REGARD DE LA FENÊTRE
- Trafic de drogue en Haïti : Collusion pouvoir en place-gangs armés par Michelle Portes Mevs
- La prolifération des gangs armées, en Haïti, est-elle une résultante de la logistique du trafic intensifié de la drogue ?
Haïti est une étape du transport de drogues. La cocaïne, l’héroïne et autres substance illicites produites en Amérique latine s‘en vont en direction d’Amérique du Nord, notamment les États-Unis et le Canada, le Mexique, l’Europe et de tous autres marchés où la demande telle l´Europe.
Les cargaisons de drogues arrivent dans ce pays où elles sont stockées et circulent en toute impunité, et sous protection armée et celle du pouvoir en place, dans l´attente d’être exportées.
Le cannabis, ou marijuana, est produit dans les régions sud d’Haïti et la récolte, en majorité, rapporte-t-on dans la presse, couvre la consommation locale. Elle est cultivée, également sur grande échelle, à la Jamaïque, pour la consommation intérieure aussi, mais principalement pour l´exportation. Il est dit, d’ailleurs, que le Jamaïcain consomme du cannabis comme un Français boirait son vin au quotidien.
Pour preuve du trafic entre Haïti et la Jamaïque : la récente arrestation par la Police nationale d’Haïti (PNH), sous la directive locale de Godson Jeune, de quatre trafiquants de drogue jamaïcains retrouvés en possession de 174 kilos de cannabis (marijuana), dans la région sud d’Haïti, notamment à la Petite-Rivière des Nippes, aussi récemment que le 21 mai de cette année. Les autorités policières ont trouvé en possession des transporteurs une chaloupe rapide et deux moteurs, cinq portables et GPS, qui ont été saisis.
En ce qui concerne la cocaïne provenant d’Amérique du Sud, ce produit nocif fait route vers les États-Unis et autres marchés en transitant par Haïti.
On en veut pour preuve la cocaïne en provenance de Colombie découverte dans un chargement de sacs de sucre sur le navire le M.V. Manzanares. En relation avec ce débarquement des plus de 700 kilogrammes de cocaïne et d’héroïne, qui se trouvaient à bord, Gregory Georges (alias Ti-ketan) fut récemment extradé vers les États-Unis. Il est tenu pour responsable avec la participation d’un secteur mafieux dont les identités n’ont pas encore été dévoilées (Source: Haïti observateur).
Mais encore : depuis «Le 30 avril 2019, à Miami, un grand jury fédéral a inculpé Georges pour complot visant à distribuer plusieurs kilos de cocaïne et d’héroïne, de juillet 2013 à juin 2015 provenant de la Colombie, sachant que la drogue serait exportée aux États-Unis» (Miami Herald).
De toute évidence, le trafic de drogue est organisé selon le modèle d’une entreprise industrielle ambitionnant de réaliser des bénéfices astronomiques.
L’organisation de ces produits se fait de la manière suivante : la production du coca; son exploitation et sa préparation en laboratoire, son acheminement vers les marchés demandeurs ou le transport à destination; la protection à tout moment de la drogue par des gangs armés et en même temps la complicité des pouvoirs locaux en place fermant les yeux au trafic tout en assurant l’impunité, sans omettre la collusion de certains agents d’organismes locaux chargés d’effectuer la saisie des livraisons; et en final la recette libre de toute saisie, parce que sécurisée par des sociétés-écrans, comme celles qui viennent d’être découvertes au Panama. Celles-ci placent ainsi leurs millions en lieu sûr, évitant de se faire épingler pour blanchiment d´argent.
En Haïti, ce trafic commande de nombreuses exigences dont, à priori, la complicité entre producteurs et transporteurs. Ce qui engage la logistique, le stockage, et la protection armée de la marchandise sur place en Haïti par les gangs, en attendant que les colis soient expédiés vers leurs destinations à l’étranger.
La logistique de la manutention de la drogue exige les services d´une «armée» pour assurer la surveillance de la marchandise contre le vol, et pour garder à distance toute tentative visant à contrarier son transport d’un point à l’autre.
Quand des gangs armés payés en dollars U.S. prolifèrent en Haïti, c’est qu’il y a derrière tout cela une organisation mafieuse bien hiérarchisée qui planifie les opérations. Mais encore un gouvernement qui facilite ces activités et de nombreux autres individus qui collaborent également aux fins de mener à bien l’entreprise. Les autorités ferment les yeux, laissent faire, quand elles n’interviennent uniquement dans le but de percevoir leur part des revenus.
Il ne serait donc pas étonnant que le sénateur Gracia Delva, proche du pouvoir PHTK (Parti haïtien Tet Kale), un ex-assistant du baron de la drogue Jacques Beaudouin Ketant (détenu en 2003, poursuivi et condamné par une Cour fédérale à plus de 20 ans de prison, qui s’est vu libérer après avoir purgé la moitié de sa peine), fasse partie de l’industrie de la drogue, et donc de l’organisation de la défense armée des substances illicites. En vertu de ce rôle qu’il s’est attribué, ce sénateur dévoyé met tout en œuvre pour défendre les intérêts des hommes du pouvoir liés à ces activités louches en Haïti. Ses contacts téléphoniques dénoncés avec le proéminent chef de gang Arnel Joseph, dont le contenu des conversations n’a pas encore été révélé, seraient-ils de cet ordre ? L’immunité parlementaire, dont Gracia Delva jouit, ne lui permet-elle pas de s´engager dans ce genre d’activités avec impunité ?
Le modèle de la FARC (Force armée révolutionnaire de la Colombie), cette armée aux activités mafieuses de la drogue, le kidnapping, etc. qui, avant juin 2017, semaient la terreur, servirait-il d’exemple à l’organisation des gangs ou milice armée en Haïti ? On sait que toutes les opérations des tenants de la drogue sont synchronisées. Ils se livrent allègrement à leurs activités illicites, quand ce ne sont pas des règlements de comptes violents dans l’indifférence de la presse haïtienne. Car ce serait trop dangereux pour les journalistes qui y risqueraient leur vie.
L’Amérique latine, une zone contrôlée par les gangs ?
Il est intéressant de lire et de retenir certaines données énoncées par Béatrice E. Rangel, ex-chef de cabinet du président vénézuélien Carlos Andres Perez et stratège en chef du groupe de sociétés Cisneros, dans son article titré : «Amérique latine, une zone contrôlée par les gangs ?»
On y lit : « Création et mise sur pied d’escadrons de défense et de milices à Ciudad del Este, au Paraguay. La Colombie reste le lieu où les activités et l’exploitation (des trafics de drogue) sont conçues et financées.
« La pénétration des institutions gouvernementales entre dans le cadre d’une stratégie visant à développer une activité économique bénéficiant d’une marge de profit extraordinaire. Le Venezuela se charge de tâches de distribution et d’exploitation difficiles, et la Colombie de l’élaboration des plans et des stratégies.
« Des structures d’entreprise sont mises en place au Panama. Le blanchiment de fortune a lieu au Venezuela et en République dominicaine…. « Les plates-formes de production, de transport et de distribution sont réparties sur une étendue de terre allant de la Bolivie à Tijuana, au Mexique ».
Dans l’article susmentionné, est également signalée la stabilité de la monnaie locale par rapport au dollar américain, grâce aux rentrées de devises favorisées par le trafic de drogues dans ce pays.
Les mesures imposées par les États-Unis visant au strict contrôle des revenus en dollars, dont l’origine ne peut se justifier, ont occasionné la fuite de ces capitaux illicites du territoire haïtien pour trouver refuge au Panama. Ceci, tout récemment encore, privant Haïti de devises.
Pendant toute une période de déficit du PIB national, d’aucuns se demandaient d’où venait ce flot de dollars en circulation dans le système économique haïtien. On savait que les exportations ne faisaient que diminuer ? La réponse réside dans les profits réalisés par les trafiquants de drogue. Ces derniers s’ingénient à blanchir les millions injectés dans l’économie haïtienne.
Incontestablement, le trafic de drogue est très lucratif pour cette mafia, dont les activités appuyaient, plus ou moins, le taux de change dans une relative stabilité. De même, en Colombie, l’industrie illicite de la drogue soutient aujourd’hui la stabilité du peso par rapport au dollar, malgré les difficultés auxquelles se trouve confrontée l’économie régionale, le marché latino-américain en général.
Qui dit drogue, dit baron de la drogue et corruption par rapport au pouvoir; et qui dit drogue, dit milice armée ou gang. Cette activité fonctionne et enrichit en millions les trafiquants ― agents de la mort par addiction ― tandis que les gangs armés s’engagent dans la violence liée à ce trafic dans des rapports illicites coordonnés avec le pouvoir en place. Ce qui a pour conséquence l’insécurité qui s’accroit au détriment de la paix et de la tranquillité. M.M.
cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur, édition du 29 mai 2019 No.22, et se trouve en P.9 à : http://haiti-observateur.ca/wp-content/uploads/2019/05/H-O-29-mai-2019.pdf