Adieu Johnny Pacheco par Thierry Antha

Adieu Johnny Pacheco par Thierry Antha

Le 25 mars 25, 1935, à Santiago de los Caballeros, en République dominicaine, naît Juan Zacarías Pacheco Knipping. De son père, Rafael Azarías Pacheco, chef d’orchestre et clarinettiste de San ta Cecilia Orchestra, il va hériter de l’énorme passion pour la musique. Au moment où sa famille émigre à New York, en 1946, le gamin n’était qu’âgé de onze ans quand il s’inscrit à Juillard School, en vue de poursuivre ses études musicales en percussion. Il s’y met avec brio à telle enseigne qu’il en deviendra l’un des meilleurs de son époque. Cependant il ne se limite pas à la maîtrise de la percussion, Johnny Pacheco joue aussi le saxophone, l’accordéon, et la flûte avec une doigtée des plus étonnantes. Cette polyvalence instrumentale fera de lui un homme-orchestre à plusieurs dimensions.

Doté de cet immense talent musical et du don inné de leader, Johnny Pacheco crée son premier orchestre légendaire, Pacheco y Su Charanga, à l’âge de vingt-cinq ans, en 1960. Comme aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années, son premier album se vend à plus de cent mille exemplaires, en moins d’une année, pour être consacré le mieux vendu de toute production latine de l’an. Son immense international va créer une marque déposée du genre musical Pachanga, qui est une fusion commerciale issue de la première syllabe de son nom Pacheco avec le premier et la dernière syllabe du nom de son orchestre Charanga. Cette innovation musicale le propulse au rang de vedette internationale dont la carrière musicale le conduira en tours aux Etats-Unis, Europe, Asie, en Amérique Latine, et en Afrique. L’étoile musicale de Johnny Pacheco brille de mille feux, si bien que son orchestre sera le premier groupe musical espagnol à prester comme tête d’affiche à l’Apollo Theater, à Harlem, en 1962 et 1963. Et comme par enchantement, vers la fin de 1963, avec son avocat Américano-Italien, Jerry Masucci, Pacheco fonde la compagnie discographique Fania Records, qui deviendra le seul porte-étendard de toutes les grandes vedettes espagnoles pendant plusieurs décennies.

En tant que directeur artistique, producteur-musicien, et exécutif de sa compagnie, Johnny Pacheco va lancer la carrière musicale de plusieurs grands noms de la Fania, notamment Ray Barretto, Bobby Valentin, et Rubén Blades. En 1967, comme pour créer une meilleure symbiose artistique de tous les grands noms de sa compagnie, Pacheco crée le super-groupe de Fania All-Stars, où prestent toutes les icônes de la musique latine des Caraïbes, comme Tito Puente, Héctor Lavoe et Celia Cruz. Cette ingéniosité managériale et musicale propulsera la musique tropicale dans les meilleurs firmaments des arts et spectacles du monde. Le succès est foudroyant, au point que l’attraction vers la salsa et autres amène la coopération de grands noms américains du monde de la musique de jazz et pop, comme Quincy Jones, Stan Kenton, Tony Bennett, George Benson, Sammy Davis jr., Ethel Smith, voire Stevie Wonder.

Parlant des tournées mondiales de Fania All-Stars, l’honneur m’est échu de couvrir leur prestation au Zaïre (Congo DRC), en 1974, au cours du fameux combat du siècle de la boxe, entre George Foreman et Muhammad Ali, à Kinshasa. Le plus grand festival de tous les temps au cours duquel les vedettes noires américaines, telles que James Brown, les Pointer Sisters, BB King et les Fania All-Stars se sont disputé la vedette avec les plus grands orchestres modernes du pays, de sept heures du soir à trois heures du matin. Johnny Pacheco a conduit de mains de maître son Fania All-Stars avec une joie tout azimut, telle qu’il ne cessait de terminer chaque chanson du groupe avec un cri heureux en Espagnol : « Que viva la musica ! ». Sa glorification de la musique inspirera mon ami Jules Shungu, alias Papa Wemba, de nommer son nouvel orchestre Viva-La-Musica, en décembre 1974.

Au-delà d’une carrière musicale fulgurante, Johnny Pacheco s’est construit aussi une carrière de producteur cinématographique, dans le but de mieux positionner la musique Salsa sur le plan international. Pour son baptême de feu, en 1992, avec Antonio Banderas, il lance « Los Reyes del Mambo » (« The Mambo Kings ») et autres. En 1999, son musical « Who Killed Hector Lavoe ? » étend son horizon musical à Broadway. Parmi ses nombreuses lettres de noblesse, on doit reconnaître au maestro de Fania All-Stars une très grande dévotion pour la communauté latine dans le monde. Pour ce faire, en 1994, il créera une bourse scolaire octroyée à un étudiant latin pour sa première année à l’université. Une autre dimension de son grand humanisme et solidarité pour les causes nobles, dont sa prestation au Concert for Life, en 1988, à New York, pour la collecte des fonds pour mener la lutte contre le Sida.

Son histoire des trophées musicales est des plus nobles et des plus faramineux. Candidat pour neuf Grammy Awards, détenteur de dix disques d’or, et d’innombrables trophées auréolent sa superbe carrière musicale d’auteur, d’arrangeur, de percussioniste, de flûtiste, de producteur, et de chef d’orchestre. En 1998, il a été reconnu dans le panthéon des meilleurs de la Musique latine internationale. Un présage des mérites acquis pour ses accomplissements que lui décernera l’Académie latine de l’industrie du disque, en 2005. Surnommé le « Godfather of salsa », Pacheco a composé plus de 150 titres, dont plusieurs sont devenus musiques anthologiques et classiques latines — comme «La Dicha Mía », « Quítate Tu Pa’Ponerme Yo » « Acuyuye » et « El Rey De La Puntualidad ». La légende de la salsa a perdu sa bataille contre la pneumonie, au Holy Name Medical Center, à Teaneck, dans l’état de New Jersey, ce lundi de février 16, 2021, d’après sa femme, Maria Elena Pacheco. Adieu Johnny Pacheco !


Cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur, édition du 17 février 2021 VOL. LI, No. 7 New York, et se trouve en P. 5 à : http://haiti-observateur.info/wp-content/uploads/2021/02/H-O-17-fev-2021.pdf