Est-ce un moyen de justifier les pots de vin allégués ? Par Léo Joseph

CONFLIT JOVENEL MOÏSE-LES NEUF SÉNATEURS ÉLUS POUR 4 ANS

  • Le CEP rend un verdict accommodant
  • Est-ce un moyen de justifier les pots de vin allégués ? Par Léo Joseph

Interpellé à trancher dans le verdict opposant les neuf sénateurs dont le mandat prend fin, normalement et légalement, le deuxième lundi de janvier 2020, à Jovenel Moïse, suite au tweet du chef d’État haïtien déclarant avoir «constaté la caducité du Parlement», le Conseil électoral provisoire (CEP) a rendu un verdict qui lui est à tous les points accommodant. Bien que l’esprit de la réponse de l’organisme électoral donne raison aux demandeurs, il s’est retenu pour ne pas déclarer, catégoriquement et directement, que l’accusé a violé la loi. S’il est vrai que la présidence a offert USD 1,8 million à 9 conseillers électoraux pour qu’ils entérinent la décision qu’elle a prise contre les neuf sénateurs, on peut alors conclure que ces derniers ont rendu une décision qui permet à M. Moïse de sauver la face.

En effet, répondant à la requête des neuf sénateurs dont les intérêts ont été lésés par le président haïtien les ayant déclarés, arbitrairement et illégalement, en fin de mandat, précisément deux ans avant le délai fixé par la Constitution, les neufs conseillers électoraux ont signé le verdict suivant :

  • «Considérant que la réponse à cette question demeure la condition nécessaire et indispensable aux fins de savoir si l’un des organes du contentieux de premières instance BCEC et BCED, peut être saisi; ou si le BCEN, en ses attributions spéciales, peut être directement saisie en dernier ressort à la diligence du président du CEP;
  • «Considérant que les requérants déclarent que les pièces justificatives du recours seront déposées au moment de l’audition de l’affaire, préjugeant ainsi la saisine du Bureau du contentieux électoral national (BCEN) par le Conseil électoral provisoire;
  • «Considérant que le CEP est saisi d’un recours portant sur le respect de la durée du mandat électoral des requérants;
  • «Considérant que la durée d’un mandat électif relève de la Constitution et non du contentieux électoral;
  • «Considérant qu’il n’y a pas lieu à saisir, dès lors, les organes du Contentieux électoral, vu la nature du recours;
  • «Le Conseil électoral provisoire, après délibération,
  1. «Déclare qu’il ne dispose, dans ce cas d’espèce, d’aucune référence légale pour saisir les organes du Contentieux électoral,
  2. «Instruit la Direction exécutive de donner avis de la présente résolution aux intéressé (es).

Les neuf conseilles électoraux sont : Léopold Berlanger fils, président, Carlos Hercule, vice-président Marie Frantz Joachim, secrétaire générale, Frinel Joseph, trésorier, Lucien Jean Bernard, membre, Marie Hérolle Michel, membre, Kenson Polynice, membre, Josette J. Dorcely, membre et Jean-Simon Saint-Hubert, membre.

La résolution du CEP : Un simple rappel aux violateurs de la Constitution

Bien qu’il n’ait pas été donné de vérifier la rumeur ayant fait état d’une somme de USD 1,8 millions versés aux membres du CEP (200 000 à chacun) par la présidence, afin de les porter à sanctionner la décision de Jovenel Moïse relative à la réduction du mandat des neuf sénateurs élus pour 4 ans, on sait que le Palais national passe pour maître dans ce genre d’opérations louches. Surtout quand le chef d’État se retrouve dans une situation où il veut engager la compétence des autres. Presque toujours, des hauts fonctionnaires à la recherche de ce genre d’encouragement pour s’embarquer dans de sales besognes.

On doute fort, vu la corruption battant son plein en Haïti, renforcée surtout avec le régime Tèt Kale présidé par Michel Martelly, que les hommes et femmes qui se trouvent aux commandes, à l’organisme électoral, puissent repousser une éventuelle proposition indécente de l’équipe présidentielle à cet égard. Car, comme dit le dicton créole, «Nèg pa fè bak devan grinbak» (L’homme ne recule pas face au billet vert).

En tout cas, la résolution prise par le CEP, en réponse à la question relative à sa compétence, eu égard à la mesure arbitraire et illégale du président décrié, est rédigé de manière à conforter la position des demandeurs; mais aussi tout en donnant à Jovenel Moïse et son équipe la latitude de faire traîner encore l’affaire devant la justice.

Mais il faut bien poser la question : Comment le président de la République en est-il arrivé à la pensée de dépouiller les neuf sénateurs de leurs sièges, après que ces derniers eurent été certifiés élus pour deux ans, quatre ans et six ans respectivement ? Alors que, dans son article 95, la Constitution de 1987 amendé stipule : «Les sénateurs sont élus pour six (6) ans et sont indéfiniment rééligibles» ? De toute évidence, la formulation de ce document représente l’argent le plus facile à faire de la part d’une institution mise en situation d’arracher un pot de vin à la présidence. Voilà un rappel utile par rapport aux attributions de chaque sénateur en ce qui concerne la durée du mandat de chaque membre du Grand Corps.

La décision de Jovenel Moïse relative aux 9 sénateurs reste lettre morte

Dans cette partie de bras de fer entre les neuf sénateurs qu’il a ajoutés à la liste de ceux dont le mandat est arrivé à expiration le deuxième lundi d’avril 20020, selon le vœu de la Constitution et Jovenel Moïse, ce dernier devrait prendre une belle leçon, S’il n’a encore rien appris, jusqu’ici, de ses nombreuses violations de la Charte fondamentale, dans le cas des sénateurs, il doit se rendre compte que pareille aventure n’apportera rien de positif pour lui, sinon qu’il se retrouve dans un cul-de-sac politique.

En effet, enfoncé totalement dans l’illégalité, en recourant à la force pour empêcher à ces parlementaires de mettre les pieds au Sénat, Moïse s’expose pour ce qu’il est au peuple haïtien et à la face du monde entier : un violateur impénitent de la Constitution et de la loi de son pays. Mais pire encore, le monde entier se fait témoin de sa mainmise sur la justice, lui qui prétend défendre la cause de la démocratie.

En tout cas, quoiqu’il puisse décider pour mettre celle-ci à genoux, ses victimes ne se laisseront pas intimider. Car Jovenel Moïse est condamné à baisser pavillon devant la force de la Constitution et de la loi.


Cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur, édition du 5 février 2020 VOL. L, No. 5 New York, et se trouve en P.  1, 4 à : http://haiti-observateur.ca/wp-content/uploads/2020/02/H-O-5-Februar-2020.pdf