L’ARTICLE « ÉTRANGLEMENT FRANÇAIS D’HAÏTI » DANS LE DEVOIR

L’ARTICLE « ÉTRANGLEMENT FRANÇAIS D’HAÏTI » DANS LE DEVOIR

  • Version du défenseur de la juste cause du peuple haïtien
  • Maintenant l’œuvre d’un fils authentique de la première République noire
  • Par Léo Joseph

D’entrée de jeu, je dis, « Chapeau à Jean-François Lisée ! », pour sa chronique dans le quotidien canadien Le Devoir, publié dans l’édition du 4 octobre 2023. Il a trouvé les mots et expressions justes pour décrire l’œuvre de destruction et de ruine financière d’Haïti par la royauté française, sans négliger de dénoncer la complicité des autres pays esclavagistes, dans cette vaste entreprise criminelle menée dans l’impunité totale. Jusqu’ici ! Dans la foulée du vote du Conseil de sécurité, le lundi 2 octobre, autorisant le déploiement d’une force de sécurité spéciale, dont le Kenya a sollicité le leadership, je me propose, à mon tour, de réfléchir sur ce vaste complot international qu’ils ont orchestré. Bien que perdant leurs colonies, d’abord, à la faveur de l’indépendance d’Haïti, proclamée par le général Jean Jacques Dessalines, les royaumes esclavagistes, privés de leurs colonies, par la suite, se sont enrichis et continuent d’accumuler des millions, aux dépends des peuples qu’ils ont as servis avant de rapatrier leurs riches ses minières dans leurs pays respectifs.

Ce texte de ce journaliste peut servir de base à un débat international sur les injustices séculaires infligées à Haïti par la France et ses alliés coloniaux ayant monté une grosse conspiration par la quelle il est puni pour sa prouesse du 18 novembre 1804, à Vertières, s’assurant que l’État haïtien reste à jamais « paralysé » et privé de moyens de répéter cette impertinence. Si la première République noire du monde est allégée de ses richesses minières par la France et les autres royaumes qui l’ont occupé Hispagnola, et qui ont boycotté les possibilités de développement et de s’épanouir, socialement et politiquement, du nouvel État, ils ont également mis en place une stratégie visant à nier à toutes leurs anciennes colonies la moindre chance de jouir librement de leur indépendance, voire d’entretenir une quelconque velléité de représailles contre eux. Alors que la France a pris charge des pays africains, jadis sous sa férule, les États-Unis ont, de leur côté, mis Haïti, sous coupe réglée, gérant tous les aspects de ses destinés par personnes interposées.

En effet, depuis l’invasion, suivie de l’occupation d’Haïti (28 juillet 1915-1er août 1934), jusqu’au départ des Marines américains, Washington installait une administration américaine à l’étranger, allant jusqu’à créer une armée appelée «Garde d’Haïti », à tous égards à l’image d’une institution militaire étasunienne. Au moment de leur démobilisation définitive d’Haïti, mettant fin à leur occupation, les Américains installèrent des institutions politico-administratives fantoches, assurant ainsi leur présence permanente effective, dans les affaires publiques haïtiennes et leur emprise sur les leviers décisionnels de l’administration du pays.

Si le Département d’État faisant montre de discrétion dans leurs relations avec le pouvoir durant le règne de François Duvalier, les dirigeants américains se montraient plus osés sous Jean-Claude Duvalier. Mais à la faveur de l’avènement de l’ère dite démocratique, avec l’arrivée au pouvoir du prêtre défroqué Jean-Bertrand Aristide, annonçant l’ouverture de la vanne de millions, après une longue période de vache maigre, sous Duvalier, père et fils, le jeu politique commençait à changer. À partir de la chute de la dictature, la corruption s’installant progressivement dans l’administration publique, les dirigeants n’ont pu résister aux propositions indécentes d’entités étrangères cherchant à faire primer leurs intérêts sur ceux du peuple haïtien. Désormais, à tous les niveaux du gouvernement, c’est le slogan « Nèg paf è bak devan greenback » ( « Nul ne recule devant l’argent »), qui prime. On comprend pour quoi la quasi-totalité de politiciens post-1986 sont des millionnaires. Car si, dans le passé, les fruits de la corruption étaient la chasse gardée du chef de l’État et d’une poignée de ministres proches de ce dernier, une fois les Duvalier chassés du pouvoir, ce crime est devenu universel dans l’administration publique. On peut alors deviner pourquoi une telle catégorie d’hommes politiques est favorisée au pouvoir plutôt qu’une autre.

Jean-François Lisée fait la plaidoirie d’Haïti

Dans son article du 4 octobre, dans Le Devoir, Jean-François Lisée fait la plaidoirie d’Haïti, démontrant par A + B que les puissances coloniales, en premier lieu la France et ses alliés de l’époque, les Américains en tête de liste, sont les responsables exclusives de la pauvreté de la première République noire de la planète. À cet égard, il établit la reconnaissance de la dette française par un président cette ancienne puissance coloniale, en l’occurrence François Hollande, qui en a fait le rappel à son pays. Cela signifie que des démarches auraient dû être entamées, en vue du recouvrement de cette dette. Et M. Lisée a revisité les articles du New York Times dans lequel est actualisé le montant de la « dette coloniale » arrachée à Haïti, « sous la monarchie Charles X en 1825, qui réclama même à la jeune République d’Haïti une indemnisation d’État de 150 millions de francs afin d’indemniser les anciens colons qui le réclameraient ».

En effet, le journaliste Lisée cite des propos tenus par le président français Hollande dans un discours qu’il a prononcé lors d’une visite en Haïti, en mai 2015, sous la présidence de Michel Martelly, dont il relève ce passage : « A-t-on suffisamment souligné que, quand l’abolition [de l’esclavage] fut acquise, la question de l’indemnisation prit des proportions et surtout une orientation particulièrement surprenantes ? Cette indemnisation était réclamée à cor et à cri, non pas par les anciens esclaves mais par les anciens maîtres […]. Cela s’est produit sous la monarchie Charles X en 1825, qui réclama même à la jeune République d’Haïti une indemnisation d’État de 150 millions de francs afin d’indemniser les anciens colons qui le réclameraient ».

Jean-François Lisée souligne, dans cette même allocution de François Hollande, qu’il souligne fortement : « (…) certains ont appelé cette exigence “ la rançon de l’indépendance ” ; eh bien, quand je viendrai en Haïti, j’acquitterai à mon tour la dette que nous avons ».

Plus loin, dans le même texte, le journaliste souligne que la dette coloniale a été finalement payée par Haïti en 1952, renégociée à 90 millions de francs or, soulignant, en même temps, qu’à l’époque la vente de la Louisiane aux États-Unis avait rapporté « 80 millions de dollars », aux Américains.

À propos de cette dette arrachée à Haïti, comme dit Lisée, le couteau sur la gorge, l’auteur souligne : « Le New York Times a réalisé l’an dernier le premier calcul complet de la richesse ainsi extorquée aux Haïtiens. La somme actualisée équivaut à 750 millions de dollars canadiens. Si elle avait été investie année après année dans les écoles, les routes, les hôpitaux, l’administration publique, quel aurait été l’impact cumulatif ? Près de 30 milliards, calcule le journal, ʻ même en tenant compte de la corruption endémique et de l’incompétence ʼ. Ce qui aurait porté Haïti au même niveau de développement que les pays de la région, sinon plus ».

Haïti définitivement pris en otage par la communauté internationale

Jean-François Lisée a cité le président français François Hollande pour établir la dette bicentenaire de la France envers Haïti, une dette à laquelle The New York Times, dans une série d’articles publiés l’année dernière, a associé les États-Unis, responsabilisant ce pays comme étant partie prenante de ce crime odieux perpétré contre l’ancienne colonie française. Toutes choses étant considérées égales, le système international, que représente les Nations Unies (ONU), l’Organisation des États américains (OEA) et d’autres organisations du même genre constituent des organisations appelées à entériner la politique globale des anciens pays esclavagistes. Avec les États Unies payant la grosse partie de la facture du système de l’ONU et de l’OEA, celles-ci suivent à la lettre les décisions de Washington en ce qui concerne. Aussi le sort d’Haïti et celui des anciennes colonies se joue-t-il à Washington, les autres États occidentaux se faisant les exécutants de la politique américaine.

Dans ce contexte, Haïti est considéré comme une entité mineure, mis en situation d’infériorité, par rapport à presque tous les États membres de l’ONU et de l’OEA, c’est pourquoi dans les milieux occidentaux, il est considéré comme un « cas désespéré » (« un cas désespéré » ).

Tout comme ces deux organisations internationales bénéficiant de la générosité des États-Unis sont astreintes à entériner leur politique internationale, tributaire de Washington, la première République noire du monde s’est vu dépouiller de sa souveraineté, donc privé du droit de décider de ses destinées. Dans cet ordre d’idées il ne peut décider d’avoir son armée propre ou de décider de choisir lui-même son gouvernement. Puisque, « qui paie la facture donne les ordres et prend les décisions ».

Il est généralement admis, en Haïti, que les gangs criminels armés font la pluie et le beau parce que les Forces armées d’Haïti (FAdH) ont été démobilisées. Le pays est victime de ce coup fourré, en raison de cette nouvelle génération de dirigeants que les menées des anciens pays coloniaux ont amené au pouvoir. On peut en vouloir aux dirigeants du passé, pour plusieurs raisons, mais on ne peut les accuser d’antipatriotisme. Voilà pourquoi ils n’avaient jamais donné dans le panneau, par rapport aux suggestions de la communauté internationale relative à l’abolition des Forces armées d’Haïti. Ils ne mordaient pas à l’hameçon du Blanc offrant des appâts, sous forme de pouvoir ou d’objets sonnants et trébuchants.

On peut penser tout le mal qu’on veut de l’ancien président socialiste français François Hollande. Les électeurs, en tout cas, en étaient à ce point insatisfaits qu’il n’a pas osé leur demander un second mandat. Mais j’ai toujours senti que, malgré ses défauts, il s’agissait d’un homme fondamentalement bon. Et lorsqu’on l’avisait de l’existence d’un tort, son premier mouvement était de vouloir le redresser.

C’est probablement ce qui s’est produit lors de sa visite de mai 2015 en Guadeloupe. Participant à l’inauguration d’un lieu de mémoire sur la traite et l’esclavage, le Mémorial ACTe, il rappela qu’en 1804, Haïti fut la première république noire ayant militairement fait échec au rétablissement de l’esclavage décidé par Napoléon deux ans plus tôt.

S’adressant à l’alors président haïtien, Michel Martelly, présent, Hollande rappela ce que personne n’ignore dans son île : La somme était colossale. La vente de la Louisiane aux États-Unis avait rapporté 80 millions. Après une renégociation, Haïti a payé 90 millions de francs or. Or ce n’est que le capital. Les intérêts furent gargantuesques, car Haïti a dû s’endetter auprès de banques… françaises, qui connurent grâce à cette prédation un essor majeur. Cette dette et les intérêts sur la dette sont connus en Haïti sous le nom de « double dette » et ont indubitablement plongé le pays dans une pauvreté abjecte.

Aujourd’hui des gangs de criminels contrôlent 80 % de Port-au-Prince et une partie de l’arrière-pays. Sans scrupule, ils incendient, violent, mutilent et brûlent vivants une population désespérée. L’ONU enverra une force dérisoire composée de 1000 policiers kenyans. Le pays ne s’est jamais complètement relevé du tremblement de terre de 2010 et, politiquement du putsch de 2021. La corruption est un sport national et la malgouvernance semble indéracinable. Mais lorsqu’on cherche, au-delà de ces malheurs, une source structurelle à l’incapacité d’Haïti à se hisser au moins au niveau de développement de ses voisins, on tombe sur l’effroyable étranglement économique imposé par la France pendant plus d’un siècle.

Oui, la plupart des colonies ont été vidées de leurs riches ses par les métropoles. Oui, au moment de l’abolition de l’esclavage, le Royaume-Uni et le Haut-Canada ont prévu des indemnités pour les pertes encourues par les esclavagistes ou une clause grand-père pour les esclaves alors détenus. (Pas au Québec, précurseur, ou, plus tard, aux États-Unis). Mais ces indemnités étaient assumées par l’État, pas par les esclaves et leurs descendants. Oui, des envahisseurs, vaincus, ont dû payer réparation. La France après la tournée européenne des armées napoléoniennes. L’Allemagne, deux fois.

Aucun de ces cas de figure ne s’applique à Haïti. Des esclaves ayant obtenu leur propre libération et leur propre indépendance ont dû se saigner pendant 125 ans pour rétribuer… leurs tourmenteurs.

Pourquoi ? Sous peine d’être envahis en 1825 par une flotte française vengeresse. En un mot : de l’extorsion.

Ce n’est qu’en 1952 que cette dette a été réglée. Le New York Times a réalisé l’an dernier le premier calcul complet de la richesse ainsi extorquée aux Haïtiens. La somme actualisée équivaut à 750 millions de dollars canadiens. Si elle avait été investie année après année dans les écoles, les routes, les hôpitaux, l’administration publique, quel aurait été l’impact cumulatif ? Près de 30 milliards, calcule le journal,

« même en tenant compte de la corruption endémique et de l’incompétence ». Ce qui au rait porté Haïti au même ni veau de développement que les pays de la région, sinon plus.

Car au moment où, le ca non sur la tempe, le pays a cédé à la menace, il était le plus riche de la région. Lorsque les États-Unis ont décidé d’occuper Haïti, en 1915, leurs banques ont pris le relais de la prédation.

François Hollande, donc. Mai 2015. Dans son discours, solennel, parlant de la double dette, il annonce : « certains ont appelé cette exigence “la rançon de l’indépendance” ; eh bien, quand je viendrai en Haïti, j’acquitterai à mon tour la dette que nous avons ».

Le président Martelly bondit de son siège et applaudit. La Canado-Haïtienne Michaëlle Jean, alors secrétaire générale de la Francophonie, était parmi les nombreux invités : « Les gens pleuraient. Les chefs d’État africains présents versaient

des larmes. C’était immense ». Un mi racle, après tout ce temps.

Un miracle éphémère. En quelques heures, peut-être le temps d’expliquer à Hollande l’ampleur financière de la promesse qu’il venait d’émettre, ses conseillers rectifient le tir. Le président ne souhaitait évidemment parler que de la « dette morale ». Il n’y aurait pas de débours. Le dépit fut à la hauteur de l’espoir. La dette morale, écrivit le principal quotidien haïtien, Le Nouvelliste, c’est l’esclavage. Elle est « irréparable ». L’autre dette persiste.

Si j’étais au Conseil de sécurité, j’affirmerais que le gâchis haïtien est un gâchis français. Je ferais en sorte que l’ONU délègue pour 125 ans aux ex-esclavagistes et extorqueurs de l’Hexagone l’entière responsabilité de la relance d’Haïti, à concurrence de, disons, 30 milliards.

« La France est capable de regarder son histoire, a aussi dit Hollande dans ce discours maudit, parce que la France est un grand pays qui n’a peur de rien et surtout pas d’elle-même. » Ce n’est pas prouvé.

Jean-François Lisée a dirigé le Parti québécois de 2016 à 2018. Il vient de publier Par la bouche de mes crayons, aux éditions Somme Toute/Le Devoir. jflisee@ledevoir.com

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur, VOL. LIII, No.36 Édition New York régulière du 11 octobre 2023, et se trouve en P.1, 2, 15 à  : h-o 11 oct 2023

Haïti-Observateur / ISSN: 1043-3783