ÉDITORIAL
- Nouvelle tragédie sismique en Haïti : La logistique de l’aide absente.
Après le tremblement de terre du 12 janvier 2010, qui a occasionné plus de 200 000 décès, sans compter les personnes enterrées sous les décombres, en sus des dégâts se chiffrant dans les USD milliards de dollars enregistrés à Port-au-Prince, la capitale, et les zones environnantes, y compris dans le département du sud-est, on semble revivre les lacunes du pouvoir face à cette tragédie. L’aide internationale et nationale commençant à affluer, la logistique de la distribution de celle-ci aux communautés touchées par le séisme du 14 août, qui a frappé terriblement la presqu’île du Sud, les autorités sont, encore une fois, totalement prises au dépourvu.
À la lumière de la réaction des dirigeants actuels d’Haïti affichant leur absence, durant les premières 24 heures qui ont suivi cette nouvelle calamité, il faut conclure qu’ils n’ont rien appris des secousses sismiques qui ont quasiment dévasté la capitale, voilà déjà plus de dix ans. Ce constat met sérieusement en évidence les caractéristiques régulièrement reprochées aux hommes et femmes qui gèrent l’administration publique : incompétence foncière, ignorance crasse, imagination stérile, en sus d’être désespérément kleptomanes. Autant dire, aucuns repères n’ont été retenus pour aider à faire face à cette calamité dont la récurrence a pourtant été annoncée. Car, contrairement à d’autres pays, dont les citoyens aspirent au pouvoir, afin de protéger leurs congénères, sécuriser la nation, créer la richesse, les emplois, des infrastructures de développement, d’éducation et sanitaires, eux, ils se battent bec et ongles pour accumuler des millions.
En effet, depuis la chute de la dynastie des Duvalier, en février 1986, les élus, à tous les niveaux, ont passé le plus clair de leur temps à appauvrir le pays, tout en construisant des richesses personnelles. Témoins : Le prêtre défroqué Jean-Bertrand Aristide s’est enrichi en pratiquant le détournement de la caisse de l’État, notamment la Téléco, s’appropriant de dons faits par des pays étrangers au peuple haïtien, en sus de toucher des commissions arrachées aux trafiquants de drogue en échange d’autorisation de faire transiter leurs cargos illicites par le territoire haïtien. Parallèlement, les institutions publiques sont livrées en pâture à ses alliés politiques, au niveau du Parlement, du secteur politique et des affaires, soit comme dealers de drogue ou exploiteurs incongrus des ressources publiques à leurs profits personnels. D’autres, après lui, notamment René Garcia Préval, Michel Joseph Martelly et Jovenel Moïse et leurs alliés politiques, au Sénat, à la Chambre des députés et au niveau de l’Exécutif, font du Fonds Petro Caribe leur tirelire, supplémentant leur vol de millions de pots de vin et de ponctions effectuées sur les allocations budgétaires des départements ministériels, sous formes de programmes spéciaux. En conséquence, des arriérés de salaire dus aux employés de l’État et le déficit budgétaire que connaît présentement l’administration publique.
Grâce à la politique de rapine, surtout des régimes post-Duvalier, qui se sont succédés, Haïti a créé toute une cuvée de millionnaires (nouveaux riches), sérieusement endettés ou sans le sou, il y a qui, une quinzaine d’années, d’autres dix, ou encore à peine cinq ans. Trop préoccupés à grossir leurs comptes en banque, ces dirigeants ne pensent nullement à aménager le territoire national, ni à doter le pays d’infrastructures nécessaires à assurer une vie normale des citoyens et à l’évolution optimale du pays. Encore moins à la création d’installations et de structures pour gérer intelligemment et avec compétence les calamités naturelles ayant causé d’énormes dégâts, à l’échelle nationale, au cours des soixante dernières an nées, en termes de vies humaines per dues, de cheptels emportés par les eaux en furie, de champs dévastés, de maisons et d’infrastructures routières détruites.
Pour illustrer l’insouciance des gens au timon des affaires, en Haïti, rappelons que le Palais national, symbole du pouvoir, complètement démoli par le séisme du 12 janvier 2010, n’est pas encore rebâti. Ainsi que quelque 50 000 personnes vivant toujours sous des tentes parmi les plus de 300 000 dont les maisons avaient été détruites, qui n’ont toujours pas retrouvé de logements normaux. En vertu de cette stratégie, les leaders (laideurs) ont d’autres chats à fouetter, tel que piller la caisse publique plutôt que défendre les intérêts du peuple haïtien. Sans vergogne, ils misent sur la générosité des « amis d’Haïti » et les dons de la communauté internationale pour voler au secours de nos sinistrés.
En tout cas, suite au tremblement de terre du 14 août, qui a semé la mort et la destruction dans le Grand Sud, le gouvernement d’Ariel Henry a attendu l’annonce de l’arrivée de l’aide américaine avant d’annoncer son intention de visiter la ville des Cayes, et d’autres zones dévastées, les jours suivants. Autant dire, le chef du gouvernement de facto donne l’impression de prendre le signal de sa toute première initiative, par rapport à ce cataclysme, de ses patrons américains.
À la lumière de tels faits, comment peut-on espérer une gestion saine, intelligente et fructueuse de la distribution de l’aide ? Le cafouillage observé, sur le terrain, dans la distribution de l’aide, témoignage éloquemment de cette carence de leadership et de l’inaction qui caractérisent la réaction de l’équipe de facto au pouvoir, face à ses obligations vis-à-vis des sinistrées des trois départements touchés, mais principalement aux communautés qui se trouvent dans les zones d’accès difficile. Mais, d’ores et déjà, la situation sur le terrain, en ce qui concerne la distribution de l’ai de, semble justifier la mise en garde lancée au pouvoir en place, dans l’édition du 25 août-1er septembre 2021 d’Haïti-Observateur, relative aux es – crocs, qui surgissent toujours de nulle part, à pareille occasion.
En effet, le témoignage du père Jean Marcel Louis, porte-parole du diocèse des Cayes, est plus que révélateur. Dans un texte distribué sur les réseaux sociaux, il dénonce la gabegie qui caractérise la distribution de l’aide, notamment, à Masseline et les régions avoisinantes. Originaire de Camp-Perrin, non loin de la ville des Cayes, il dit avoir observé des gens à moto venus de Port-au-Prince, mais aussi des Camp-Perrinois, spécifiquement pour recevoir des kits alimentaires et sanitaires, ainsi que d’autres articles destinés aux sinistrés. Il affirme avoir vu, de ses yeux, ces «intrus» embarquer ces produits à bord de motos pour être vendus à différents centres commerciaux, tels que Bas Camp, Marché Dominique, Poste Avancé, Catiche, Duchity, et même Beaumont et Pestel. Voilà le menu fretin à l’œuvre !
Sans aucun doute, le témoignage du père Louis expose des activités malhonnêtes menés par des individus opérant à petite échelle. Mais qu’en sera-t-il des gens mal intentionnés transportant l’aide détournée dans des camions ou utilisant d’autres moyens de transport à grands volumes ? Vu la nonchalance, doublée de l’incompétence des dirigeants, les fonctionnaires publics et autres catégories proches du pouvoir résisteront difficilement à la tentation de se servir à titre personnel des dépôts d’aide. Entreront donc en scène les bâtisseurs de millions.
Il y a donc de quoi s’inquiéter, quant à une distribution satisfaisante de l’aide, surtout internationale, aux sinistrés du Grand Sud. Surtout que s’annonce déjà une vague d’interventions secouristes de pays étrangers. Des avions venus, tour à tour, du Brésil, de Colombie, du Venezuela et d’autres pays de l’Amérique Latine ont déjà débarqué leurs cargos, à l’aéroport international de Port-au-Prince. Il en est de même de la Russie, dont deux réacteurs ont déversé des produits à l’intention des familles affectées dans les trois départements. Il semble qu’un bateau de la Grande Chine, à l’instigation, dit-on, de l’ex-sénateur Moïse Jean-Charles, candidat à la présidence du Parti Pitit Dessalines, soit aussi sur le point d’arriver en Haïti. Sans oublier que les États-Unis avaient, auparavant, mobilisé ses ressources en vue de venir en aide aux sinistrés, ainsi que l’Union européenne, collectivement et les pays membres individuels de cette organisation.
La manière dont les hommes et femmes qui ont hérité du pouvoir, après l’assassinat de Jovenel Moïse, cherchent à magnifier sa mémoire et à continuer sa politique, n’autorise à croire à aucune rupture avec les pratiques des régimes PHTKistes. Dans ce cas, les politiques post-séisme du 14 août 2021 ne seront pas différentes de celles du précédent tremblement de terre dévastateur qui a frappé Haïti. Voilà pourquoi la logistique de la distribution de l’aide ne sera pas au rendez-vous.
Cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur VOL. LI, No. 33 New York, édition du 1er septembre 2021, et se trouve en P. 10 à : h-o 1 septembre 2021