en résulte. On peut priver un être humain de sa liberté, mais pas de son libre arbitre en ce sens que même emprisonné, il pourra et devra toujours faire des choix de pensées, de paroles et d’actions. En choisissant d’occulter aujourd’hui le message délivré par nos armoiries et de vivre dangereusement notre vie de peuple, à la manière dont nous l’expérimentons à travers nos choix de société, sommes-nous prêts à assumer les conséquences karmiques individuelles et collectives qui en résulteraient ? Caveant consules ne quid detrimenti respublica capiat !
- Claude Prépetit