Réponse à Gary Victor ou l’essence d’un mot ! (insertion) par Garaudy Laguerre
Je dois commencer par dire que le terme «kokorate» ne fait pas partie de mon langage, car il soutient un caractère raciste et discriminatoire en Haïti. Il est très usité en référence à la population noire d’épiderme, aux Noirs ou à des groupes sociaux négroïdes !
En fait, à travers l’histoire, avant de détruire ou d’appauvrir un groupe social, une ethnie ou un peuple, on commence toujours par le réduire, l’abêtir, le bestialiser afin de le discréditer et de lui enlever son humanité !
1- Avant d’apporter des éléments de réponses à la question formulée de Gary : «Quelqu’un pourrait-il m’expliquer l’origine du kokoratisme haïtien qui est pour moi l’une des raisons principales de notre état.», je dois noter qu’il est démontré que les supermarchés en Haïti, les banques haïtiennes, le gros commerce et les chambres de commerce, les grandes entreprises sont tous gérés comme des boutiques. Ils ne prennent en compte aucun projet national et n’y appliquent nullement une gestion moderne, voire une politique sociale et commerciale, cohérente avec les intérêts de la Nation ou de la population. Pourtant, personne n’a jamais fait référence ou appliqué ce terme à ces groupes, comme étant des « kokorates« , même quand certains d’entre eux avaient adopté la formule, depuis des lustres : «se lan labou an kòb lan ye!». C’est de là, à mon avis, le caractère discriminatoire du terme dans le vocable politico-culturel haïtien.
J’utiliserai ici pour la démonstration, le terme imposteurs : ceux qui ne caractérisent ni représentent les valeurs, l’image ou la direction que souhaiterait prendre la société inclusive.
2- En général, la représentation d’un pays, sa superstructure, est contrôlée et dirigée par des élites économiques et politiques. Ces élites constituent ce qu’on appelle l’establishment et donnent le ton, la direction du pays, veillent au bien-être de la/de sa population! En Haïti par contre, l’élite économique particulièrement s’évade, à bien des égards, de la population !
3- Cette distinction fait que dans la compétition et dans la lutte, pour contrôler l’État et ses ressources, le plus souvent au détriment de la population et de l’intérêt national, l’élite économique (les plus puissants) s’associe avec les plus mafieux et incompétents du secteur politique. Ou, en fait carrément leur promotion, ce afin de protéger leurs intérêts personnels et mieux contrôler le secteur politique ainsi. Ils accomplissent cela tout en assurant sa faillite et son discrédit, comme le soi-disant représentant de la population qui lui ressemble.
Preuve par deux, qu’ils ne peuvent rien diriger et méritent le sort misérable et de laissé pour compte !
On retrouve aussi les mêmes modèles et le même verbe contre l’Africain, sur le continent.
Ici – le conflit – du « pouvoir au plus capable ou au plus grand nombre » se joue, sur fond de guerre de basse intensité, contre le plus grand nombre.
À noter que les kokorate imposteurs, en Haïti, sont toujours parmi le plus grand nombre et souvent, et au besoin, identifie toute une couche de la population !
Et ceux qui détiennent les rênes de l’économie sont réputés les plus capables et même travailleurs « nèg yo travail »!
Étonnement, la mentalité et l’idéologie des élites, souvent épousées et reprises, par ceux de la classe moyenne pour se dissocier des masses populaires, qualifient certaines franges de la population noire de «kokorate». Cette épithète se ne rejaillit pas sur la majorité d’entre eux, car ils sont pour la plupart de couleur de race de souche et souvent de nationalité différente! Pire, suprématie blanche et sentiment anti-noir, anti-Haïtien oblige, même les noirs, parmi eux, usent de ce vocable de kokorate!
Je suis certain qu’on peut trouver de bons voleurs haïtiens, comme on en trouve en R.D., selon Gary, mais je doute que ce soient les alliés souhaités, par une élite qui ne s’identifie pas au peuple !
Aucune des élites dominicaine, américaine, canadienne, ou russe ne se référerait à ses semblables et concitoyens comme étant des kokorate !
Au Rwanda, à la genèse du génocide, on traita les cibles de cafards, on en a vu la suite et les conséquences !
En commençant par Lassalines et ensuite à Carrefour-Feuilles, les morts ont laissé les élites, et ceux de la communauté internationale, indifférents, sauf ceux de ladite opposition !
Imaginez la même situation où les victimes auraient été de la communauté arabe, des étrangers ou d’un quartier huppé de Pétion-Ville !
Ce genre d’attitude se serait vécu en Europe, en période de guerre, au Kosovo, ou encore contre les Juifs, pendant la guerre mondiale ! Aujourd’hui, il est non seulement politiquement incorrect d’insulter les Juifs de cette manière, mais on risquerait la prison, en Europe et aux É.-U.! En Haïti par contre, c’est un leader politique haïtien noir, qui a popularisé le terme. L’aliénation est presque totale !
S’il faut s’en tenir au terme « imposteur », il faut dire qu’il y en a dans tous les pays du monde, mais leur nombre est insignifiant. Certains d’entre eux arrivent à percer dans les secteurs économique, social et politique, mais les élites ne leur laissent jamais donner le ton ni le soin de déterminer la marche du pays, à moins que ces élites soient elles aussi des imposteurs kokorate, qui ne se soucient pas de l’image ni de l’avenir du pays.
Il arrive même de voir des imposteurs au pouvoir dans certains pays. Ils sont utilisés selon la conjoncture, pour faire la sale besogne. Ce fut le cas avec Hitler en Allemagne et maintenant, avec Trump, aux É.-U.
Ces « imposteurs », quand ils réussissent, sont souvent au box-office comme exemple de succès inattendus ou d’efforts qui ont été récompensés par la réussite finale, inespérée, et quand ils échouent, ils finissent comme Hitler discrédité ou Emmanuel Toto Constant, en prison ! Ils ne sont jamais promus comme creuset de la Nation, de l’État ou du pays ! Même aux États-Unis on s’efforce de faire croire que Trump ne représente pas les vraies valeurs américaines.
4- En Haïti, comme dans d’autres pays, ceux de l’élite économique contrôlent et souvent l’emportent sur les politiques et font corps avec ce dernier pour constituer ce qu’il convient d’appeler l’establishment. L’establishment donne le ton et projette son image et celle de la société à travers ce qu’il convient d’appeler la superstructure ainsi définit : la culture, l’art, l’éducation, la gastronomie, les valeurs et l’image !
C’est alors un impératif que de poser les questions suivantes :
- Quelle est l’essence de la culture de l’élite haïtienne ?
- Quelles en sont les valeurs véhiculées ?
- Quel est le projet d’avenir de société ?
5- La superstructure est la vitrine par laquelle le pays se vend et se projette !
Voilà pourquoi, quand on pense aux É.-U., on ne pense pas au South West, au Midwest ; on pense souvent aux grandes villes et états tels que New-York, Californie, Chicago ; Miami. Ils projettent un pays de modernité croissante, d’entente nationale, démocratique et vertueux. Ils ne présentent pas un pays dirigé par des imposteurs ou kokorate armés jusqu’aux dents, ou par des racistes de l’Arkansas, ou des gouverneurs confédéralistes membres actifs du Ku Klux Klan.
Si cela devait devenir public ou, paraissait au grand jour, c’est une exception et sensé être « contraire » aux « idéaux américains »!
C’est donc pourquoi le colonel américain Oliver North, en dépit du fait qu’il travailla pour les intérêts américains, a été jugé et condamné !
Voilà pourquoi, F Bautista de la RD a été arrêté à maintes reprises, ou Ochoa, condamné à mort et exécuté à Cuba. Il faut garder la crédibilité du système et du peuple! Haïti, par contre, Petrocaribe : 0 arrestation, 0 jugement !
Les élites, en grande partie, ne sont pas dérangées, car selon eux il s’agit de la crédibilité des imposteurs kokorates (politiques) et du peuple, pas de la leur. En réalité, ils ne s’identifient pas à la population !
6- Pour répondre à la question, je dirai tout d’abord qu’il y a des personnes honnêtes et capables dans tous les secteurs de notre société ! En général, la majorité des gens dans une société est neutre et suit le courant dominant, selon la conjoncture et la réalité sociale, politique ou culturelle en vigueur qui prévaut. Il faut donc reconnaître que les imposteurs ou ceux que vous appelez les «kokorate» sont prépondérants au parlement, parce qu’ils sont au pouvoir, parce qu’ils ont la primauté dans le secteur privé des affaires, ils sont parmi ceux qui dirigent les super marchés, les banques, les concessionnaires de voitures, ils contrôlent les douanes, ils sont parmi ceux qui pillent l’État et financent les candidats qui sont du même acabit.
Un pouvoir délinquant n’attire que des délinquants et des pratiques de délinquance, dans tous les secteurs. Ils vont se consolider, s’enrichissent mutuellement, au détriment du Pays. Que personne alors n’aille croire que nous sommes un pays, un peuple de délinquants, de «kokorate» !
Il nous faut un pouvoir politique et économique haïtien, un leadership avisé, prêt à défendre et à se battre pour les intérêts d’Haïti. Mais avant tout, il nous faut tout enlever aux imposteurs : privilèges, impunité et immunité, «by any means necessary».
Garaudy Laguerre.
cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur, édition du 17 septembre 2019 Vol. XXXXIX no.37, et se trouve en P.13 à : http://haiti-observateur.info/wp-content/uploads/2019/09/H-O-18-sept-2019.pdf