Un Plan Marshall pour Haïti par RAJ
Après la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis ont institué un plan de redressement de l’Europe dévastée par la guerre, initialement intitulé « Program me de redressement européen », promulgué en 1948 avec le soutien bipartite du Congrès, et rebaptisé « Plan Marshall » en l’honneur du secrétaire d’État George C. Marshall, qui a été à l’origine d’un tel plan. À mon avis, seul un plan similaire peut changer Haïti, dont la dévastation n’a pas cessé depuis son indépendance, en 1804.
En fait, la situation du pays a empiré, même si quelque 13 milliards de dollars ont été collectés par les Nations Unies et d’autres organismes pour « reconstruire en mieux », après le tremblement de terre dévastateur de 2010. Et 4,2 milliards de dollars du fonds PetroCaribe, provenant des bénéfices des produits pétroliers vénézuéliens et destinés au développement, ont disparu entre 2008 et 2017.
Il est temps de rendre des comptes et de déployer un effort concerté pour le développement économique de cette nation appauvrie, afin d’éviter qu’elle ne continue d’être un casse-tête de taille hémisphérique dans les Amériques. Car presque tous les pays de l’hémisphère connaissent aujourd’hui les résultats d’années d’exploitation et de négligence de la première République noire du monde aujourd’hui définie par les milliers de réfugiés fuyant l’enfer sur terre pour être ramenés par avion dans la fournaise.
Considérez ce que les États-Unis ont fait en 1948 pour l’Europe, après la victoire des Alliés sur les forces du fascisme et du nazisme. Après avoir détruit une grande partie de l’Europe, les Américains ont aidé à la reconstruire, le Congrès américain ayant approuvé plus de 13 milliards de dollars, soit l’équivalent de 144 milliards de dollars en 2020, selon Wikipedia. Dix-huit pays ont bénéficié des largesses américaines, la part du lion revenant à la Grande-Bretagne, à la France et à l’Allemagne.
Parmi les mesures envisagées par le plan Marshall figuraient celles qui favoriseraient l’essor des économies des pays européens, comme la réduction des réglementations qui entravent le développement et l’amélioration des programmes réducteurs des barrières étatiques qui augmentent la productivité.
Comparez cette générosité avec ce qui s’est passé dans le cas d’Haïti, lorsque ce pays a été le premier à vaincre l’esclavage et à mettre fin à l’hégémonie française dans le Nouveau Monde, ouvrant ainsi la voie à la nouvelle nation américaine à devenir la taille du pays qu’elle est aujourd’hui. La victoire des esclaves haïtiens sur les forces colonialistes a favorisé l’achat de la Louisiane par les Américains, le pays doublant de taille à la faveur de la mise en déroute de la puissante armée de Napoléon Bonaparte, le 18 novembre 1803. À la faveur de cette défaite, la France a perdu son quartier général dans le Nouveau Monde, au Cap Français, rebaptisé Cap-Haïtien. Aussi, le rêve français d’un empire dans le Nouveau Monde a-t-il tour né court. Imaginez que les Américains n’ont payé que 80 millions de francs, soit l’équivalent de 15 millions de dollars, à l’époque, pour cette vaste étendue de terre à l’ouest du fleuve Mississippi, jusqu’aux Montagnes Rocheuses, d’une part, et du Golfe du Mexique au sud jusqu’à la frontière avec le Canada. Aujourd’hui, cela représente 14 États.
Au lieu de se montrer reconnaissants envers Haïti, les États-Unis se joignirent à la France et à toutes les puissances esclavagistes de l’époque pour déclarer un embargo paralysant sur la nouvelle nation, afin de dissuader tout mouvement d’imitation de leurs propres esclaves. En 1825, l’embargo est renforcé lorsque Charles X, ayant recours à la diplomatie de la canonnière, impose à Haïti une dette de 150 millions de francs, ramenée à 90 millions, en guise de dédommagement pour perte de biens, y compris des esclaves. On rapporte que cela représentait l’équivalent de 21 milliards de dollars en monnaie actuelle.
Les États-Unis ont soutenu la France dans un tel hold-up, dont le dernier centime a été versé en 1947, au précurseur de la Citibank, qui avait assuré le recouvrement pour la France lorsque les Marines américains ont envahi Haïti en 1915 et y sont restés pendant 19 ans.
De toute évidence, l’économie d’Haïti, soumise à un embargo et hypothéquée depuis un siècle et demi, ne pouvait supporter une population en pleine croissance. Et les États-Unis ne reconnaîtront la nouvelle nation que lorsque le président Lincoln le fera en 1862.
Lorsque les Américains ont occupé Haïti et la République dominicaine, des travailleurs haïtiens ont été transportés par camion dans la partie de l’est de l’île pour faire de ce pays la capitale mondiale du sucre. Des travailleurs haïtiens ont également été amenés à Cuba, alors proche allié des États-Unis, en vue d’aider l’industrie sucrière de ce pays. Aujourd’hui, la République dominicaine a une économie florissante, et Haïti est son deuxième partenaire économique après les États-Unis. Les Dominicains exportent environ 2 milliards de dollars par an de produits agricoles et manufacturés vers Haïti, tandis que les exportations d’Haïti vers son voisin s’élèvent à 100 millions de dollars. Cuba, protégée par le bloc communiste depuis la révolution de Castro, en 1959, envoie maintenant des « missionnaires médicaux » dans divers pays d’Afrique et d’ailleurs, notamment Haïti; et récemment en Italie, lorsque ce pays européen a été parmi les premiers de ce continent à être visité par la pandémie de la COVID-19.
Le monde a eu l’occasion d’aider Haïti après le tremblement de terre de 2010, qui a fait plus de 200 000 morts et 1,5 million de sans-abri. Les nations du monde entier sont venues à la rescousse, les Nations unies ayant reçu des dons de quelque 130 pays. Sur les 13,5 milliards de dollars collectés pour Haïti, les trois quarts auraient été versés aux Nations Unies et un quart aux entités caritatives, les fameuses Organisations non gouvernementales (ONG), qui ont valu à Haïti le surnom de « capitale mondial des ONG ». L’ancien président Clinton, en tant qu’envoyé des Nations Unies en Haïti, suite au tremblement de terre, a coprésidé la Commission intérimaire pour la reconstruction d’Haïti (CIRH) avec le Premier ministre haïtien de l’époque, Jean-Max Bellerive. Qu’est-il advenu des 3 milliards de dollars initialement approuvés pour la CIRH, comme cela a été rapporté ? En Haïti, peu de preuves sont offertes pour justifier la dépense de ces milliards de dollars.
Dans le même ordre d’idées, les responsables haïtiens devraient également rendre compte des 4,2 milliards de dollars du fonds Petro Caribe mentionné précédemment. Les présidents et Premiers ministres en fonction durant cette période, et qui sont encore en vie, devraient rendre compte de ce qu’il est advenu de ces fonds.
Je soutiens qu’un plan Marshall pour Haïti peut commencer avec tous les fonds destinés à Haïti, qui n’ont pas été comptabilisés. Une partie de ceux-ci se trouve en résidence dans des banques offshore. Les enquêteurs du gouvernement américain ne peuvent ignorer où est passée une partie du butin. Ces fonds devraient suffire comme capital initial au financement d’un projet qui devrait être mené par les États-Unis et les pays dits « amis d’Haïti », en collaboration avec un gouvernement haïtien provisoire qui, rompant avec le passé, ferait de l’honnêteté et de la transparence les marques d’une administration déterminée à faire d’Haïti le joyau qu’il aurait dû être depuis toujours. Une Haïti au travail permettra aux Haïtiens de rester chez eux, dans un pays où priment le droit et l’ordre ; débarrassée des gangs, et prête à accueillir à nouveau les compétences de ses filles et fils dispersés à travers le monde.
Cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur, VOL. LI, No. 49 New York du 22 décembre 2021 et se trouve en P. 4 à : h-o 22 dec 2021