Haïti doit se battre du bec et des ongles pour se libérer de la pègre
- EDITORIAL
De puis peu après la prestation de serment de Jovenel Moïse, le 7 février 2017, les actes criminels perpétrés par la famille présidentielle et ses alliés politiques ne cessent de se multiplier. Au contraire, ils se sont accélérés, au cours des derniers mois, surgissant chaque semaine au cours du mois de décembre. Puisque, une semaine après l’affaire Judith Exavier, la consule générale d’Haïti à Santiago, arrêtée par les forces de sécurité dominicaines, à la frontière de Jimani-Malpasse, a éclaté un autre grave scandale, cette fois lié à la primature. À ce rythme, il faut conclure que la pègre a pris totalement contrôle de l’administration du pays. Dans ce cas, le peuple haïtien doit se battre comme un seul homme pour chasser cette catégorie d’individus de toutes les institutions nationales.
Signalons, au départ, qu’il faut se garder encore d’accorder du crédit au résultat d’une soi-disant enquête de l’ambassade d’Haïti sur le dossier Exavier déclarant que le véhicule dans lequel a été arrêtée la cheffe du Consulat général d’Haïti à Santiago n’appartenait plus à José Bernabé Quintero, membre présumé du réseau de trafiquants de drogue contrôlé par Cesar Emilio Peralta Adamez, surnommé Cesar El Abusador. La Brigade fédérale anti-drogue des États-Unis (DEA) et celle de la République dominicaine avaient mis le véhicule en question sous surveillance, dans le cadre de leur propre enquête relative à l’usage de ce tout terrain au transport de la drogue, jusqu’à ce qu’il ait été intercepté à la frontière haïtiano-dominicaine, en route pour Port-au-Prince, en possession de Mme Judith Exavier. Il faut donc attendre le communiqué, conjoint ou individuel, de ces deux institutions faisant état du résultat de leur enquête avant d’ajouter foi à celui de l’enquête proclamé par la mission diplomatique d’Haïti à Santo Domingo. Manifestement, celle-ci ne saurait être à la fois juge et partie dans cette affaire.
Toujours à pied d’œuvre, dans ce qu’ils savent faire le mieux, à savoir les actes criminels, après le scandale provoqué par Judith Exavier, dans la diplomatie, c’est à la primature elle-même qu’a éclaté le prochain scandale, une semaine plus tard. Cassamajor Lapin, surnommé Ti-Lapin, le cousin du Premier ministre démissionnaire et chargé de gérer les affaires courantes depuis plus de huit mois, Jean Michel Lapin, est dénoncé comme étant un trafiquant de drogue et membre d’un gang armé.
En effet, selon une « dernière nouvelle » provenant de Scoop TV Chaîne 16m, Scoop FM 107.7, l’ex- député de Delmas Arnel Bélizaire, incarcéré sous l’accusation de proférer des menaces contre l’ambassade américaine et la Union School, « a enfin livré son bras droit dans le Sud-Est ». Cette radio a précisé que « (…) le petit cousin du Premier ministre Jean Michel Lapin est actuellement à la DCPJ », arrêté à bord du véhicule immatriculé SE 05781. Et Scoop FM de préciser : « Des sources concordantes, Scoop fm confirme que le véhicule en question est bel et bien affecté au cortège de Jean Michel Lapin ».
Cet organe de presse est allé encore plus loin dans ses dénonciations de Cassamajor Lapin : « Selon une source policière, Ti Lapin avait en sa possession [une] forte somme d’argent, des armes de plusieurs calibres et une imposante cargaison de marijuana ».
Voilà dénoncé le criminel parfait évoluant au sein de l’équipe du chef de gouvernement, partie de l’Exécutif et ayant en sa possession, au moment de son arrestation, tous les outils nécessaires pour jouer plusieurs rôles criminels attribués à un seul individu, un privilège rarement accordé à un membre des bandits formant la confrérie de PHTK. Argent, différentes armes de gros calibres, substance illicite, toute une panoplie de moyens mis à la disposition des acteurs proches de l’Exécutif et de la présidence, pour mener à bien des actes subversifs et des activités criminelles de différentes natures. Ainsi sont détournés les pouvoirs, les moyens politiques et les réserves financières mis à la dis- position des hauts fonctionnaires de l’État dont la responsabilité légitime consiste à gérer les affaires du peuple haïtien. Il semble qu’ils reçoivent leurs mots d’ordre d’un point central; puis tous, à partir de n’importe quelle institution qu’ils opèrent, se comportent de la même manière.
Quant à Jovenel Moïse, déjà impliqué dans des scandales financiers et dans la protection des criminels, le financement et l’entretien des gangs armés responsables des assassinats commandités par le pouvoir, il donne l’impression de ne pas vouloir se laisser damer le pion par les bandits au sein de l’administration publique. C’est pourquoi, deux semaines après le scandale déclenché par la consule générale d’Haïti à Santiago, et seulement quelques jours après l’arrestation de Cassamajor Lapin, il pose l’acte public consistant à s’afficher visiblement avec un chef de gang, un repris de justice, doublé du présumé assassin d’un militant de l’opposition, lors d’une manifestation anti-Jovenel Moïse.
En effet, alors qu’il est décrété persona non grata aux Gonaïves, Moïse a effectué une visite impromptue et clandestine dans le quartier appelé Descahos de cette ville, fief du bandit appelé Paulda ou Polda, pour brouiller les pistes. C’est à lui que Jovenel Moïse confie l’exécution de ses basses œuvres. En effet, le président avait planifié ce voyage, non seulement pour donner l’accolade au chef de gang, mais aussi, et surtout, pour lui apporter de l’argent et des armes. Presqu’immédiatement après le départ du chef de l’État, Paulda a mené une attaque contre les habitants de Raboteau, un autre bidonville de la Cité de l’Indépendance où vivent surtout des militants et des familles assimilées à l’opposition. Il semble que Jovenel Moïse ait donné carte blanche à ce dernier pour qu’il s’engage dans des actes terroristes contre les militants anti-Moïse.
La récente escalade des actes criminels perpétrés par les hommes et femmes au pouvoir, en Haïti, n’autorise à prédire à quel moment va éclater un autre scandale. Mais sachant que Jovenel Moïse et les membres de sa famille politique ne respirent que par ces moyens, il faut croire qu’un autre s’apprête à éclater. Et si ces dernières semaines peuvent nous servir de guide, il y aurait de bonnes chances que cette semaine mette d’autres incidents reprochables au compte de Nèg Bannann nan et de son équipe.
Les hommes et femmes liés au gouvernement Moïse-Lapin ne s’imposent aucune retenue, ni n’éprouvent aucune gêne à multiplier les actes répréhensibles dont ils se rendent coupables. D’ailleurs, bénéficiaires de l’impunité, ils agissent comme si les travers et les dérives dont ils sont accusés constituent la manière idéale dont se comportent les administrateurs publics. Car plus on les dénonce d’actes criminels, davantage ils en commettent. Il ressort que, dans la hiérarchie PHTKiste, la déontologie administrative laisse le champ libre au pillage des deniers publics par tous les moyens connus, et mêmes non encore inventés; et aux crimes commis pour protéger le pouvoir politique et l’enrichissement illicite.
Loin d’achopper sur l’épuisement des uns ou le soudoiement des autres par le pouvoir, la mobilisation déclenchée depuis l’année dernière, pour exiger la démission immédiate et sans condition de Jovenel Moïse, est parvenue à un « cessez-le-feu stratégique », le temps favorable à une repensée de stratégie avant que soit de nouveau relancée les hostilités. Car le peuple haïtien n’entend pas rester prisonnier des mafiosi qui ont accaparé le pouvoir. À cette fin, les filles et fils d’Haïti entendent se battre du bec et des ongles, jusqu’à la victoire finale.
cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur, édition du 18 décembre 2019, VOL XXXXIX No.49, et se trouve en P.10 à : http://haiti-observateur.info/wp-content/uploads/2019/12/H-O-11-d%C3%A9cemb-2019.pdf