Quand le Bulldog bombardait la ville du Cap Par Charles Dupuy

LE COIN DE L’HISTOIRE

  • Quand le Bulldog bombardait la ville du Cap Par Charles Dupuy

Quand, en mai 1865, le général Sylvain Salnave prit les armes contre le gouvernement de Fabre Nicolas Geffrard, la population du Cap lui apporta un soutien massif et sans équivoque. Menés par Demesvar Delorme, les jeunes, les intellectuels, mais aussi les commerçants haïtiens de la place, défendront avec d’autant plus d’ardeur la révolution qu’ils reprochaient au président Geffrard de vendre le pays aux étrangers, de favoriser ces négociants venus d’ailleurs qui leur faisaient une concurrence déloyale et les empêchaient de profiter pleinement de la reprise économique.

Comme le Cap résistait depuis six mois aux assauts répétés de ses Tirailleurs de la Garde, Geffrard demanda aux navires de la flotte anglaise, qui rôdaient un peu au large des côtes haïtiennes, de bombarder la ville. Cet appel désespéré de Geffrard aux canons du Bulldog, du Galatea et du Lily, pour mater la cité rebelle, ruina le peu de prestige et de crédibilité qui subsistaient en sa faveur dans l’opinion. La ville du Cap sortit de la révolte à moitié incendiée et son commerce sera livrée au pillage par les troupes victorieuses. Après cette séquence historique tumultueuse, Geffrard traversa une très grave crise d’impopularité. La guerre civile avait coûté tout près de cent millions de gourdes au gouvernement et le forçait à imprimer une profusion de papier-monnaie causant la dévaluation de la gourde avec son cortège de misères économiques et sociales.

Finalement, la victoire de Geffrard sur les rebelles ne fut que de courte durée. Les conspirations proliféreront comme jamais, minant mortellement la solidité du régime. Quand, le 22 février, les Tirailleurs eurent déchargé leurs armes en direction de son Palais, Geffrard, sentant son pouvoir menacé, recomposa aussitôt son ministère, convoqua le Parlement, amnistia ses opposants et promit des réformes. Selon Spencer Saint-John, à l’époque consul de Grande-Bretagne à Port-au-Prince, cette défection des Tirailleurs de la Garde viendrait du fait que pour punir les habitants du Cap-Haïtien de leur insurrection de 1865, les agents recruteurs de Geffrard «s’étaient emparés de quelques douzaines de jeunes gens honorables et les avaient traînés à Port-au-Prince dans les bataillons de tirailleurs. Ce furent eux qui, en 1867, affirme le consul, donnèrent le signal des mouvements révolutionnaires qui finirent par renverser le président». (Haïti ou la République noire, p.274).

Le bombardement du Cap par la flotte anglaise hantera longtemps les mémoires et ne restera pas sans suite. C’est ainsi qu’au moment des élections présidentielles de 1957, le sénateur Louis Déjoie, en visite au Cap-Haïtien, se présenta à la population comme étant le petit-fils du président Geffrard, un bon chef d’État, un excellent gestionnaire, un démocrate et un progressiste. Me Luc Stephen, ancien député du Limbé et alors candidat au Sénat de la République, s’empressa d’aller répliquer à la radio que le candidat Déjoie avait bien mal choisi la ville pour se vanter de ses origines, puisque l’un des boulets du Bulldog se trouvait encore logé dans le clocher de la cathédrale du Cap, une ville qui gardait de bien douloureux souvenirs de cet épisode historique et une rancune, ô combien tenace, envers son ancêtre, le président Geffrard.

Comme on sait, Me Luc Stephen fut triomphalement élu au Sénat, tandis que Louis Déjoie ne devait jamais accéder à la présidence qu’il visait. On rappellera pour finir qu’après avoir démissionné, le 13 mars, 1867, le président Fabre Nicolas Geffrard partait le même jour pour l’exil à Kingston, à la Jamaïque. C’est là qu’il mourut le 31 décembre 1878. Il avait alors 72 ans. C.D. coindelhistoire@gmail.com (5 14) 862-7185


cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur édition du 13 novembre 2019 Vol. XXXXIX No.44, et se trouve en P. 4 à : http://haiti-observateur.info/wp-content/uploads/2019/11/H-O-13-novemb-2019.pdf