DE L’ÉLU AU PRÉSIDENT par Jean Marin

DE L’ÉLU AU PRÉSIDENT par Jean Marin

Rien n’est encore clair. Le temps reste brumeux. Préval, quoiqu’élu à une forte majorité, doit lutter contre des vents contraires. C’est que les têtes conscientes ne veulent guère retourner à la dictature lavalassienne où l’autorité présidentielle reposait sur la servilité des parlementaires et la vénalité des officiers de justice. Il convient d’enrayer de l’agenda du nouveau chef de l’État la neutralisation systématique des deux pouvoirs réputés mineurs le législatif et le judiciaire. Or, de l’avis des lavalassiens, l’ombre de l’ex-président Aristide devra dominer les moindres faits et gestes de son procureur qui, par ailleurs, accepte à exercer son mandat sous la tutelle onusienne ou oasienne.

En attendant que les musiciens accordent leurs instruments, le président-élu écoule le mois de mars en voyages de consultation. Il recevra un lavage de cerveau de manitous de l’anti-impérialisme yankee : Fidel Castro, Hugo Chavez, Evo Morales ; et des tenants du socialisme populaire : Luis Inacio da Silva du Brésil et Michelle Bachelet du Chili. Puis, comme un enfant de chœur bien catéchisé, il s’armera de la sébile traditionnelle pour quémander l’aumône américaine. Entouré de tous ses conseillers gauchistes, pourra-t-il bénéficier des largesses de l’Oncle Sam ? Ou bien, se contentera-t-il  du protectorat de l’ONU étayé sur la promesse d’aide multiforme, demeurée jusqu’ici à l’étude ? Attendons voir comment sera célébrée la nouvelle messe sous le patronage du remplaçant de Juan Gabriel Valdès. Toute littérature politique mise de côté, Préval sera dans ses petits souliers.

Les irrégularités logistiques viennent de retarder encore une fois les élections législatives. La date de l’entrée en fonction du président-élu s’en trouvera-t-elle par conséquent différée ? Par ailleurs, cette nouvelle prorogation des élections législatives semble être une manigance stratégique de la part de Préval pour orienter ces élections vers l’unipartisme sur lequel s’étayait la dictature aristidienne. Nous aurons de ce fait esquissé de tristes pas en arrière. Il demeure en tout cas prévisible que les cartes vont être brouillées, seuls seront élus les stipendiés de la confrérie lavalassisnne.

La populace se changera de la libération des détenus politiques : Yvons Neptune, Jocelerme Privert, Annette auguste, lesquels ne manqueront pas de réchauffer le béton, refroidi depuis la promulgation des résultats présidentiels du 7 février. Des mesures de vengeance s’en suivront contre les procédés arbitraires du Premier ministre Latortue durant les deux années de vide institutionnel. La Minustah y trouvera l’occasion de prolonger sa mission d’assistance technique, économique et militaire chez nous. Les mutins haïtiens, incapables de se gouverner, resteront quelque temps encore sous le fouet de l’occupant.

L’agenda du nouveau leader inclura des points chauds tels que le désarmement des gangs, la professionnalisation de la PN, la liberté effective de la presse, le reboisement, la protection de l’investissement étranger, la liberté d’intégration sociale aux rapatriés revêtus de nationalité étrangère, prolifération des bourses d’études et de spécialisation aux plus méritants, intensification de l’enseignement de l’anglais et de l’espagnol comme langue de communication. Ces nouvelles acquisitions consacreront la viabilité d’Haïti dans le contexte hémisphérique, et l’apport de la diaspora dans ces différents domaines sera des mieux apprécié.

Préval sait d’avance qu’il ne disposera pas d’un pouvoir entier. D’un côté, la populace l’inclinera à la formation d’un gouvernement de salut public où la vindicte populaire sera la règle. De l’autre, il aura les mains liées par la présence arme onusienne sur le terrain. Le Premier ministre qu’il désignera ne jouera lui aussi qu’un rôle de comparse entre le président, le parlement, la populace et la Minustah, sans omettre l’action néfaste des gangs armés. À sa sortie du pouvoir, Préval cette fois regrettera d’avoir accepté la présidence au nom d’Aristide. Il en sortira niaisé comme un coq tombé dans une mare d’anguilles.


Cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur, édition du 15 mars 2006 volume XXXVII No. 11, et se trouve en P. 8 à : (à venir)