Jovenel Moïse et PHTK ont-ils réduit la diplomatie haïtienne en paria ?

Jovenel Moïse et PHTK ont-ils réduit la diplomatie haïtienne en paria ?

  • ÉDITORIAL

Les dérives de Jovenel Moïse, constatés à tous les niveaux de l’administration publique, font reculer le pays socialement et administrativement de plusieurs décennies. Le scandale qui vient d’éclater dans la diplomatie haïtienne, provoqué par l’association de la consule générale d’Haïti à Santiago, en Ré- publique dominicaine, aux trafiquants de drogue, est le comble de la déchéance qui caractérise les relations de notre pays avec les pays étrangers. Cela prouve que la société haïtienne n’a rien appris de la mise en garde qu’avait lancée l’ambassadeur américain Brian Dean Curran, le 9 juillet 2003, dans son discours d’adieu, à la fin de son tour de service comme chef de la mission diplomatique des États-Unis, en Haïti.

Curran avait profité de l’occasion pour exhorter le peuple haïtien à rectifier les erreurs qui se sont accumulées dans la gestion du pays, afin de permettre à Haïti d’aller de l’avant. Il avait surtout relevé ce qu’il identifiait comme « une crise morale». À cet égard, il soulignait que : «Les trafiquants de drogue sont bien connus ». Mais il continua en disant : « Vous faites des affaires avec eux », soulignant que le gouvernement « les tolère ».

Par sa dénonciation des trafiquants de drogue, qui se font une place de choix dans la société, mais surtout dans la politique, Dean Curran pensait attirer notre attention sur la nécessité de protéger les institutions étatiques de la pègre qui commençait à faire son entrée au Parle- ment. Selon lui, cette mise en garde suffisait à déclencher le mécanisme de rejet de ces éléments nuisibles et dégénératifs de la société. Mais il était en doute de savoir qu’en moins de deux décennies la pègre allait prendre d’assaut la diplomatie de notre pays, par le truchement du Parlement. L’incident survenu à Jimani/Malpasse, samedi dernier (7 décembre) prouve que les institutions nationales n’ont pas les reins assez solides pour lutter contre et surmonter les assauts répétés de ce fléau. Puisque, au fil des vingt-cinq à quarante dernières années, les trafics illicites, toutes catégories confondues, ont gagné du terrain dans le pays.

La tendance à l’enrichissement facile et vite s’est développée proportionnellement à l’amour du gain et des biens matériels. De plus en plus, la richesse mal acquise garantissant l’accès à une vie de luxe, sans avoir besoin de faire des études libérales ou professionnelles, attire une nouvelle génération, dont un nombre de plus en plus élevé s’enrichit avec peu d’effort et d’éducation. Tout cela entraîne la crise morale dont parlait l’ambassadeur Curran et que la société haïtienne n’arrive pas à éviter.

En effet, dans la recherche de biens faciles et mal acquis, les choix portent volontiers sur la corruption, aux dépens de la caisse publique, tuant progressivement l’esprit patriotique, dans le passé si choyé dans notre société. Ou bien ils deviennent des adeptes de commerces illégaux, dont la pratique s’accompagne de violence pour surmonter les contrariétés et les échecs rencontrées. Mais c’est plutôt le trafic de stupéfiants qui semble séduire le plus, car offrant l’occasion de s’enrichir plus rapidement, sans avoir de comptes à rendre à qui que ce soit, sinon les démêlés suscités avec la justice ou des affrontements parfois meurtriers entre compétiteurs débouchant même sur des assassinats.

Cependant, avec la présence sur le terrain de la Brigade fédérale antidrogue ou Drug Enforcement Administration (DEA) œuvrant en étroite collaboration avec les autorités policières haïtiennes, ceux qui ont décidé de faire carrière dans la promotion des stupéfiants se trouvent confrontés à l’offensive de l’institution dont la responsabilité consiste à combattre les trafiquants sur tous les fronts. Aussi, encourent-ils le danger d’arrestation, souvent suivie de leur expulsion vers les États-Unis où les attend une inculpation certaine pour trafic de stupéfiants débouchant sur un procès susceptible d’entraîner des années de réclusion loin de leur pays et de leur famille. On en a pour exemples, entre autres, Jacques Beaudouin Kétant, le compère de Jean-Bertrand Aristide, Rudy Thérassan, ancien chef de la BLTS, le bras armé d’Aristide contre les trafiquants qu’il jugeait dévoyés par rap- port au pourcentage dû sur les cargaisons importées, Fourel Célestin, président du Sénat sous Aristide, et plus récemment, Guy Philippe, ennemi acharné d’Aristide.

Mais les mesures draconiennes prises à l’encontre des trafiquants ne vont pas les convaincre de renoncer à cette activité. Trop d’argent à gagner rapidement pour accepter de redevenir chômeurs, il vaut mieux se donner les moyens de se mettre à l’abri des institutions ayant vocation de combattre la distribution des produits illicites. Le Parlement offre l’abri idéal recherché. Les femmes et hommes qui s’y engouffrent ainsi utilisent également ce refuge pour mener à bien leurs activités illicites. Entre-temps, à la faveur du partage des privilèges avec l’Exécutif, sénateurs et députés ont la possibilité de nommer des diplomates et des agents consulaires dans des postes clés pour, sous couvert de la diplomatie, s’adonner au commerce illicite.

Le privilège de choisir le personnel diplomatique et consulaire constitue une aubaine pour les trafiquants de stupéfiants, désormais logées dans les Chambres législatives, qui placent leurs propres agents dans des postes appropriés pour faciliter le transport et l’écoulement de leurs marchandises. Dans ce cas, il y a tout lieu de s’interroger sur les motifs de la nomination par le sénateur Rony Célestin de Judith Exavier comme consule générale d’Haïti à Santiago.

La manière dont s’est déroulée sa traversée au port frontalier haïtiano-dominicain de Jimani/Malpasse semble accréditer la théorie faisant d’elle un membre du réseau de trafiquants de drogue, au même titre que le propriétaire de la jeep Lexus, José Bernabé Quintero, qui est étroitement lié à Cesar Emilio Peralta Adamez, surnommé César El Abusador. D’aucuns le font passer pour le « Pablo Escobar dominicain », le feu le puissant chef du cartel de Medellin, en Colombie. Le tout terrain de marque Lexus avec la plaque d’immatriculation G353903, qui était l’objet de recherche par la DEA, pour avoir été impliqué dans le transport de la cocaïne, que pilotait Mme Exavier, traversait la frontière pour être mis à l’abri en Haïti, suite à une enquête de grande envergure en cours en République voisine concernant Cesar El Abusador. Car, devraient penser les membres du réseau de trafiquants de ce dernier, après son arrestation en Colombie, le lundi 2 décembre, la recherche de la Lexus allait devoir s’intensifier. Il est donc absolument nécessaire de la mettre « en lieu sûr ». Haïti serait la cachette idéale.

En effet, depuis la mise en garde de l’ambassadeur Curran, les trafiquants de drogue ont fait de grands progrès dans le développement du marché et de leurs tentacules sur Haïti et la République dominicaine, ainsi que leurs moyens logistiques. C’est pourquoi, les débarquements, par bateaux et par avions, s’effectuent de manière régulière, dont le dernier en date remonte à environ trois semaines, à Saint Jean du sud, non loin de la ville des Cayes, dans le département du Sud. Deux véhicules ont accouru sur les lieux pour récupérer la cargaison de cocaïne, que venait de débarquer un avion ayant fait un atterrissage forcé. L’une des voitures en question appartient au sénateur du Sud, Hervé Fourcand, et l’autre exhibe une plaque « Service de l’État ».

La chronique des débarquements anonymes, d’atterrissages clandestins ou de largages de sachets de cocaïne, de marihuana ou d’héroïne, est riche en pareils incidents, ici et là sur les côtes haïtiennes ou à des pistes isolées, sur des propriétés privées. Comme, par exemple, celle qui se trouvait au cœur de la vaste ferme de figue banane d’Agritrans, une firme appartenant au président Jovenel Moïse. On se souvient spécifiquement d’un bateau appartenant au sénateur Joseph Lambert, qui fit naufrage le 2 septembre 2011, au large de Tiburon, encore dans le département du Sud, qui était chargé de cocaïne. M. Lambert, représentant du département du Sud-Est, était alors président du Sénat. Des sources proches de la justice haïtienne et de la DEA avaient alors révélé que la mission du navire consistait vraisemblablement à récupérer une cargaison de drogue qu’avaient lâchée deux aéronefs.

S’il était question d’énumérer ici les débarquements clandestins de cargaisons de stupéfiants effectués à divers points du pays, la liste serait interminable. Mais on peut dire que de tels incidents se produisent régulièrement sur le territoire national, au profit des officiels, mais le plus souvent impliquant des parlementaires. Avec ces derniers s’octroyant le droit de nommer des membres du personnel diplomatique et consulaire, on ne sait encore à quels autres postes, après Santiago, ont été plantés des collaborateurs au service des trafiquants.

L’histoire de l’évolution du commerce et de la distribution de stupéfiants, en Haïti, prouve que les politiciens de ce pays ont développé une culture de la promotion de produits illicites. Pour avoir ouvert la porte de cette alléchante activité aux barons de la drogue, les hommes et femmes qui dirigent le pays le ravalent au niveau de diplomatie de paria. Alors que dans la gestion de leur diplomatie, les autres pays prennent la précaution de mener une enquête de sécurité rigoureuse sur les personnes choisies pour la représentation diplomatique et consulaire, Haïti utilise la diplomatie pour promouvoir les intérêts des trafiquants. Car, suite à l’affaire Exavier, ceux qui représentent notre pays à ces titres risquent d’être ostracisés ou susceptibles de soulever la méfiance dans les pays d’accueil.

Les faits viennent de prouver que l’ambassadeur Brian Dean Curran avait raison. Reste à voir maintenant si les autorités haïtiennes peuvent lancer une véritable campagne pour débarrasser nos institutions des barons de la drogue et libérer notre diplomatie de l’emprise des cartels.


cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur, édition du 11 décembre 2019, VOL XXXXIX No.48, et se trouve en P.10 à : http://haiti-observateur.info/wp-content/uploads/2019/12/H-O-11-d%C3%A9cemb-2019.pdf