« Vérités historiques » et choix idéologiques (Première partie) Par Garaudy Laguerre

« Vérités historiques » et choix idéologiques (Première partie) Par Garaudy Laguerre

C’est un choix politique délibéré. La preuve s’il en faut, que nous vivons encore sous l’ère du coup d’État de Pétion. Cela n’aurait pas été toléré sous l’égide de la vision de Dessalines.

Comment comprendre que tous les présidents noirs qui ne se sont pas soumis à l’establishment mulâtro-occidental aient été renversés, assassinés ou présentés comme étant criminels : Dessalines, Christophe, Soulouque, Nord Alexis, Salomon, Duvalier, Aristide ?

Tandis que celui qui a commis le plus grand crime de parricide, on le fait passer pour un démocrate, un « Papa bon cœur ».

Pour faire honneur à l’Empereur et retrouver notre chemin, nous devons revisiter, implanter sa vision, et continuer son œuvre et celle de Christophe, c’est-à-dire, bâtir un État haïtien, fort et prospère. Nous devons reprendre le processus de la vérification des titres de propriété et construire un pays par nous-mêmes et pour nous-mêmes.

Si, selon les marxistes, dans les sociétés capitalistes, il faut que les ouvriers renversent le pouvoir du capital pour établir la dictature du prolétariat, pour le bien-être du peuple et du plus grand nombre, il en est de même pour une société ségréguée où une minorité, avec ses alliés, contrôle le pouvoir économique et politique. Il faut que cette minorité soit renversée, les sanctions de leurs patrons ne suffisent pas pour l’avènement d’un nouvel État. Dans le cas d’Haïti, la minorité mulâtre-arabe avec ses collaborateurs politiques noirs qui contrôlent le pays devrait rendre des comptes, et des balises mises en place pour que l’État puisse retrouver son autorité en jouant son rôle d’arbitre juste, soucieux du bien de tous les citoyens. Il nous faut établir un pouvoir nationaliste, où systématiquement, les besoins et intérêts des élites tout comme ceux du peuple sont pris en compte de façon équitable dans la définition et la mise en oeuvre des politiques publiques. Bien évidemment, il faudrait prendre le temps de mettre en place des mécanismes et institutions assez solides pour que ces pratiques deviennent structurelles et ne changent pas au gré des partis ou individus qui se succèdent au pouvoir. C’est ce genre de culture politique qui, sous d’autres cieux, renforce le sentiment de confiance des citoyens et diminue les tensions sociales.

Dénoncer les usurpateurs et leur assigner la place qui leur revient dans l’histoire, n’enlève rien au fait qu’ils ont tous contribué et participé à quelque chose de grand et d’exceptionnel. De même, vouloir les trainer tous dans la boue pour absoudre quelques usurpateurs et satisfaire l’occident, ne peut que contribuer à notre péril collectif et continuer à faire perdurer notre “sort de peuple ingrat !” Dixit Dessalines. Boukman, Toussaint, Dessalines, Christophe et Pétion, font tous partie de notre héritage collectif puis que nous parlons d’un seul et même pays.

Si nous avons perdu notre chemin, et que nous sommes désolés de ce que nous sommes devenus, cela ne leur est pas imputable à tous. Il nous revient aujourd’hui de redresser la barque.

Conclusion :

Ici, nous ne parlons pas uniquement de notre histoire, mais surtout de notre avenir. Mes propos ont pour objectifs d’exprimer ma conviction profonde, de défendre notre histoire et d’honorer nos héros, qui ont tout risqué pour nous enlever nos chaines et celles de nos arrière-grands-parents. Dessalines l’a dit lui-même : “J’ai tout risqué pour un seul bien, notre liberté”. A notre détriment, c’est un bien qui a été négocié et perdu.

Malgré tout, Dessalines est resté une figure transcendante, un mythe, un « loa »/esprit indomptable, puissant, ayant le pouvoir de posséder tout Haïtien, noir et mulâtre, y compris les intellectuels de droite, mulâtres et révisionnistes pro-occidentaux. Ils vous le diront eux-mêmes «Loa Dessalines mwen montem», même quand ils ne le disent pas ouvertement, vous le saurez. Ils encenseront Dessalines pour un moment, et dans un autre contexte ils le dénigreront. Un jour, ils vous diront que « Dessalines c’est mon homme », le lendemain, ils vous diront que son assassinat était justifié. Ce sont des moments transcendantaux et passagers qui ne durent que le temps pour eux de retrouver leur conviction profonde. Oui, de temps en temps, ils peuvent être les plus grands des grands révolutionnaires, mais seulement pendant 5 minutes, quand ils sont fâchés, en conflits ou possédés.

Si nous voulons reprendre en main notre pays, c’est la totalité de la vision de Dessalines que nous devrons revisiter et adopter.

Sa vision de réforme agraire ne cautionnerait pas qu’on accorde trente-mille hectares de terres cultivables, à un seul individu pour planter le stévia, alors que plus d’un tiers de la population souffre de carences alimentaires.

La vision de Dessalines n’accepterait pas que des forces étrangères foulent notre sol sous le prétexte de venir rétablir la paix et la sécurité qu’ils ont eux-mêmes sabotées. Nous aurions tous été de bons soldats, pour protéger nous-mêmes notre plus grand bien, Ayiti.

Lors de la proclamation de l’indépendance le 1er janvier 1804, Dessalines eut à dire : « Qu’avons-nous de commun avec ce peuple bourreau. Sa couleur et la nôtre… disent assez qu’ils ne sont pas nos frères, qu’ils ne le deviendront jamais ; et que s’il trouve un asile parmi nous, ils seront encore les machinateurs de nos troubles et de nos divisions ». Réfléchissez bien, plus de deux cents ans plus tard, peut-on dire qu’il eût menti ?

Si nous devons rallumer le feu de l’amour de la patrie en notre jeunesse, nous ne pouvons lui enlever son histoire, sa seule source de fierté et d’espoir ! Où puiseront-ils leur force, sinon de notre passé, de notre vécu ? Voilà pourquoi ceux qui veulent réviser notre histoire et défaire le Père de la nation doivent être considérés comme de vulgaires opportunistes, ennemis de la nation! Ceux-là mêmes, qui, dans les moments difficiles, pour se renforcer, n’hésiteront pas à dire que « Pa kite loa Dessalines mwen monte m ».

Le « loa de Dessalines » et sa vision, porteurs des solutions qui seront notre legs à nos enfants haïtiens (noirs, mulâtres, et arabes), devraient nous guider en permanence. Il n’est pas souhaitable de continuer à voir la majorité de nos enfants noirs vivre dans la pauvreté et le dénuement ni de voir disparaitre notre composante mulâtre et arabe, afin que le pays puisse se libérer.

L’alternative est de lutter jusqu’à notre dernier souffle pour bâtir un pays où il fait bon vivre, pour tous, sous le soleil magnifique de la terre de Dessalines.

Si les petits Français n’ont pas connaissance de la vérité historique que la France a été battue par une armée d’esclaves, c’est dû au choix idéologique de poursuivre le mythe du blanc invincible. Le petit Haïtien pour sa part, doit savoir qu’il vient d’une lignée de grands hommes et de grandes femmes : des guerriers victorieux, des penseurs visionnaires qui ont réalisé l’impensable. Que leur sang coule encore dans nos veines. Et qu’en nous armant de courage, d’intelligence, de loyauté à la nation, en mobilisant notre peuple pour affronter nos ennemis et surmonter nos défis ; aussi vrai que la terre tourne, nous pouvons avoir la ferme conviction qu’en dépit de nos déboires, et grâce à l’immortel Dessalines, l’avenir nous appartient. G. L. 10-08-2023

cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur, VOL. LIII, No. 34 New York édition du 20 septembre 2023, et se trouve en P.4 à : h-o 20 sept 2023

Haïti-Observateur / ISSN: 1043-3783