LES STATIONS D’ESSENCE ENTRENT EN GRÈVE
- L’État haïtien brandit l’annulation des licences
- Les propriétaires ne se laissent pas intimider Par Léo Joseph
Une partie de bras de fer vient de s’ouvrir entre l’État haïtien et les propriétaires de stations d’essence. Ces derniers n’ont pas donné dans le panneau, par rapport à cette menace, ayant décidé de défendre leurs intérêts, jusqu’à la dernière cartouche. C’est, en tout cas, les propos qui ont été lancés par un de ces hommes d’affaires souhaitant ne pas s’identifier, car ne voulant pas avoir sur le dos aucun de ses alliés qui n’aimerait pas afficher une attitude que le pouvoir pourrait interpréter comme un acte d’agression.
En effet, les stations d’essence, dont les propriétaires sont regroupés au sein de l « Association nationale des propriétaires de stations-services » (ANAPROSS), sont entrées en grève, dès le lundi (12 octobre) donnant suite à l’annonce qu’avaient fait la veille ces hommes d’affaires. Aussi la grande majorité de ces établissements gardent leur porte fermée, privant les consommateurs de ce précieux liquide. Ce mouvement s’explique par le fait que les membres de l’ANAPROSS ont décidé d’adopter cette stratégie, afin de forcer les distributeurs de produits pétroliers nationaux à respecter l’accord que les deux parties ont paraphé, et qui sont en vigueur depuis plusieurs décennies.
Le contentieux qui a déclenché ce débrayage découle des faits suivants. En vertu du contrat passé entre les vendeurs d’essence, regroupés au sein d’ANAPROSS et les distributeurs/importateurs de produits pétroliers formant l’Association nationale de distributeurs de produits pétroliers (ANADIPP), ces derniers versaient une ristourne aux vendeurs, une stratégie visant à leur permettre de récupérer le manque à gagner qu’ils subissent, en raison de la disparité de la gourde par rapport au dollar.
Comprenant le danger d’une rareté d’essence, occasionnée par la fermeture des stations d’essence, qui serait de nature à mécontenter les consommateurs, les autorités haïtiennes, par l’entremise du ministère du Commerce et de l’Industrie, a intimé l’ordre aux pompistes, agitant le gros bâton sous forme de menace de lever le permis de vendre les essences que détiennent les propriétaires de stations de gazoline.
Ces derniers ont fermé leurs établissements, comme annoncé, dès le lundi 12 octobre. Les pompes sont restées fermées toute la journée du lundi, en dépit de l’injonction du ministre du Commerce et de l’Industrie. Le lendemain (mardi) les automobilistes ne pouvaient toujours pas avoir accès à l’essence, en tout cas aux stations-services non affiliées à l’ANADIPP.
L’État n’a aucune responsabilité dans ce conflit
Tout en intimant l’ordre aux pompistes de rouvrir leurs installations, Jonas Coffy, ministre du Commerce et de l’Industrie, a déclaré que l’État n’a aucune responsabilité dans ce conflit. Aussi a-t-il conseillé aux parties en présence de se retrouver sur la table de négociations, afin de résoudre un problème pénalisant pour le consommateur. Bien que M. Coffy ne l’ait pas dit, la possibilité existe que les automobilistes s’en prennent au gouvernement pour ne s’être pas impliqué en tant que médiateur, afin de réconcilier les protagonistes. Ce qui signifie qu’ils finiront par trouver une entente s’ils entrent dans des négociations de bonne foi.
Mais c’est en direction des pompistes que Jonas Coffy agite le gros bâton. Dès demain (mardi), a-t-il prévenu, si les pompes sont encore fermées, le Ministère du Commerce et de l’Industrie « retirera définitivement leur autorisation de fonctionner ».
Pour le ministre de l’Économie et des Finances, la situation n’est pas aussi grave. Car, dans sa logique, le manque à gagner, que les propriétaires de stations d’essence subissaient, est désormais réglé, ou presque, à la faveur de l’appréciation de la gourde, face au billet vert.
Michel Patrick Boisvert se plaint du fait que les protagonistes se disputent « pour des centimes ». Aussi explique-t-il en ces termes. « Quand la marge était en gourdes et que le taux changé était élevé autour de 125, leur marge avait réduit. Avec l’appréciation de la gourde, je ne dis pas que le problème soit résolu à 100 %, mais il l’est à 70, 80 %. Ils disaient que leur marge était en gourdes et qu’elle ne valait rien. Aujourd’hui, la même marge est maintenue en gourdes, alors qu’il y a appréciation de la gourde. Cela fait un gain entre 50 et 60 », argue M. Boisvert.
Selon Michel Patrick Boisvert, ce raisonnement devrait « calmer » les pompistes par rapport à la gent de l’ANADIPP.
Il faut signaler que les propriétaires de stations d’essence affiliés aux distributeurs de produits pétroliers n’ont pas fermé leur porte, la gazoline y coule normalement.
On ne doit pas omettre de signaler aussi que la plupart des pompistes liés à l’ANADIPP continuent de recevoir leurs ristournes de celle-ci. Cela ne semble pas devoir « calmer » les pompistes non affiliés.
Par ailleurs, selon le quotidien Le Nouvelliste (édition du mardi 13 octobre 2020), David Turnier, le président de l’ANADIP, s’en est pris au ministre Coffy, condamnant les menaces qu’il a proférées à l’encontre des pompistes. Cité par ce même quotidien, M. Turnier s’est prononcé en ce sens : « Nous nous opposons fermement aux menaces du ministre du Commerce et de l’Industrie, M. Jonas Coffy, de retirer définitivement les autorisations de fonctionner des stations-services en question, de rayer du registre leurs noms commerciaux. Nous ne partageons pas non plus la démarche de l’ANAPROSS qui va directement à la grève pour résoudre un différend commercial. Nous prônons toujours le dialogue. C’est une dispute commerciale qui doit être réglée par des gens de l’art, les avocats et les juges ».
Selon toute vraisemblance, la convivialité semble être au rendez-vous. À la lumière de ce qu’a dit David Turnier, il y des chances que le conflit soit réglée à très brève échéance.
- L.J.
Cet article est publié par l’hebdomadaire Haiti-Observateur, édition du 14 octobre 2020, VOL. L No. 40 et se trouve en P. 1, 8 à : http://haiti-observateur.info/wp-content/uploads/2020/10/H-O-14-octobre-2020.pdf