La « gué-guerre » entre Zin et Phantoms par Thierry Antha

ARTS ET SPECTACLES

  • La « gué-guerre » entre Zin et Phantoms par Thierry Antha

En marge du coup d’État contre Jean-Bertrand Aristide et de ses deux ans d’exil circonstanciel, à Washington, s’est écrite l’histoire de la guerre fratricide de la musique haïtienne de tendance Rasin, aux antipodes du contemporain communément appelé Kompa. La volonté de la première de s’engager dans le courant populaire Lavalas, qui charriait l’idéologie du président déchu, les avait galvanisés au point de favoriser la création d’une couverture médiatique américaine visant à mettre toute musique ethnique Rara au rang de musique de masse, véritable réflexion du courant Lavalas, tant en Haïti qu’en diaspora. Ce faisant, le Kompa, le trésor national haïtien et symbole de la modernité musicale, était vilipendé comme expression musicale de la bourgeoisie, qui ne veut rien entendre de la misère endémique et l’exploitation éhontée qui sévissent en Haïti. Cet anachronisme historique contre l’œuvre de Nemours Jean-Baptiste, un fils du peuple, constitue une des pages les plus sombres de l’histoire de cette rivalité politico-culturelle haïtienne, de triste mémoire des années 90, à mettre en relief, en tant que chroniqueur et historien. Cependant là où le bât blesse, cette phase historique musicale con cerne une jeunesse haïtienne très zélée à la cause de l’ancien curé de Saint-Jean Bosco, devenu le politicien le plus populaire, lui ayant voué une allégeance aveugle doublée d’une ceinture de sécurité « à tout casser », en diaspora, dans l’idée d’assurer la protection du « sauveur » des masses haïtiennes dont on exigeait le retour en Haïti à cor et à cri. C’était une guerre livrée par Lavalas contre ceux que les partisans du prêtre défroqué appelaient les « vestiges » de macoutes nostalgiques et ennemis de la cause du peuple.

On se plaît à dire à la guerre, comme à la guerre. Cependant, il faut reconnaître que cette triste compétition sans grandeur a transcendé le monde de ces deux formes de musique Rasin et Kompa pour atterrir dans la «gué-guerre » musicale ayant opposé Zin et Phantoms dans la conquête du cœur des jeunes haïtiens de New York. Il faut, certes, avouer que l’un de mes articles, qui avait accrédité Zin du titre « Force tranquille », dont la propension du groupe à travailler dans le silence accouchait de plusieurs hits, avait accentué la compétition entre les deux orchestres. En revanche, Phantoms s’est auto-proclamé la « Force qui tranquillise » auprès de son jeune public. En fait, il n’est pas du devoir du chroniqueur de juger de la teneur des quolibets que les musiciens se décernent mutuellement et de participer aux « voye pwen » qu’ils échangeaient. Tout ce que l’on pouvait faire, à l’époque, consistait à laisser ces commérages se limiter dans les clubs et restaurants haïtiens que fréquentaient les fanatiques de différentes tendances, les exigences du métier nous ayant imposé la responsabilité de couvrir les faits et les nouvelles dignes d’être publiés, sans parti pris. En tout cas, Haïti-Observateur, grâce à sa résilience, était toujours présent, sur le terrain, comme miroir reflétant objectivement l’ébullition des manifestations des adeptes de Lavalas, où les militants, chauffés à blanc, chantaient à tue-tête : « Ayiti-Obsèvatè, Rey Jozèf, si w la, ou mèt ale ». Sans savoir que leur réaction primaire d’antagoniser tout ce qui n’avait pas épousé leur philosophie politique allait être publiée fidèlement dans le journal.

De mémoire de chroniqueur, d’historien, et de témoin oculaire de l’évolution de l’industrie musicale haïtienne de l’époque, il ne m’était jamais venu la moindre idée que cette guerre fratricide entre Phantoms et Zin, à l’époque, les deux jeunes groupes les plus populaires du Kompa, pouvaient être des plus viciés et virulents, jusqu’à lancer le monde politique en chute libre à l’époque. En effet, ma surprise fut de taille quand Jenssen, le batteur et manager de Phantoms, approcha Moses Maurice et moi pour nous suggérer un marché des plus indécents. En ce temps-là le groupe Zin venait de sortir son titre à succès, « Ti Kòk », qui était à l’une des bars et des stations radio de New York. Une notoriété qui n’avait pas plu à la compétition jurée de Phantoms, naturellement. Et cela d’autant plus que ce tube survenait deux mois après que Zin eut remporté le titre de meilleur groupe haïtien de l’année décernée par le «Caribbean Music Awards » de l’année. La conjuration du manager visait à ruiner Zin politiquement auprès du leader Lavalas en exil à Washington. Vu que le symbole politique du parti de Jean-Bertrand Aristide était le « Kòk Kalite », il avait suggéré que cet auteur écrive un article diffamatoire accusant Zin de se moquer du symbole de ce groupe politique et de minimiser le « Kòk Kalite », qui serait devenu « Ti Kòk ». Voilà une boutade, un « voye pwen », contre la chute du régime d’Aristide qui ferait monter le patron de Lavalas sur ses ergots, au point de permettre aux gars du Phantoms de lui soutirer dix mille dollars, dont trois mille cinq cents reviendraient à Haiti-Observateur, en guise de « pourboire ». Il y avait de quoi tomber en pâmoison instantanément devant cet opprobre dont l’inventeur ignorait tout de l’intégrité et du professionnalisme caractéristiques de l’équipe du journal.

Sur-le-champ, je lui fis savoir que l’auteur et l’organe qu’il représente ne se prostituent jamais. Non seulement que tout Lavalas avait frappé Haïti-Observateur de total boycottage, en raison de son professionnalisme et de sa dénonciation des pratiques qui n’ont rien de démocratique contre l’opposition, il n’est pas de la déontologie de notre profession d’inventer des faits improuvables, et plus précisément, dans le texte musical de Zin, par rapport à son titre « Ti Kok ».Sur le plan juridique, pareille diffamation et fausse accusation pourraient coûter au journal et à son auteur des larmes financières des yeux que Phantoms ne pourra jamais payer avec son offre de pitance et de médiocrité compétitive. Peut-être les médias Lavalas seraient mieux placés pour exécuter pareille basse besogne de militantisme, suggéra alors Moses Maurice. Ainsi fut déjoué le sinistre complot qui visait à impliquer H-O et cet auteur dans cette cabale déstabilisatrice de Zin dans la guerre d’hégémonie musicale entre ces jeunes groupes musicaux à l’avantage de Phantoms. La vérité est la famille du temps, disaient les Romains. Et le temps a donné raison à Haiti-Observateur quand King Kino est descendu dans nos bureaux, au Brooklyn Navy Yard fustigeant Lavalas et son pilote. À telle enseigne que, dans sa colère rouge, il a parlé de « battre le chien avec son maître». L’histoire demeure un comptable incorruptible. Et aujourd’hui, en ce début de l’an 2021, on ne peut que se demander que sont devenus tous ces jeunes gens chauffés à blanc à la cause de Lavalas et comment ce courant politique, sous les régimes combinés d’Aristide et de Préval, ont-ils réussi à éradiquer la misère des masses ?

Cette page d’histoire musicale haïtienne demeure aussi vieille que neuve dans la politique d’Haïti et du tiers-monde avec ses litiges historiques des fonds détournés à justifier et à soutirer par les militants zélés auprès du leader du parti au pouvoir. Et ceci, pendant qu’on sacrifie des innocents présentés comme des opposants coriaces à limoger ou à déstabiliser sans la moindre évidence. Il est vrai qu’il est difficile au roi de connaître la vérité de la part de courtisans sans foi ni loi. Cependant, sa foi dans la dévotion des courtisans lèche-bottes constitue la source de maints maux, continuant à miner les as – sises de nombreuses nations, tant que des citoyens de valeur sont sacrifiés sur l’autel du militantisme politique sans se soucier le moindrement de l’intérêt du développement national. Le monde con naît, certes, les fameuses guerres des religions, cependant celle de la musique Rasin contre le Kompa est une réalité politico-culturelle très peu connue en Haïti ou dans la diaspora haïtienne de New York, qui n’était pas mise au parfum de cette fausse propagande. Cependant, la rivalité déloyale constatée n’avait duré que le temps de l’exil de Jean-Bertrand Aristide. Elle s’est évaporée avec son retour à Port-au-Prince, comme si le combat s’était arrêté faute des combattants et de but précis tant que Lavalas personnifié avait été rétabli au Palais national, à Port-au-Prince. En un mot, comme en dix, ce n’est qu’un chapitre parmi tant d’autres dans les mémoires à venir de cet auteur sur la politique et la musique haïtienne.


Cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur (New York) VOL. LI No. 1, édition du 6 janvier 2021, et se trouve en P. 4 à : http://haiti-observateur.info/wp-content/uploads/2021/01/H-O-6-jan-2021.pdf