Il y a 20 Ans, Guy DUROSIER Tirait sa RÉVÉRENCE (2e partie) par Eddy Cavé

IL Y A VINGT ANS, GUY DUROSIER TIRAIT SA RÉVÉRENCE (Deuxième partie) par Eddy Cavé

Dans la première partie de cet article, l’auteur de De mémoire de Jérémien a effectué un survol rapide de la vie de Guy Durosier qu’il a côtoyé, d’assez près, à Montréal et à Ottawa, au début des années 1970. Dans cette deuxième partie, il rappelle le contexte socio-cul- turel de la quinzaine d’an- nées que l’artiste a passée au Canada. 

Le contexte socio-culturel des années 1960-1970 au Québec

C’est dans le Montréal du maire Jean Drapeau, dans l’atmosphère féérique de l’île Sainte-Hélène et d’Expo 67 que Guy Durosier a élu domicile au Québec. Cette province venait alors de sortir de la « grande noirceur » des années Duplessis et elle s’affirmait comme une terre d’accueil pour les francophones étrangers désireux de s’expatrier.

Sans être la terre promise, qu’était alors New York, le Québec avait tout pour plaire aux Haïtiens fuyant la dictature : de bonnes possibilités d’emploi, un haut niveau de vie, une politique d’immigration d’une grande souplesse. Les musiciens comme Guy Durosier, Fritz Pereira, Chico Simon, Nono Lamy, Joe Trouillot, maestro Dorlette y trouveront un public, majoritairement féminin, avide d’exotisme, de nouveautés et de sonorités inhabituelles.

Dans l’ensemble, la société québécoise était alors traversée par cette espèce de joie de vivre qu’inspiraient ses chansonniers, ses peintres, ses poètes, ses musiciens. Des chansonniers comme les Jean-Pierre Ferland, Claude Leveillé, Gilles Vigneault, Félix Leclerc. Des interprètes comme Ginette Renaud, Pauline Julien, Renée Claude, Ginette Ravel. Des jeunes cinéastes comme Gilles Carles et Claude Fournier, qui allaient renverser bien des tabous avec de charmants petits films comme Les mâles, Deux femmes en or, etc. En outre, ce Québec où Pierre Bourgaud et ses amis du RIN mijotaient le projet d’indépendance accueillait à bras ouverts tous les révolutionnaires et intellectuels de gauche opposés à François Duvalier.

Guy Durosier se jeta à pleines dents sur ce fruit mûr qui comblait toutes ses attentes, sauf sa soif de célébrité, sa passion des projecteurs et des standing ovations. Si son répertoire créole sonnait merveilleusement bien aux oreilles des Québécoises en quête d’exotisme, ses chansons françaises les charmaient encore plus. Aussi sillonna-a-t-il la province de long en large, faisant de la région dite du Bas-du-Fleuve son terrain de chasse favori. Il y a ainsi laissé d’heureux souvenirs, ainsi que d’intenses regrets… À la faveur de son extraordinaire force d’attraction, il sut résister à la déferlante du disco jusqu’à ce qu’il décide de poursuivre ailleurs ses rêves de conquête.

Un succès pourtant limité !

Quoiqu’on puisse dire de bien et de beau au sujet des succès de Guy au Québec, il faut admettre qu’il n’a jamais véritablement percé le grand marché québécois de la chanson, du disque et du spectacle. Pour des raisons qui restent encore à élucider, il n’a jamais fait la prestigieuse salle Wilfrid Pelletier de la Place des Arts, n’est jamais passé dans une des grandes émissions télévisées de variétés, ni inscrit une seule chanson au Palmarès du Québec. La Province et sa métropole accorderont toutefois ce privilège à d’autres vedettes internationales noires en tournée au Canada, notamment Harry Belafonte, Ray Charles, Dionne Warwick, Roberta Flack, Ella Fitzgerald. Et à Oscar Peterson, un enfant du pays.

En toute honnêteté, le Québec n’était pas encore prêt, à la fin des années soixante, pour ouvrir ses grandes salles de spectacles à des artistes noirs, même talentueux, qui n’avaient pas encore été couronnés en France ou aux États-Unis. Et Guy n’était pas le seul à devoir se limiter au marché restreint des « communautés culturelles ». Il y avait également dans cette situation le pianiste martiniquais Marius Cultier, le chanteur trinidadien Mighty Sparrow, des groupes musicaux comme Byron Lee and the Dragonaires, The Merrymen of Barbados. Ils faisaient tous chaque année au moins une escale à Montréal, mais ils ne se sont jamais implantés dans le grand marché québécois du spectacle.

L’histoire retiendra, toutefois, que le maire Drapeau invita Guy Durosier, en 1970, à donner à ses côtés le signal de la réouverture du site de l’Expo pour la nouvelle saison. Voulait-il lancer à ses concitoyens un message d’ouverture en posant ce geste hautement symbolique ? Sans doute, mais il faudra attendre plusieurs décennies pour voir des vedettes noires comme Norman Brathwaite, Gregory Charles, Anthony Kavanagh, jr accéder à un statut de vedette à part entière dans la Province. Dans le même temps, la journaliste Michaëlle Jean se frayait un chemin dans le monde des médias pour accéder, d’abord, au poste de chef d’antenne à Radio Canada, puis à celui de gouverneure générale du pays. Dans l’intervalle, la population s’était diversifiée, les mœurs avaient évolué, et le Canada était devenu un pays bilingue, une société multiculturelle et multiraciale très différente de celle que Guy avait connue.

Arrivé au Canada, trente ans trop tôt, il a sans doute pavé la voie pour les Émeline Michel, Fabienne Colas, Stanley Péan et peut-être même un Dany Laferrière. Mais il a lui-même peu bénéficié de l’immense variété de ses talents et de l’ouverture d’esprit de sa société d’accueil.

Le premier grand artiste haïtien du Québec

Durant la période passée au Québec, Guy a continué à s’épanouir comme compositeur, interprète, maestro et musicien aux multiples talents. Il a également été le chouchou des centaines d’Haïtiens et de Québécoises qui fréquentaient assidument les boîtes de nuit comme Brazilia, Le Perchoir d’Haïti, Chez Tonton, Casa Mexico, etc. Dans ce partage très inégal des parts du marché du loisir, il laissera à Joe Trouillot, son éternel rival, le Café Saint- Jacques, à Montréal, et l’hôtel Lafontaine, à Ottawa.

Le virage de 1969

Tandis que les diverses chansons de son répertoire traditionnel font vibrer toutes les fibres des compatriotes qui achètent ses disques et vont l’écouter pendant le weekend, c’est la chanson Si Wal An Ayiti qui le consacre comme le chantre de l’exil et fait de lui l’i- dole des expatriés. C’est elle qu’il chante aussi quand la nostalgie envahit son âme de poète en plein milieu d’un spectacle. Fatigué d’envoyer en chanson des messages à sa mère, il se rendra, en 1969, aux sollicitations de cette dernière, et prendra l’avion pour Haïti après s’être entouré des précautions d’usage.

Ce séjour au pays natal a eu des allures de couronnement. Guy retrouve l’ancien public de ses années de jeunesse, des folles années du bicentenaire de la construction de Port-au-Prince, et il est partout accueilli avec ferveur. En même temps, il donne aux plus jeunes générations la possibilité d’associer un visage à une voix qu’ils ont entendue toute leur vie. En se produisant plusieurs jours de suite à guichets fermés au ciné Capitol, il s’enivra dans la magie des bains de foule réservés aux enfants du terroir.

De retour au Canada, il rongera son frein en silence durant un peu plus d’un an, déterminé à mettre le cap sur son île natale au premier vent favorable soufflant vers le Sud. Cela se produira dans les premiers jours de 1971, quatre mois avant la mort du vieux dictateur, dont il avait fui les sautes d’humeur durant treize ans.

La place du Québec dans ses souvenirs

Il est curieux de constater que l’on ne trouve nulle part dans les entrevues et les témoignages de Guy Durosier les traces de son passage à Montréal, dans le Bas du Fleuve, à Hull-Gatineau ou dans les autres régions du Québec où il a essaimé. Mon hypothèse, c’est que, dans ses rêves de grandeur, il se voyait plutôt adulé sur les grands boulevards de Paris, faisant une deuxième fois le tour du monde comme dans sa chanson, s’extasiant sous les aurores boréales ou sous le soleil de minuit dans les bras d’une princesse de sang… Survolant dans son avion privé les grandes étendues verdoyantes du Québec, avant de se replonger, le soir venu, dans la triste réalité des pianos bars qu’il voyait comme un simple gagne- pain. C’est, du moins, l’impression que j’ai retenue de nos nombreuses rencontres. (La troisième partie dans la prochaine édition). eddycave@hotmail.com Ottawa, le 1er août 2019


cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur, édition du 28 août 2019 Vol. XXXXIX no.34, et se trouve en P.14 à : http://haiti-observateur.info/wp-content/uploads/2019/08/H-O-28-aout-2119.pdf