DEUX COMMISSAIRES DU GOUVERNEMENT SUR LA SELLETTE
- Une autre décision maladroite du MJSP
- Qui bénéficie du blâme public décerné à Jean Muscadin et Ronald Richmond ?
- Par Léo Joseph
Suite à une partie de bras de fer ouverte, publiquement, entre deux commissaires du gouvernement, Jean Ernest Muscadin et Ronald Richmond, respectivement du Tribunal de première instance de Miragoâne et des Cayes, autour d’un incident relevant de l’emprise des gangs sur le pays. La lettre de blâme adressée à ces deux hauts fonctionnaires du système judiciaire, signée de la ministre de la Justice et de la Sécurité publique, porte l’empreinte d’une maladresse caractérisée, par le fait de la démission de ce ministère, dont la nonchalance a favorisé l’épanouissement des gangs armés. La proclamation d’«espaces perdus » faite par le titulaire du MJSP, Emmelie Prophète-Milcé, pour décrire les zones contrôlées par les criminels, en dit long. Vu la sévérité de la correspondance, qui concerne les chefs de ces deux parquets, il faut se demander qui en seront les bénéficiaires de ces « blâmes musclées lancés publiquement.
En effet, dans les deux lettres, le MJSP se révèle d’une dureté remarquée, oubliant même que le conflit entre MM. Muscadin et Richmond trouve son origine dans la guerre qu’ils sont en train de mener contre les malfrats, sans encadrement effectif du ministère dont relève leur administration.
Dans sa lettre à M. Muscadin, en date du 15 décembre 2023, l’instance judiciaire dit vou loir attirer son attention sur le fait qu’il reçoit des plaintes à son encontre, dont la plupart sont illégaux, précisant qu’il fait beaucoup de dégâts à son poste. Le MJSP dit également que le commissaire du gouvernement Muscadin « fixe ses propres règles et ses propres principes ». Il lui rappelle qu’il «a permis que des individus, en son nom, et avec sa bénédiction, bloque la voie publique sur la base d’une rumeur, et ce qui est absolument inacceptable pour un homme de loi, encore un commissaire du gouvernement ».
Disant basé sur des plaintes et communications reçues à son encontre, le ministère que dirige Mme Prophète-Milcé ajoute encore dans la même lettre : « Le MJSP est très attentif aux plaintes et messages qu‘ il reçoit vous concernant. En attendant de les vérifier, il vous rappelle que votre statut ne saurait vous placer au-dessus des lois de la République et encore moins vous dispenser de rendre compte ».
Dans l’affaire, qui consiste précisément le conflit avec son homologue des Cayes, le MJSP souligne : « Votre plus récente bé vue consistant à laisser votre juridiction pour vous rendre dans une autre », tout en déclarant que « la vôtre n‘a pas de limite ». Dans cette même le MJSP lui reproche encore de ne pas faire honneur au poste qu’il occupe.
Quant au commissaire du gouvernement des Cayes, il est blâmé pour son comportement dans le même dossier du chef de gang de Mariani, qui séjournait dans un hôtel à Port-Salut, au sud de la ville des Cayes. Il est reproché, dans la lettre du MJSP, de s’être comporté comme un journaliste fouineur en interrogeant le dirigeant d’un hôtel, par rapport à la présence du patron du gang de Mariani, dans son établissement. Selon la lettre, en agissant de la sorte, le commissaire du gouvernement de Miragoâne offre une occasion.
D’autre part, le MJSP blâme Ronald Richemond, en raison des propos, jugés inconvenants, qu’il a tenus à l’égard de son homologue de Miragoâne, sur les réseaux sociaux.
Muscadin et Richmond, tombeaux des bandits
Alors que d’autres départements du pays sont infestés de gangs armés avec la capitale d’Haïti, Port-au-Prince, remportant la palme en termes de criminalité, les Nippes et le reste du Grand Sud, ainsi que le Sud-Est, à un degré moindre, jouissent d’une relative sérénité.
Dans la juridiction des Cayes, Ronald Richmond ne fait pas de quartier aux bandits. Ces derniers sont généralement sur leurs gardes pour éviter d’être pris dans les filets de ce commissaire du gouvernement aux aguets en permanente. Quand ils se montrent imprudents au point de s’attaquer aux paisibles citoyens de la juridiction de ce commissaire du gouvernement, ils payent cher leur audace. Il est monnaie courante que M. Richmond mène, de concert avec le chef de la Police du département du Sud, des descentes dans les fiefs des gangs, à la poursuite d’auteurs d’actes criminels perpétrés. Aussi, les crimes constatés, souvent à Port-au-Prince et ses communes, sont rarement enregistrés dans le territoire contrôlé par Richmond.
Pour les citoyens vivant dans la juridiction des Cayes, ce dernier est considéré comme un rempart contre les criminels de toutes catégories. C’est pourquoi, les Cayens et les habitants des communes de cette ville, montent au créneau pour le défendre contre des commentaires négatifs à son égard venant du gouvernement central ou de secteurs liés au monde criminel. La mobilisation pro-Richmond intervient surtout en réponse aux rumeurs suggérant son transfert ou mise en disponibilité.
Dans les deux lettres, envoyées séparément aux deux commissaires du gouvernement, le ministère dit vouloir sauvegarder le « prestige » du poste de commissaire. Aussi continuera-t-il à « exiger » le respect et l’intégrité de ceux qui occupent cette fonction, « le respect scrupuleux de la loi et un comportement exemplaire », écrit le MJSP.
La Justice et la Police sous le feu des critiques
Quand bien même le comportement affiché par les deux commissaires du gouvernement justifierait une part de blâme, la manière dont elle est formulée dans les deux lettres se retourne contre les dirigeants, notamment le MJSP lui-même, ainsi que la Police nationale, les deux institutions principalement responsables de la sécurité. Avec le Premier ministre de facto Ariel Henry, ces deux institutions méritent le blâme d’enfoncer le pays dans l’insécurité qu’elles ne peuvent juguler.
En effet, face à l’incompétence, l’insouciance et la nonchalance des dirigeants, ces deux commissaires du gouvernement ont le mérite de sécuriser leurs juridictions et d’y faire régner la terreur aux malfrats. Peut-on imaginer comment serait le pays, si tous les paquetiers s’étaient donné les moyens de faire respecter la loi dans leurs territoires, au lieu de voir les agents de la PNH baisser pavillon devant des hommes armés, comme cela s’observe, à la capitale, par exemple, où, selon des statistiques fournies par les Nations Unies, 60 % du territoire sont contrôlés par les gangs armés.
Grâce à la vigilance des limiers du commissaire Muscadin, la travail de son homologue des Cayes est allégé. Car les bandits coincés à Port-au-Prince ou en « mission spéciale » se retrouvant dans les Nippes, le Sud, ou le Sud-Ouest, n’ont pas droit de passage, voire de cité. Après que soient appréhendés, les premiers bandits fuyant la capitale, et se dirigeant vers ces départements, eurent été interceptés, armés, ou voulant se mettre en rébellion, ont été exécutés sur le champ, le commissaire du gouvernement de Miragoâne était menacé de sanction par ce même ministère. Mais celui-ci avait fini par classer le dossier, par souci d’apaiser les milliers de citoyens qui faisaient aboutir leurs menaces contre le gouvernement sur les réseaux sociaux. Depuis lors, cette même attitude se manifeste toutes les fois qu’apparaissent les menaces contre Muscadin. Il semble que les autorités aient fini par se calmer, laissant les coudées franches à ce dernier, qui continuait à ’imposer la terreur aux bandits ayant la velléité de longer la Nationale numéro 2 par Miragoâne.
En tout cas, la ministre de la Justice et de la Sécurité publique, Emmelie Prophète-Milcé, signataire de ces lettres de « blâme musclé » adressées à MM. Muscadin et Richmond, n’aurait pas été obligée de présenter la réalité sécuritaire dans la plus grande partie de la capitale, désormais zones de non droit telle qu’elle l’avait décrite. Elles avaient déclaré que le gouvernement, dont elle fait partie, considère ces zones, où les malfrats font la pluie et le beau temps, comme « territoires perdus », car échappant au contrôle de la Police.
Après la proclamation de la ministre de la Justice et de la Sécurité publique confirmant la perte de la plus grande partie de Port-au-Prince, une réalité confirmée par les Nations Unies, c’est au tour du directeur général de la Police de reconnaître l’infériorité de la performance des forces qu’il dirige face aux gangs armés.
À l’occasion de la remise d’un don en équipements des pays de l’Union européenne (UE) à la Police nationale, Frantz Elbé devait déclarer que le Police nationale n’était pas créée pour se battre contre une « guérilla urbaine ».
Pourtant, une semaine auparavant, dans le cadre d’une autre cérémonie de remise d’équipements à son institution, il se croyait autorisé à répéter que la Police d’Haïti était maintenant mieux équipée pour se colleter avec les bandits. On se demande à quelle Police il faisait allusion.
Pour l’instant, la mobilisation en faveur de M. Muscadin, mais aussi au profit de Me
Richmond, semble vouloir se réveiller, après que les lettres de blâme eurent été adressées aux deux commissaires du gouvernement. Il semble aussi que les milliers de militants restés mobilisés, à travers le pays, soient aux aguets, suivant de près l’attitude du MJSP.
Ernst Muscadin, commissaire, du gouvernement de Miragoâne
cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur, VOL. LIII, No.44 Édition spéciale Canada du 20 décembre 2023, et se trouve en P1,2 à : h-o 20 dec 2023