La présidence de Jovenel Moïse en agonie : Sa mise en accusation de plus en plus une réalité
- ÉDITORIAL par H-O
La stratégie mise en place par Jovenel Moïse et ses alliés à la Chambre basse pour court-circuiter l’effort de l’opposition parlementaire visant à le mettre en accusation a toutes les chances de déboucher sur un échec. Car les problèmes ne cessent de s’accumuler et les contradictions de se multiplier parmi ceux-là qui devraient être ses alliés politiques. Parallèlement aux conséquences de la crise socio-économique dont il est lui-même l’artisan, il se trouve confronté à une opposition de plus en plus vociférante parmi des alliés sur qui, hier encore, il pouvait compter avec certitude pour imposer au pays ses décisions illégales et anticonstitutionnelles. Le dernier malheur qui s’est abattu sur lui s’appelle Joseph Lambert, sénateur du Sud-Est, surnommé animal politique. C’est bien le cas de dire que la présidence de Jovenel Moïse est tombée en agonie.
En effet, M. Lambert, ancien président du Grand Corps, qui s’est révélé un supporteur inconditionnel de M. Moïse, depuis sa prestation de serment, le 7 février 2017, a décidé de se désolidariser ouvertement avec lui. Dans une interview accordée à l’organe de presse en ligne Gazette Haiti News, publiée dans l’édition du 18 août 2019, il a littéralement rompu avec lui. Intervenue au moment où il fait l’objet d’une séance de mise en accusation, à la Chambre des députés, assurément cette prise de position du sénateur Lambert a son pesant d’or dans le contexte politique délétère par rapport au chef de l’État. Sans faire dans la dentelle, il claque brutalement la porte. « Je refuse de continuer a m’engager aux côtés d’un pouvoir qui refuse de comprendre que le pays est un tout et qu’à travers ses agissements, il nous mènera irrémédiablement vers une catastrophe socioéconomique, politique et financière au détriment de la nation haïtienne », a-t-il déclaré à Gazette Haiti News.
Continuant sur sa lancée, Lambert s’est déclaré déconcerté par le fait que sa candidature à la primature ait été écartée par Moïse. Car, dit-il, « nous étions a deux pas de commencer a résoudre la crise politique qui ne fait qu’empirer de par la maladresse et la méfiance de Jovenel vis-à-vis de ses amis et allies ». Il dit sans ambages que Fritz William Michel, l’homme que le chef d’État a choisi à sa place pour être premier ministre, n’a aucune chance d’être ratifié. « Il serait débouté purement et simplement. Car le président n’a plus de majorité au Grand Corps », a-t-il ajouté.
Plus loin, l’animal politique donne sa formule pour résoudre la crise : « Seul un gouvernement de large consensus suite a un accord issu d’un vrai dialogue national, conduit en dehors de Jovenel, peut amener le pays sur la voie de la stabilité et du progrès. Et pourquoi pas les élections ? »
Enfonçant le couteau dans la plaie, il a lâché : « Il ne peut conduire aucune négociation ou dialogue. Son image est totalement dégradée et il n’est plus crédible aux yeux des tiers». Selon lui, la question de la «mise en accusation » constitue «une épée de Damoclès sur la tête de Jovenel ».
Lambert n’est pas le premier parlementaire proche du pouvoir à se déclarer en rupture de ban avec le président Moïse. Le sénateur Saurel Jacinthe, représentant de Chambellan, dans le département de la Grand’ Anse, avait fait le même geste avant lui, s’étant déclaré ouvertement en opposition contre le président. Certes, dénonçant « une bande de gangsters et de voleurs » à la tête du pays, M. Jacinthe devait dire publiquement : « Je ne supporte plus ce gouvernement ».
Suite à ces déclarations de Joseph Lambert, d’aucuns diraient que « les rats commencent à quitter le navire». On peut imaginer l’effet que ces défections risquent de produire au sein de la famille politique présidentielle. Car, les scandales à répétition dénoncés quasiment chaque semaine, laissent désemparés les défenseurs naturels de Jovenel Moïse contraints à sauver leur propre carrière en se désolidarisant des crimes qui lui sont reprochés.
Rappelons aussi que, se prononçant dans le même sens que Joseph Lambert et Saurel Jacinthe, Alfredo Antoine, député de Kenscoff (de sensibilité PHTKiste, donc proche du pouvoir) avait, presque à la même époque, déclaré qu’il n’appuyait plus le gouvernement en place.
Joseph Lambert met à nu la situation de Jovenel Moïse, qu’il présente comme un chef d’État totalement isolé, même au sein de sa famille politique. C’est pourquoi il ne pourra pas résister aux assauts de ses opposants. Mais surtout face à la tendance générale qui s’aligne derrière ceux qui se sont embarqués dans le train de la mise en accusation.
Avec les dernières prises de position du sénateur du Sud-Est, qui peut donner la garantie que le président haïtien trouvera ses alliés naturels à ses côtés au moment de l’ultime affrontement avec l’opposition ? De toute évidence, le vide se fait autour de Jovenel Moïse, et les partisans de sa mise à l’écart gagnent chaque jour plus de terrain. Il y a un fait certain : le geste du sénateur Lambert s’appelle « mobilisation anti-Jovenel ». Du train où l’on va, on ne peut prévoir qui fera défection, ou bien qui abandonnera le bateau prochainement. Puisque les alliés du président ont de moins en moins intérêt à « rester a bord ».
S’il faut prendre les propos de Joseph Lambert pour argent comptant, il y a une sorte de rébellion contre le président au sein même du PHTK. Désenchantés à un moment où l’occupant du Palais national n’a plus les moyens de calmer les insatisfaits à coups de millions, comme c’était le cas, il y a un an ou, même cinq mois, lors du vote de la Chambre basse contre le premier ministre Jean Henry Céant, ceux qui tournent casaque par rapport à ce pouvoir désarticulé, déboussolé et acculé risquent de porter leurs espérances ailleurs. Dans de telles conditions, la magie d’Antonio Sola, le lobbyiste espagnol qui avait réussi des tours de passe-passe en faveur de Michel Martelly; et qui a pu sortir Moïse de maints mauvais pas, semble parvenu au bout de son rouleau. Dès lors, on peut dire que l’intervention de Lambert est un signe des temps. La contagion s’étend dans le camp du pouvoir; et même si un vaccin était trouvé, le temps ne suffirait pas pour qu’il produise les effets souhaités.
En clair, Jovenel Moïse se trouve confronté à des obstacles majeurs insurmontables, au moment même où le vide se fait autour de lui. Puisqu’à cause de l’offensive lancée en vue de sa mise en accusation, il devient encore plus vulnérable par rapport à la contestation qu’il essuie depuis déjà plus d’une année.
Cette épée de Damoclès signalée par Joseph Lambert menace aussi d’attirer sur lui les foudres de l’opposition qui avait tant de mal à le déraciner. Coincé de toutes parts, il n’a ni les ressources financières, encore moins l’énergie politique et des alliés fidèles pour affronter la réalité des prochains mois. Impréparé pour faire face à l’orage de l’ouverture des classes; incapable de mâter les forces déchaînées contre lui et qui avancent à grands pas vers sa mise en accusation; avec l’affaire PetroCaribe désormais sous les yeux de la communauté internationale; en sus du dossier du « massacre d’État » de La Saline porté à l’attention de la Commission des droits de l’homme des Nations Unies; ou encore son état de président rejeté par son pays, il doit, dans quelques semaines, se présenter à la réunion annuelle de l’Assemblée générale de l’ONU. Après avoir, à cette même tribune, en 2017, pris l’engagement de combattre la corruption, sans jamais lever le petit doigt pour signifier son intention de joindre le geste à la promesse, voici bientôt deux ans, il aura certainement du mal à se présenter comme un chef d’État crédible.
En agonie, la présidence de Jovenel Moïse, qui n’a plus de sens en Haïti, ce dernier étant conspué et son gouvernement rendu dysfonctionnel, aura besoin de béquilles pour se tenir debout à la tribune des Nations Unies.
cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur, édition du 21 août 2019 Vol. XXXXIX no.32/33, et se trouve en P.10 à : http://haiti-observateur.info/wp-content/uploads/2019/08/H-O-21-aout-2119.pdf