Le Patrick Martineau du Zenglen Sort de l’Ombre (2) par Eddy Cavé

Le Patrick Martineau du Zenglen Sort de l’Ombre (Deuxième partie) par Eddy Cavé

Dans la première partie de cet article, l’auteur retraçait, dans le sillage de Patrick Martineau, fondateur du premier groupe musical Zenglen, la courte histoire de cette formation, qui va de 1987 à 1992. Cette deuxième partie traite de l’originalité et du succès du groupe, ainsi que de quelques questions connexes. 

L’originalité de Zenglen

Le segment de l’entrevue où Patrick raconte la création du style particulier de Zenglen est sans doute le plus instructif du point de vue de l’information sur la musique de danse haïtienne. Il explique qu’après mure réflexion, il avait conclu à la nécessité de modifier la manière de « marcher la basse ». Il aimait les mini-jazz, tout comme il aimait Kassav et le konpa, mais il ne voulait pas les suivre servilement.

De plus, il trouvait la formule des deux accords communément appelée «Un-Deux», terriblement monotone à la longue et il en discuta avec un bassiste que le chanteur Gary Perez lui avait recommandé. C’était Jean Hénock Dugué, plus connu sous les sobriquets de Fanfan et Ti-Fanfan. Patrick voulait d’abord modifier radicalement la section rythmique du groupe en éliminant le gong et en ajoutant un kata aux percussions. Il voulait ensuite emprunter à la musique rasin le tambour du rite petro, le shaker, qui imite le bruit des pieds des bandes de rara. Enfin, il voulait utiliser, comme dans le zouk, le tambour à timbre, communément appelé snare drum.

Devant les résistances de Fanfan, Patrick lui conseille d’écouter attentivement divers CD de reggae et de revenir le voir. Son objectif est de montrer au jeune bassiste qu’il est possible de faire de la bonne musique de danse en dehors du traditionnel « Un-Deux ». Durant les prochains essais, ils mettent au point une variante du konpa comportant des éléments de zouk et de musique rasin et jouée avec un minimum de quatre accords de base. Combinée à la nouvelle section rythmique, cette nouveauté allait devenir la marque distinctive du Zenglen et, en partie, l’ingrédient principal de son succès.

Le coup de pouce de Félix Lamy

Le succès du premier Zenglen n’aurait pas été si grand ni si rapide sans le soutien actif du fin connaisseur qu’a été l’animateur Félix Lamy, de la Radio Nationale. La première fois que Lamy a entendu l’orchestre, qui interprétait la chanson Fidel, il était au volant de son auto, en route pour le travail. Il trouva le produit d’une telle originalité qu’il pensa qu’il ne pouvait s’agir d’un orchestre haïtien. Après une entrevue avec Patrick, il prit sur lui de lancer la chanson et, par voie de con séquence, le groupe. C’est ainsi que, durant la Coupe du monde de football de 1990, la Radio Nationale joua Fidel durant toutes les retransmissions des matches et les interruptions du jeu. Ce sera l’apothéose. Paix à son âme !

Le succès colossal de l’opération cassettes

Après la sortie du CD An nou alez (à prononcer : An nou a l’aise), produit aux États-Unis, sous le label Mini Records, Patrick se dit extrêmement déçu de ne pas recevoir un seul dollar de redevance sur les 10 000 exemplaires vendus. Aussi décide-t-il de s’emparer du marché local de la cassette. Pendant que la chanson Fidel caracole en tête du palmarès, il fait produire un nombre égal de cassettes à Port-au-Prince et en assure lui-même la distribution.

L’opération cassettes est un véritable coup de poker. Patrick s’installe, un samedi matin, au cœur du centre-ville avec un stock d’environ 200 cassettes pour un blitz publicitaire jamais vu en Haïti. Il donne en cadeau une cassette à chaque chauffeur de bus qui s’arrête sur les circuits les plus achalandés de la zone : Port-au-Prince – Carrefour-Feuilles; Port-au-Prince – Croix-des-Bouquets; Port-au-Prince – Léogâne, etc. Ces véhicules, qui sont de véritables discothèques ambulantes, déversent toute la journée dans l’atmosphère leurs flots de décibels en jouant en boucle les chansons les plus populaires du groupe. Le nom Zenglen est sur toutes les lèvres, et le succès est total.

En voyant le maestro distribuer gratuitement et sans contrôle des dizaines et des dizaines de cassettes, plusieurs se sont demandé s’il n’avait pas perdu la tête. Au contraire, ils ne l’avaient jamais eu aussi fermement attachée à ses épaules. Aucune opération publicitaire n’aurait pu donner de meilleurs résultats. Ni même l’équivalent. Dans les jours qui suivent, les usagers de ces circuits n’écouteront que du Zenglen à longueur de journée. Et ils en demanderont chaque fois encore plus. Succès donc sur toute la ligne. De fait, quand le Zenglen de Patrick Martineau sera déclaré le groupe le plus populaire de l’année 1991 et son CD, l’album de l’année, cela ne surprendra personne.

L’importance du leadership

En passant du coq à l’âne, le maestro a été emmené à commenter les récentes difficultés du groupe Disip, qui déçoit beaucoup en mode, tandis qu’il excelle en studio. J’ai particulièrement aimé la remarque de Patrick qui a abordé à cet égard le sujet de l’autorité du maestro. Si les défilés d’artistes et les festivals haïtiens ne se déroulent jamais comme prévu, c’est parce que nous n’avons pas sur le podium un vrai régisseur. Un spécialiste investi de l’autorité nécessaire pour contraindre tous les musiciens à se plier aux exigences musicales et non musicales du spectacle : être à l’heure ou perdre sa place; ne pas dépasser le temps imparti et s’arrêter quand on le lui demande, etc.

En guise de conclusion

Le public ne s’étant pas prévalu de la possibilité qu’il avait d’intervenir en direct pour contredire Patrick ou rectifier le tir chaque fois qu’il se trompait, je conclus qu’il disait vrai. En fait, la seule question venue de l’auditoire portait sur la rémunération des musiciens, et la réponse n’a pas été contestée. Je dirai même qu’il a parlé d’or.

D’aucuns trouveront sans doute à redire de son style flamboyant, de ses tenues parfois extravagantes et du ton sentencieux de certaines de ses remarques. D’autres se demanderont pour quoi et il a tant tardé à faire cette apparition publique. C’est que l’homme est profondément artiste et qu’il est passé à autre chose. Il s’est assez vite recyclé dans un autre domaine pour exploiter sa grande capacité de création. J’en veux pour seule preuve la riche collection de photographies et de peintures qui orne sa page Facebook et qu’il alimente à un rythme impressionnant : Bravo l’artiste, continue sur ta lancée !

eddycave@hotmail.com Ottawa, le 22 juillet 2019


cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur, édition du 7 août 2019 VOL. XXXXIX, no. 31 et se trouve en P.9 à : http://haiti-observateur.info/wp-content/uploads/2019/08/H-O-7-aout-2019.pdf